Go Sport, Clinique Mutualiste : à chaque fois, « une remontée de cash qui mène à une ligne de crête »

FOCUS. Depuis début janvier, les deux dossiers de la Clinique Mutualiste et du distributeur de matériel de sport Go Sport, pourtant issus de deux secteurs très différents, sont caractérisés par le même mécanisme : avec à chaque fois, des remontées de cash jugées trop importantes de la filiale vers leur maison-mère, et qui mettraient selon les syndicats en difficulté la trésorerie des établissements concernés, alors même qu’ils reçoivent soit des fonds publics, soit des aides publiques comme les PGE. Pour Pierre Janot, avocat spécialisé en droit du travail depuis 29 ans au Barreau de Grenoble (également président de la commission environnement du Barreau et conseiller régional Europe Écologie Les Verts), ces deux dossiers posent un même enjeu qui doit alerter l'Etat.
(Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - A la Clinique Mutualiste de Grenoble, une interdiction de gestion a été prononcée dans le cadre de la mise en examen de son pdg... Pourriez-vous rappeler en premier lieu dans quel cadre une telle mesure est rendue possible ?

PIERRE JANOT - Si l'on reprend le code pénal, le délit de détournement de fonds public a lieu lorsqu'un dépositaire de l'autorité publique ou un chargé de mission en lien avec une notion de service public détourne de l'argent public. Dans ce cas, c'est le montage lui-même qui est attaqué.

Mais en réalité, lors de la reprise de cet établissement par un groupe privé, on savait déjà que le risque existait de faire financer un établissement de droit privé avec de l'argent public. Une mise en examen peut notamment être décidée lors qu'on estime qu'il existe des indices graves ou concordants, qui peuvent être de nature à constituer une infraction. Le juge a ainsi soit la possibilité de placer un prévenu en détention provisoire, ou bien sous contrôle judiciaire, qui peut lui-même être assorti ou non de mesures de privation de liberté.

L'alinéa 12 de l'article 138 permet en effet au magistrat de décider d'interdire de pratiquer une activité de nature professionnelle sur la durée de l'instruction, notamment lorsqu'il redoute une nouvelle infraction.

L'interdiction de gérer une société présentant des missions d'intérêt général est-elle une mesure particulièrement rare ?

Il est certain que dans le cadre de cette affaire, il existait la possibilité d'un réel trouble à l'opinion publique, ainsi que des gages à donner aux syndicats au minimum durant la période de la mise en examen. L'interdiction de gérer permet de dégager une solution en interne, qui fasse que la personne mise en examen ne s'immisce plus dans la gestion quotidienne.

Mais la justice prévoit aussi que des réexamens de cette décision puissent avoir lieu, avec notamment la possibilité pour le dirigeant, de faire appel de son contrôle judiciaire et du juge d'instruction, qui sera libre de décider s'il accède ou non à sa demande. Quoi qu'il en soit, les délais d'instruction de l'affaire devrait être rendus publics assez rapidement et il est probable que l'étude d'une affaire, qui peut être d'une extrême complexité compte-tenu des données financières en jeu, puisse s'étaler ensuite sur plusieurs années.

Pour vous, plus que le montage financier lui-même, c'est la nature même du projet de reprise d'un établissement mutualiste à caractère ESPIC (établissement de santé privé d'intérêt collectif) qui pose question dans cette affaire ?

Dès le départ en effet, une telle opération pouvait en effet interroger car se posait clairement la question de savoir si de l'argent public n'allait pas financer une opération de reprise, menée par un groupe privé à but lucratif.

Mais c'est la même chose que l'on peut observer ailleurs, dans d'autres établissements de santé qui sont rachetés par des acteurs privés, à partir du moment où ils sont conventionnés, et c'est un point que ni l'ARS ni le Ministère de la Santé ne peuvent ignorer.

Le principe des remontées de fonds d'une filiale vers la maison-mère est pourtant une opération qui n'est pas interdite dans le droit des sociétés ?

Dans le cadre de la Clinique Mutualiste, il semble que le dirigeant n'ait pas fait la différence entre ce qu'il aurait fait dans le cadre d'un « leverage buy-out » (LBO) classique, avec une remontée d'actifs de la société cible vers la maison-mère, et qui repose sur des recettes privées, et des remontées de fonds beaucoup plus importantes, qui proviennent de plus des cotisations de l'Assurance maladie et qui doivent avant tout servir à financer des prestations de soins.

Nous avons contacté l'Agence Régionale de Santé (ARS), qui estime cependant pour l'heure que ce n'est pas à elle (mais à la justice) de juger de l'utilisation de ces fonds, tant que les missions de service public sont remplies et les patients pris en charge ?

Et c'est bien tout le mal endémique de ce montage, comme on l'a vu dans la cadre de l'affaire Orpéa par exemple et sur le financement des activités de la psychiatrie ou de la dépendance, car il n'existe pas de réel cahier des charges qui soit imposé par l'Etat et le ministère de la Santé, lorsque des investisseurs privés rentrent au capital d'un établissement de santé.

Ils n'ont pas, par exemple, à tenir un ratio de soignants par un nombre de lits : ils sont totalement libres de l'allocation des moyens humains, et de leur rationalisation. C'est toute la question entre un acteur privé qui, en rationalisant des coûts, peut aussi remonter ensuite plus de cash vers sa maison-mère.

Il n'existe donc pas de règle tranchée sur le montant des remontées de cash possibles dans ce cadre ?

La question qui est aujourd'hui posée par ce type d'affaire est de dire : soit la remontée de cash est illégale en soi, et l'on ne veut pas que de l'argent public puisse remonter et financer un rachat. Soit on l'accepte, et dans ce cas, on se situe sur une ligne de crête comme aujourd'hui car on n'a pas suffisamment déterminé au préalable la zone de tolérance au-delà de laquelle ce n'est plus autorisé...

Mais une telle stratégie de la part de l'Etat nous mènerait forcément dans un mécanisme d'extrême financiarisation du domaine de la santé.

Le mécanisme à l'oeuvre dans ce dossier rappelle également d'autres affaires en cours, comme la situation de l'isérois Go Sport, dont les syndicats dénoncent également des remontées de cash importantes de la part de l'actionnaire HPB, qui mettraient en difficulté la trésorerie même de l'entreprise...

C'est un peu la même situation que dans le dossier Ecopla, où nous avions nous-mêmes réussi à obtenir une décision de la part de la justice, qui avait considéré que la maison-mère avait fait des remontées de cash importantes et vidé intentionnellement de sa substance la trésorerie de sa filiale, la précipitant ainsi dans une situation de cessation de paiements.

Car il y avait là la caractérisation d'un acte intentionnel, ainsi qu'une disproportion des remontées réalisées, allant bien au-delà de l'usage permis dans la pratique par le groupe.

Dans le dossier Go Sport, figure également l'inquiétude des syndicats face au 50 millions de PGE engrangés en deux tranches, lors de la reprise par HPB. Dès lors, la question des 145 milliards de PGE octroyés par l'Etat pourrait-elle poser elle aussi de nouveaux enjeux ?

L'économie française est en effet fortement subventionnée et l'était déjà par l'intermédiaire de fonds publics, qui ne sont quasiment jamais conditionnés depuis plusieurs décennies. Ces aides sont en effet octroyées sans clause de revoyure ni de retour, alors même qu'elles affichent à l'origine l'objectif de servir une cause d'intérêt général, qui peut être le maintien de l'activité économique afin de permettre lui-même le maintien de l'emploi ou des investissements sur un territoire.

Mais lorsque celui sert, comme on le voit lors des dernières statistiques, un enrichissement des actionnaires avec la hausse des redistributions envers le CAC 40, cela provoque nécessairement un requestionnement des syndicats et du milieu d'affaires, qui se sont interrogés au cours des derniers mois sur la finalité des aides publiques.

Car on imagine mal que l'effort considérable qui a été fait par l'État, quitte à endetter son budget, ainsi que les générations futures, le soit à une finalité d'enrichissement des actionnaires. Nous avons d'ailleurs travaillé à ce sujet sur un rapport au côté de la Chambre régionale des comptes (CRC), qui constatait justement le fait que les aides publiques octroyé aux stations de ski, l'ont été sans conditionnement ni revoyure.

En tant qu'avocat spécialiste en droit du travail, mais également désormais élu au sein de l'hémicycle régional pour le groupe union de gauche/EELV, êtes-vous inquiet pour l'avenir de ces dossiers, publics comme privés ?

Des acteurs comme Go Sport vont devoir faire face à la même problématique et attendre un hypothétique repreneur... Mais il est certain qu'il y aura de la « casse », car le secteur de la grande distribution est déjà mis à mal par Internet et un modèle économique qui doit se réformer. La différence avec des établissements de santé comme la Clinique Mutualiste, c'est que l'État ne pourra pas se permettre la même chose.

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