Marc Bensoussan, IBM : "Notre plan de recrutement n'est pas un plan parisien"

Il est la main de l'accélération de la transformation chez IBM France décidée par Nicolas Sekkaki, son président. A destination des entreprises, désormais au cœur de la stratégie de croissance du géant de l'informatique, mais aussi au sein de la structure française, à laquelle Marc Bensoussan, directeur général, président d'IBM Interactive, applique les mêmes recettes que celles préconisées à ses clients : s'appuyer sur Watson, l'intelligence "augmentée" maison pour servir les transformations. Il détaille, pour Acteurs de l'économie-La Tribune, son plan pour les régions françaises. A commencer par Lyon et la région.
(Crédits : DR)

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Acteurs de l'économie-La Tribune : Depuis quelques années, IBM accélère son empreinte française, qui se traduit, notamment à travers la création d'emplois - dont la dernière vague a été annoncée par Ginni Rometty, la PDG du Groupe, au sommet "Tech for good" organisé à l'Elysée en mai dernier. Comment expliquez-vous ce renouveau ?

Marc Bensoussan : Avec le président, nous avons effectivement accéléré la présence, mais aussi la transformation d'IBM France. Il y a 20 ans, IBM était ancré dans le hardware, cela représentait jusqu'à 70 % de ses activités. Aujourd'hui, 70 % de ses activités sont dans le service et l'accompagnement de la transformation digitale de nos clients. Cela passe donc forcément par des gens, de vraies gens !

Nous pensons fermement que ce qui va changer les entreprises, ce ne sont pas simplement les technologies. Ainsi, nous avons déjà créé en France l'équivalent de 2 000 emplois. Ce qui nous a permis, sur les deux dernières années, sur les activités de conseil et de services, de produire une croissance à deux chiffres en France.

Cette croissance, nous le devons aussi au fait que nous avons parié sur le digital et l'intelligence augmentée (IA)  on ne parle pas d'intelligence artificielle - comme facteur de changement dans les entreprises.

Mais ce que nous proposons reste concret avec actuellement 25 projets pour 25 clients, 10 sont en court de construction : comment on améliore la relation client au Crédit Mutuel, comment on crée une banque avec Orange Banque, comment on aide les gens de Generali à gérer les départs en retraite, comment on aide IBM et ses filiales à recruter.

Tout cela fait que la France est devenue le centre d'excellence de l'intelligence artificielle et de la transformation numérique pour le monde. En conséquence, nous allons créer 1 800 emplois au moins en France d'ici deux ans. Mais nos ambitions sont plus grandes : je rêverai de doubler la donne ! Nous aimons tenir nos engagements : nous avions annoncé la création de 300 emplois à Lille, nous en avons créé 600...

Qui sera concerné par ce plan mais surtout à quelles activités allez-vous dédier ces nouvelles ressources ?

Au moins un tiers de ces emplois seront destinés aux régions. Si nous pouvons faire plus, nous le ferons. Comparé à d'autres acteurs internationaux, IBM est historiquement implanté en région. On veut amplifier notre différence à un moment où d'autres quittent les régions. Nous souhaitons en faire un atout stratégique.

Notre ambition, c'est de créer des centres de compétence en région à vocation française, mais aussi européenne et internationale. Notre centre de Strasbourg, en deux ans, est devenu la référence de l'IA et de l'IOT du domaine bancaire. Ce centre de compétence régional a commencé avec le Crédit Mutuel qui a choisi Watson pour sa transformation. Il sert la banque en priorité, mais peut bénéficier à d'autres établissements française ou internationaux.

À Lille, on essaie de faire la même chose sur le retail et la grande distribution. Nous sommes en train de travailler sur une plateforme de traçabilité alimentaire avec de grands groupes français. Dans l'Ouest, on travaille sur l'assurance.

Pour Lyon, mon ambition est simple : nous allons développer un centre de compétence sur l'industrie du futur, l'intelligence augmentée et l'IOT adaptés à la Blockchain, en lien avec l'ADN industriel de la région qui compte près de 400 collaborateurs d'IBM (À Écully, près de Lyon, Grenoble, mais aussi près de 110 à Aubière près de Clermont-Ferrand, NDRL).

Concrètement, comment vont fonctionner ces différents pôles de compétence ?

Nous avons une approche pragmatique de l'IA. On choisit un domaine, on voit ce qu'on peut faire. Si cela fait sens, on fait une plateforme, sinon on arrête. L'IA, c'est la couche au-dessus du système d'information qui va le valoriser.

Nous travaillons sur la base du partenariat à partir de données concrètes et éprouvées : comment l'intelligence augmentée peut permettre d'améliorer l'expérience client et l'expérience employés. On a commencé par l'expérience client, car rares sont ceux qui sont irréprochables. Mais très vite, on s'est intéressé à l'expérience employé. Nos grands-parents disaient "on ne peut pas traiter un client comme un roi et un employé comme un chien". Et c'est vrai : cela n'a pas de sens ! Je ne veux pas que l'on rentre dans Watson avec un risque métier, humain et technologique. Je préfère que l'on commence sur des sujets concrets et maîtrisés, que l'on prouve qu'en 3 ou 6 mois on peut changer l'existant. Ensuite, on va vers des sujets nouveaux.

Ensuite, on construit de vrais projets industriels : au Crédit Mutuel, c'est 100 000 agents qui utilisent Watson tous les matins. Chez Orange Bank, où 70 % des interactions se situent au niveau de Watson, 100 000 clients utilisent déjà Watson en trois mois - alors que Boursorama a mis 3 ans pour atteindre ce volume.

C'est cette démarche qui nous permet de recruter, foisonner et créer un écosystème. Par exemple, à Strasbourg, les jeunes peuvent choisir, en fin de première année, soit de rester chez IBM, soit aller au Crédit Mutuel : cela permet au Crédit Mutuel de recruter des talents qu'ils ne pourraient peut-être pas, apriori, facilement repérer tout en nous implantant en région et créer des emplois. Ce que nous avons annoncé à Vivatech n'est pas un plan parisien !

Plus précisément, comment allez-vous procéder pour Lyon ?

Ce sera la même chose à Lyon. On va rentrer dans l'industrie comme on est entré dans un magasin ou dans la banque : d'abord sur la partie client. On basculera, progressivement, plus en profondeur dans les métiers. C'est tout à fait applicable à l'industrie. Chez Thales, on évoque l'ingénieur augmenté ; chez Airbus, on parle de maintenance augmentée. On avance sur la Supply Chain avec des clients comme Maersk et pourquoi pas CMA CGM, sur la chimie, dont Arkema, basé à Lyon.

Nous cherchons donc à travailler avec 2 ou 3 clients sur des sujets concrets, ensuite nous recrutons. Souvent, la région veut nous aider... je sais Auvergne-Rhône-Alpes et la Métropole intéressés... et cela fait boule de neige dans une logique d'écosystème. De nombreuses régions sont extrêmement accueillants : je crois que l'on représente autre chose qu'une société de services classiques, on a une empreinte différente.

D'un côté, il y a des annonces massives de recrutement, de l'autre des plans réguliers de licenciements, dont le dernier, une rupture conventionnelle collective d'une petite centaine de postes. N'est-ce pas paradoxal ?

Nous sommes très à l'aise avec cette question. Notre monde est en transformation : le couple éternel n'existe plus. Dans 95 % des cas, la relation fonctionne. Et parfois, cela ne marche plus. Toutes les entreprises se séparent de certains de leurs collaborateurs à un moment donné, tout le monde le fait. La différence, c'est qu'IBM communique éthiquement et très clairement dessus.

Ces nouveaux emplois concernent les jeunes issus des universités et des grandes écoles, mais pas seulement. Une partie de notre programme est dédié à des jeunes issus des formations professionnelles et des banlieues - une centaine à Lille, Strasbourg et Lyon. C'est notre contribution au plan Mahjoubi. Une autre partie de ces recrutements sont dédiés à des gens plus et très expérimentés. Nous n'avons pas trop de difficultés à attirer des jeunes pour travailler sur l'intelligence artificielle. Mais il est plus compliqué de faire pivoter, y compris chez IBM, une personne qui a fait toute sa vie travaillé au service d'un produit et de le mettre au service d'un client. Donc, on va aussi accompagner les digitals papys, car l'un de nos atouts, en France, c'est d'avoir misé sur le couple digital natives/digital papys : cela a créé une force, inégalée même par les disrupteurs.

On parle souvent de l'expérience client, on oublie régulièrement l'expérience des collaborateurs. Quand les gens sont chez IBM, Carrefour, BNP ou boulanger depuis des années, ils ont forcément plus d'expertise que le garçon d'Uber qui a eu son permis la veille. Je n'ai rien contre Uber, mais, pas définitions, ils en ont plus. C'est la force des entreprises traditionnelles. D'ailleurs, elles commencent à en prendre conscience.

Dans notre dernière étude annuelle, L'entreprise apprenante contre-attaque, que nous réalisons chaque année avec EBG, le think tank de la transformation digitale, cette dimension humaine apparaît enfin, c'est la première fois en 5 ans !

Elles se sont rendu compte que c'était leur force face aux disrupteurs ! Autre atout : la data. 80 % de la date est stockée dans les entreprises traditionnelles. Ce n'est pas parce que je suis votre ami sur Facebook que l'on se connaît. En revanche, mes clients, je les connais vraiment ! Un point qui fait que, par exemple, BMW, va lancer une plateforme qui va concurrencer Uber avec sa force d'entreprise traditionnelle couplée à l'IA... Après chaque révolution, vient l'équilibre.

Néanmoins, ces licenciements et ces avancées pourraient donner un argument supplémentaire à ceux qui accusent l'IA de détruire des emplois...

Cela fait 30 ans que je travaille dans la transformation. L'IA n'est pas le truc qui va tuer tout le reste. Souvenez-vous de l'histoire de Kodak. Son patron de l'époque a ignoré la licence de la photo numérique, il l'a enterré dans un tiroir. Kodak est mort de ce mauvais choix stratégique. IBM investit dans l'IA depuis 30 ans et a su, pour continuer la métaphore, ouvrir et fermer les bons tiroirs au bon moment, gérer, vendre et se consacrer au B to B pour devenir un tiers de confiance.

Le monde perçoit l'informatique traditionnelle comme un cimetière. Or, c'est un patrimoine ! L'IA ne prétend pas le détruire, elle crée juste de nouvelles plateformes. La différence, c'est l'évolution. L'ancien système limite votre intelligence tandis que l'IA apprend. De semaine en semaine, elle est capable de réaliser une tâche nouvelle, un peu comme les enfants. Elle apprend et elle vous apprend à apprendre. Par exemple, elle est désormais capable de comprendre que "VIRT MM" veut dire réaliser un virement à votre grand-mère au Lyonnais ou à la Poste. Et si demain, cette abréviation devient simplement "VM", elle sera capable de la traduire, car l'IA apprend aussi le langage des jeunes. Cette évolution n'était pas possible avec l'informatique traditionnelle, qui ne pouvait pas s'adapter à l'évolution sans notre intervention.

L'Être humain et la machine sont complémentaires : je ne vois pas de cas où la machine ne remplace pas l'homme. Mais c'est aussi parce que chez IBM, on ne le veut pas !

Cette garantie de l'éthique est essentielle. Le téléphone portable déconstruit des couples, des familles, des cercles, mais il est aussi capable de faire que je puisse voir l'ensemble de mes équipes réparties dans toute la France sans être obligé de me déplacer sans arrêt !

Encore une fois, tout dépend de son utilisation : si on met l'IA au service des hommes et des femmes, cela peut détruire quelques emplois, mais cela va aussi en créer beaucoup d'autres. Je ne suis pas humaniste, c'est juste une valeur à laquelle je crois.

Et, pour ma part, je suis fier de créer des emplois, 1876 emplois en trois ans à fin juin 2018, de recruter des jeunes qui ne nous prennent pas notre travail, mais qui nous apportent leur énergie et reçoivent en retour notre savoir-faire et notre savoir-être.

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