Le fabricant de lingerie Lise Charmel aura finalement connu deux crises en une : celle du Covid bien sûr, mais surtout celle d'une cyberattaque, qui l'a touchée en novembre 2019. A l'époque, une équipe de pirates informatiques décide de prendre le système informatique de l'entreprise, pourtant jugé « robuste » par son dg, pour démarrer un chantage qui mènera l'entreprise, ses entrepôts mais également ses magasins à l'arrêt. Et ce, durant près de trois semaines. « Plus rien ne fonctionnait, ni au siège ni dans les magasins ou nos canaux en ligne ».
« Nous avons été l'une des rares marques à communiquer sur le sujet, pour la simple raison qu'il ne faut pas en rougir : une cyberattaque n'est pas une maladie et fait partie des risques du monde moderne, comme pourrait l'être un risque incendie. Il faut que les entreprises y soient préparées, même si lorsque cela arrive, cela fait l'effet d'un coup de massue », explique à La Tribune le dg de Lise Charmel, Olivier Piquet.
D'autant plus que ce black-out total (incluant la production, mais aussi la création, les fonctions achats, la logistique et le système d'information et de communication de l'entreprise) a un coût financier : on parlerait ainsi de près de 10 millions d'euros, selon les premières évaluations réalisées par deux experts différents à la barre du tribunal de commerce.
Mais deux ans plus tard, Lise Charmel n'a toujours pas vu la couleur de cet argent, puisqu'un accord avec son assureur n'a pas pu être trouvé à ce jour, près de deux années après l'incident. « Nous étions assurés pour ce type de sinistre mais notre assureur refuse toujours de nous régler, et désormais de mandater son propre expert qu'il a l'obligation de désigner dans ce type de procédure », glisse son dg.
Entre temps, le marque de lingerie aura mis près d'un mois à pouvoir redémarrer grâce aux sauvegardes « correctement effectuées et sans pertes de données », tandis que ses capacités n'auront été pleinement retrouvées qu'un an plus tard, c'est-à-dire en septembre 2020...
Le redressement judiciaire aura quant à lui duré 18 mois, Lise Charmel venant de sortir de sa période d'observation, actée par le tribunal de commerce de Lyon, le 30 septembre dernier.
Les bénéfices d'un épisode tant redouté par les chefs d'entreprise
C'est d'abord en évoquant l'urgence de la situation auprès du président du tribunal de commerce de Lyon que le dg de Lise Charmel a été encouragé à faire appel à une procédure de redressement judiciaire.
Objectif : protéger son entreprise et d'échelonner ses paiements, tout en prenant le temps de remettre son système informatique à flots et de lancer les procédures avec son assurance. « Cela est par exemple concrètement passé par l'échelonnement de certains paiements, ou encore le report de certaines sommes dont le paiement n'interviendra que lorsque l'indemnisation sera versée, après un accord passé avec nos créanciers », expose-t-il.
Et de cet épisode tant redouté par les chefs d'entreprises, il a même voulu en faire une force : « Finalement, cela nous a permis de nous renforcer, et pas uniquement sur la partie IT, en optimisant nos marques, nos coûts et en diminuant notre passif. Le professionnalisme des organes de la procédure (mandataires, administrateurs judiciaires et experts du tribunal de commerce) nous a permis de faciliter les échanges avec nos partenaires financiers, même si nous disposions déjà de bonnes relations », souffle Olivier Piquet.
La procédure de redressement judiciaire aura en effet conduit la marque à fermer une demi-douzaine de magasins (sur une trentaine de boutiques et corners en propres) ainsi qu'à refondre ses cinq marques historiques sous deux nouveaux univers (Lise Charmel et Antigel), reprenant les grandes lignes de ses anciens modèles Eprise, Antinea et Epure.
De quoi générer des économies en matière de communication, marketing mais aussi gestion des stocks, mais aussi de rendre son offre "plus lisible" auprès de sa clientèle.
Un dossier aux allures de symbole
Désormais, c'est même le Garde des Sceaux lui-même qui est venu visiter son entrepôt de Saint-Quentin Fallavier ce jeudi, un endroit dans lequel transitent toutes les pièces du groupe, en provenance des différents sites de confection situés en Europe. Soit près de 2 millions de pièces chaque année, pour un atelier de préparation et d'expédition semi-automatisé de 10.000 m2 basé en région lyonnaise.
C'est ici qu'Eric Dupont-Moretti souhaitait y tenir symboliquement le premier débat des Etats généraux de la justice ce jeudi, un rendez-vous qui visait lui-même à ramener la justice au plus près des Français.
« L'idée étant que des échanges puissent se tenir entre le Garde des Sceaux, les salariés, mais également avec des représentants du monde de la justice et du droit, à la fois sur les critiques adressées à la justice, mais également ses succès, comme en témoigne ce dossier. Il s'agit d'évoquer un ensemble de sujets de pouvoir ensuite verser ses contributions aux États généraux, dont les propositions seront ensuite étudiées, tout comme celles de travaux d'experts, par une commission présidée par Jean-Marc Sauvé », explique à La Tribune le cabinet du ministre.
Tandis que pour le dg de Lise Charmel, Olivier Piquet, cette image fait sens au vu de l'expérience qu'il vient de traverser : « Même si on l'oublie trop souvent, cet épisode nous a rappelé que la France dispose encore du meilleur arsenal juridique en Europe, auprès des créanciers. Car grâce à l'expertise du tribunal de commerce, nous avons pu mener une restructuration complète de notre dette. »
En parallèle, le fabricant de lingerie a souhaité aller au bout de cette démarche en refusant, en contrepartie, de solliciter un PGE durant la période Covid. « Etant donné que nous avions déjà bénéficié de l'accompagnement du tribunal, nous souhaitions démontrer que l'activité de Lise Charmel générait suffisamment de trésorerie sans avoir recours à ce dispositif », justifie son dg Olivier Piquet.
Une renaissance de l'offre lingerie post-crise
Désormais, la marque de lingerie est revenue à une masse salariale de 800 collaborateurs, après s'être séparée d'une centaine d'emplois (dont une large proportion de contractuels, affirme le dg).
Et compte bien repartir de plus belle avec « un passif réduit de moitié », tout en générant à nouveau de la trésorerie. Son chiffre d'affaires, anticipé à 40 millions d'euros pour l'exercice 2021 en cours, n'atteint pas encore les 60 millions d'euros enregistrés en 2018 mais s'en rapproche progressivement.
« Nous sommes sortis de notre redressement judiciaire à jour de toutes nos charges sociales et de toutes nos dettes », rappelle Olivier Piquet, qui se dit optimiste dans la capacité de l'entreprise à retrouver « bientôt » son niveau d'avant-crise.
Et en particulier depuis cet été, où à la fois sur le marché de la lingerie (où il réalise 80% de ses ventes), mais aussi sur celui des maillots de bain (20%), une « bonne dynamique commerciale » est amorcée (chiffres non communiqués).
« Il existe une vraie attente de produits de qualité et éco-responsables, qui soient le contraire du tout-jetable, ce qui profite à une marque comme la nôtre », souligne-t-il.
Côté ventes en ligne, la cyberattaque dont Lise Charmel a été victime n'aura pas refroidi la marque dans ses ambitions : elle compte toujours se développer sur deux pieds, c'est-à-dire à la fois sur une vente en boutiques (à travers son réseau de magasins en propre et ses distributeurs, qui totalisent 600 points de vente en France et 1.400 à l'étranger) mais également en ligne, où ses produits sont également référencés sur des plateformes d'e-commerce.
« Les deux outils sont complémentaires et permettent de répondre aux besoins de nos consommatrices : ce serait une erreur que de les opposer », estime Olivier Piquet.
Sujets les + commentés