« Nous étudions tous les projets de gigafactories, mais aussi les terres rares » (Ambroise Fayolle, Banque Européenne d’Investissement)

INTERVIEW. En déplacement en Auvergne Rhône-Alpes pour signer un prêt avec le fabricant isérois de batteries bas carbone Verkor, puis une rallonge financière au syndicat des transports en commun de la métropole lyonnaise (Sytral), le vice-président de la Banque européenne d’investissement (BEI) Ambroise Fayolle est revenu sur les priorités de la banque publique, qui se voit aussi depuis 2019 comme la future Banque du Climat. Alors que la France est devenue le principal bénéficiaire des fonds de la BEI, celle-ci compte bien accélérer son accompagnement sur des projets comme les gigafactories. Le nouveau nucléaire français n'est pas totalement exclu, même s'il est loin de faire l'unanimité.
Face aux craintes que la crise de l'énergie ne devienne un obstacle à la réindustrialisation de l'Europe, Ambroise Fayolle ne se dit pas inquiet mais vigilant : car pour contrecarrer l'effet prix et l'écart qui se creuse au sein des coûts de production, cela passe en premier lieu par le fait d'avoir des outils de financement qui soient effectivement concurrentiels par rapport à ceux que l'on peut voir ailleurs.
Face aux craintes que la crise de l'énergie ne devienne un obstacle à la réindustrialisation de l'Europe, Ambroise Fayolle ne se dit pas inquiet mais "vigilant" : car pour contrecarrer l'effet prix et l'écart qui se creuse au sein des coûts de production, "cela passe en premier lieu par le fait d'avoir des outils de financement qui soient effectivement concurrentiels par rapport à ceux que l'on peut voir ailleurs". (Crédits : DR/ML)

LA TRIBUNE - Pourquoi la Banque européenne d'investissement (BEI) a choisi d'embarquer pour soutenir en premier lieu de le Verkor Innovation Center, (VIC) qui regroupe centre d'innovation et école de la batterie à Grenoble ?

Ambroise Fayolle - Nous avons décidé de suivre le même modèle que celui que nous avions observé pour une autre gigafactory en Europe, le projet Northvolt en Suède, où l'on a financé d'abord un démonstrateur. Puis une fois qu'on a vu que ça marchait, on a financé la gigafactory qui était juste à côté.

Avec Verkor, nous avons décidé de faire faire la même chose, avec aujourd'hui un prêt de 49 millions d'euros pour aider au développement du prototype et des premières batteries. Et dès que débutera la production de masse à Dunkerque, nous serons aussi prêts à venir financer la suite, qui sera à la fois de plus grande ampleur, en nombre de milliards, mais beaucoup moins risquée par rapport à ce qu'est aujourd'hui le VIC.

Quelles sont les conditions de financement que permet une banque publique comme la BEI sur ce type de projet ?

Nous constituons tout d'abord une source de diversification des financements. La BEI joue aussi en quelque sorte un rôle de label, puisque notre présence permet ensuite d'attirer de nouveaux investisseurs. Pour l'instant, il ne s'agit d'ailleurs que du second projet de gigafactory auquel nous avons contribué en Europe, mais nous en regardons d'autres.

Par ailleurs, nous sommes aussi ce que l'on appelle un investisseur patient, car nous sommes banque publique, qui n'a pas vocation à faire du profit et qui offre ainsi de très bonnes conditions financières. Ce qui signifie que sur ce type de projet, nous sommes sur une durée de huit ans, qui comprend trois ans de période de grâce. Cela laisse donc tout le temps à la société de mettre en place sa nouvelle structure de recherche et de production, avant de songer au remboursement.

En termes de montant, votre ambition peut également être de taille puisque vous acceptez de grimper jusqu'à parfois, la moitié de l'enveloppe de financement globale recherchée par un projet industriel ou public ?

Oui, nous pouvons financer jusqu'à 50% des montants nécessaires. En l'occurrence, sur le projet Verkor, cela représente seulement un quart de la somme totale pour l'instant, mais nous pouvons être un acteur beaucoup plus important sur ce type de dossier, comme l'a déjà démontré la BEI en finançant la gigafactory de Northvolt à hauteur de 400 millions d'euros au total (sur un montant près de 4 milliards à date, ndlr).

Est-ce qu'il y a d'autres projets de gigafactories dans les cartons de la BEI ? On sait que rien qu'à l'échelle d'Auvergne Rhône-Alpes, il en existe plusieurs : sur les électrolyseurs avec l'isérois McPhy qui s'implantera à Belfort, et une autre aussi sur le solaire avec le lyonnais Carbon par exemple dont la localisation n'est pas arrêtée à ce stade...

Nous regardons tous les projets de ce type qui pourraient nous être présentés. Nous ne pouvons pas donner d'informations précises pour l'instant, mais nous étudions non seulement des projets en lien avec les batteries, mais aussi d'autres plus largement en lien avec les terres rares, les projets de mines responsables... de la même façon que Northvolt a intégré une composante minérale à leur projet car il existe sur place un vivier de terres rares, et ils le font de manière respectueuse de l'environnement, ce qui nous intéresse également.

Vous vous êtes donné en 2019 l'objectif de devenir en quelque sorte une future Banque du climat, en vous engageant à financier jusqu'à 50% de projets « verts » en lien avec l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables d'ici à 2025 : quels premiers résultats de cette stratégie aujourd'hui ? Cet objectif est d'ailleurs déjà « quasiment atteint » pour la France ?

Nous sommes en effet déjà arrivés à cette cible de 50%, qui aurait dû être atteinte en 2025. En France, nous sommes même allés au-dessus de cette proportion, l'Hexagone étant devenu en même temps le premier état membre financé par la BEI (avec 14 milliards d'euros investis en 2021, dont plus des deux tiers de son volume de prêts dédiés à la lutte contre le réchauffement climatique, ndlr).

Et cela, pour une raison simple : les projets présentés en France correspondaient bien aux deux priorités de la BEI, qui sont de soutenir des projets en faveur de la lutte contre le changement climatique ainsi que des projets d'innovation.

C'est par exemple le cas avec des projets comme celui de Verkor. Sans compter que nous finançons aussi désormais beaucoup de projets en lien avec l'efficacité énergétique, la rénovation thermique des bâtiments, ainsi que des projets d'innovation pure ou liés aux énergies renouvelables.

Etant donné que vous êtes justement aligné avec les priorités de la Commission européenne et ses axes énergétiques (et notamment le « fit for 55 » qui vise à faire baisser de 55% les émissions de CO2 d'ici 2030 par rapport à 1990), quid de la question du financement du nucléaire ou des projets gaziers ? Peuvent-ils prétendre à des financements de la BEI ?

Sur la question du gaz, nous avons pris une décision en 2019 qui est de ne plus financer de projets gaziers dont le niveau d'émissions est supérieur à 250 grammes de CO2 par kilowattheure. Il est donc nécessaire que le seuil soit très bas pour que nous puissions continuer à les financer.

Le sujet du nucléaire est éligible chez nous, mais ce sont des projets qui sont toujours très compliqués.

Notre conseil d'administration est composé des États membres de l'Union européenne et doit se mettre d'accord pour y participer. Mais nous nous disons plus largement une chose : nous sommes désormais une grande structure, mais pas si importante non plus par rapport à l'ampleur des besoins qui se présentent devant nous. C'est pourquoi nous préférons concentrer nos ressources là où l'on pense que l'on peut vraiment faire la différence et avoir le plus de valeur ajoutée.

Pas forcément donc dans le nucléaire : mais si la France vous le demandait, au regard de sa politique de relance de l'atome, vous pourriez étudier le financement de projets en lien avec le nouveau nucléaire également ?

En tous les cas, je peux vous dire que c'est éligible.

Vous avez également financé une liste assez importante de projets en Auvergne Rhône-Alpes, très diversifiés. On pense par exemple à l'économie circulaire du recyclage avec Carbios, à la décarbonation du câblier Nexansmais aussi au fabricant de puces franco-italien STMicroelectronics. La scène régionale aura finalement drainé près du double du montant investi dans les autres régions françaises au cours des 10 dernières années. Comment l'expliquez-vous ?

Ces dossiers correspondaient exactement à ce que nous aimons financer, c'est-à-dire des projets qui favorisent l'innovation mais aussi, dans le cadre de STMicroelectronics comme chez Verkor avec les batteries, l'indépendance énergétique et la souveraineté de l'Europe. C'est pourquoi Auvergne Rhône-Alpes a représenté un total de 6 milliards d'euros de financements apportés par la BEI au cours des 10 dernières années.

Avec pour moitié, des projets liés au climat et à l'environnement et pour l'autre moitié, à l'innovation. C'est donc une région majeure pour nous, avec des projets emblématiques qui présentent à la fois des dimensions historiques mais aussi européennes, comme avec le franco-italien STMicroelectronics. Nous avons également participé au financement de Carbios à Clermont-Ferrand, ou bien, il y a quelques années, d'EcoTitanium qui développait un procédé de recyclage du titane pour la conception des avions ou encore du fabricant de câbles Nexans. Sans oublier, sur la partie publique, un tas d'infrastructures liées à la mobilité.

Justement, ce jeudi, vous vous rendiez aussi à Lyon, pour évoquer la question des transports en commun avec le Sytral, dont la majorité écologiste avait annoncé en 2020 un doublement du plan d'investissements à 2,5 milliards d'euros d'ici la fin de son mandat à 2026 ?

Après la visite d'un autre projet public en lien avec Grenoble Alpes Métropole, qui allie le traitement des déchets à la méthanisation, je me rends en effet à Lyon pour discuter des projets du Sytral.

Nous finançons déjà le développement du réseau de transports en commun lyonnais à hauteur de 500 millions, et pour lequel nous souhaitons encore accélérer, avec une nouvelle enveloppe de 250 millions qui va être apportée, pour un total de 750 millions désormais. Et cela, sur l'ensemble des formes de mobilités, sans focus particulier.

Le déboursement se fera ensuite sur la durée et le remboursement encore plus, puisque les projets publics se pensent traditionnellement sur du très long terme.

Face à la hausse des prix de l'énergie, certaines voix s'élèvent cependant aujourd'hui avec la crainte que le vent de réindustrialisation, amorcé en Europe depuis la crise sanitaire, ne se tourne désormais en faveur des Etats-Unis et de l'Asie, où les coûts de production sont devenus encore plus attractifs. Est-ce une crainte que vous nourrissez aussi ?

Il faut être vigilant et ne pas être naïf lorsqu'on regarde ce qui se passe aujourd'hui à l'échelle mondiale. Mais notre conviction, absolument forte, reste que la période actuelle doit pousser à une accélération des investissements dans la transition énergétique.

Mais est-il réellement possible de contrecarrer ces « effets prix » aujourd'hui sur le terrain de l'énergie ?

Je pense qu'il est tout à fait possible de contrecarrer cet effet et qu'on a les armes pour cela, encore plus avec des projets comme celui de Verkor par exemple. Cela passe en premier lieu par le fait d'avoir des outils de financement qui soient effectivement concurrentiels par rapport à ceux que l'on peut voir ailleurs.

Avec par exemple, l'ensemble des financements mis à disposition par la Commission européenne mais aussi, par les Etats ou les structures publiques, qui sont devenus également très présents sur ce volet.

Pour réindustrailiser, un autre enjeu, celui de l'acceptabilité sociale, émerge lui aussi face à l'élaboration de grands projets industriels voire même d'extraction minière comme on le voit avec Imerys dans l'Allier. Même s'ils sont dits « responsables », ces projets peuvent être questionnés par les associations environnementales ou les riverains. La BEI est-elle également attentive à cet enjeu, vous étudiez également ce risque au sein de vos financements ?

Il s'agit d'un critère important, qui ne peut se résoudre qu'avec deux ingrédients : le dialogue, et même le dialogue le plus en amont possible. C'est seulement de cette manière que l'on pourra ensuite réussir à convaincre les parties prenantes. Il faut parler, mais aussi savoir écouter les préoccupations émanant du terrain.

D'autant plus que parfois, il existe des critiques qui sont parfaitement justifiées, toute la question étant de voir ensuite comment on peut y répondre. Mais l'on sent bien qu'aujourd'hui, la concertation est beaucoup plus souvent menée qu'auparavant sur ce type de projets. Même si, il faut le dire aussi, on ne parviendra jamais à faire l'unanimité, notamment sur des sujets de transports.

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