Pilotage énergétique : « Un gisement d’économies immédiat à réaliser dans le tertiaire » (Schneider Electric)

ENTRETIEN. Après avoir réalisé 16 milliards d'euros de chiffre d'affaires au premier semestre, le groupe isérois Schneider Electric se retrouve au cœur du virage énergétique souhaité par le gouvernement cet hiver. Le groupe, qui a testé l’arrêt du chauffage et des charges de ses voitures pendant deux heures lors d’un pic de consommation d’Écowatt en avril dernier, revient sur la manière dont le pilotage énergétique peut contribuer, dès cet hiver, à la réduction de la tension au sein du réseau français. Mais aussi à moyen terme, comme l’envisage Esther Finidori, directrice stratégie de Schneider Electric France, en commençant par le marché du tertiaire, qui représenterait un gisement d’économies immédiat à réaliser.
Le bâtiment doit devenir un acteur clé dans l'équilibre du réseau électrique car même si historiquement, le réseau n'a pas été pensé de cette manière, il peut aussi désormais apporter de la flexibilité , estime Esther Finidori, directrice stratégie de Schneider Electric France, qui voit dans le tertiaire un vecteur immédiat d'économies, déjà pointé par le décret tertiaire.
"Le bâtiment doit devenir un acteur clé dans l'équilibre du réseau électrique car même si historiquement, le réseau n'a pas été pensé de cette manière, il peut aussi désormais apporter de la flexibilité ", estime Esther Finidori, directrice stratégie de Schneider Electric France, qui voit dans le tertiaire un vecteur immédiat d'économies, déjà pointé par le décret tertiaire. (Crédits : ML)

LA TRIBUNE - Spécialisé historiquement dans les réseaux électriques, Schneider Electric développe depuis plusieurs années des solutions de pilotage énergétique qui ont pris un tout autre sens depuis la crise énergétique que traverse l'Europe. Aujourd'hui, quand on parle de la cible de réduire, pour toute entreprise, sa consommation énergétique de 10% afin de préserver les réseaux électriques cet hiver : est-ce un objectif ambitieux par rapport à ce qu'on est capable de faire aujourd'hui, rien qu'en utilisant le levier du pilotage énergétique ?

ESTHER FINIDORI - Je pense que le -10% en l'espace de deux ans est une cible tout à fait atteignable en moyenne. Pour prendre l'exemple de Schneider Electric, nous nous sommes déjà engagés à livrer des économies d'énergie sur nos sites depuis de nombreuses années.

Nous avons réussi à économiser 13%, 10% et 10% annuellement, et cela, trois fois de suite en utilisant le levier du pilotage, tout en sachant que bien souvent, plus on cherche à réaliser des économies successives, et plus elles sont difficiles à obtenir. Mais notre propre histoire démontre aussi que lorsqu'on commence à compter et à rechercher des gisements d'économies d'énergie, on les trouve.

Il faut cependant faire la différence entre la notion de pilotage et celle de l'effacement ?

Il existe en effet un peu de confusion aujourd'hui entre ces deux termes : le pilotage est en réalité la capacité de contrôler et mesurer ses propres consommations, et représente en quelque sorte le niveau un de l'action que l'on peut mener. Le niveau deux étant ensuite de pouvoir agir, soit de manière automatisée avec des routines automatiques, soit à travers une décision de l'opérateur qui acte à distance, de couper, allumer, réduire ou augmenter une intensité...

L'effacement consiste plutôt, quant à lui, à mettre le pilotage au service d'une action ponctuelle, afin de réduire encore davantage ses consommations. Il s'agit en réalité plutôt de les décaler, en utilisant de manière ponctuelle la capacité de pilotage afin d'aider le réseau à réduire sa quantité d'énergie consommée, sur une courte période (on parle souvent d'une plage horaire de deux heures en moyenne).

L'aspect du pilotage est encore peu développé, mais c'est justement un gisement important d'économies d'énergie, que l'on peut précisément se donner en utilisant un système de gestion de l'énergie et qu'il nous faudra aussi pouvoir mobiliser cet hiver.

On parle beaucoup d'éco-gestes aujourd'hui, comme de couper le chauffage une heure plus tôt ou gérer les éclairages la nuit ... C'est là où les solutions de pilotage peuvent devenir centrales selon vous ?

Il est tout à fait possible de prendre ce type de mesure sans s'équiper, mais cela nécessite de parvenir à mobiliser à la fois des gens et des procédures, pour que cela soit fait de manière extrêmement ponctuelle. Ce qui est intéressant aujourd'hui, c'est d'arriver à distinguer les deux temporalités sur lesquelles nous devrons agir, qui sont à la fois à court mais aussi à moyen terme. Car tous les ménages et les entreprises ont désormais envie de s'engager et de participer à cet effort.

Mais c'est grâce à la technologie que ces actions deviendront soutenables et récurrentes dans le temps, et qu'elles offriront aussi de la transparence en termes de gestion. La proposition de valeur est vraiment de simplifier et d'automatiser ces éco-gestes afin de réduire la facture d'énergie.

Pour être efficace, le pilotage de l'énergie doit néanmoins pouvoir agir sur les différents postes énergétiques du logement ? Quels usages pourra-t-on intégrer demain ?

Le pilotage doit en effet adresser en premier lieu le chauffage, l'eau chaude, et l'éclairage mais c'est aussi lui qui, demain, permettra de gérer également la recharge à domicile d'un véhicule électrique par exemple, et de piloter également un panneau solaire qui pourrait être sur votre toit. Cela permettra donc de gérer à la fois vos consommations, mais aussi les capacités de production si elles existent, et d'équilibrer et lisser les besoins en énergie du logement.

Sur les bâtiments tertiaires, on va également avoir tendance à ajouter d'autres types de capteurs de mesure comme la température des pièces, mais aussi le niveau de CO2, la luminosité ou encore le delta entre la température extérieure et intérieure, ce qui en fait un objet un peu plus élaboré.

Combien coûte concrètement la mise en place de tels systèmes ? Pour quelle rentabilité de l'investissement aujourd'hui ?

Les prix sont extrêmement variés et dépendent à la fois du type de bâtiment et de la complexité des systèmes déployés.

Dans le tertiaire, les retours sur investissements se sont considérablement accrus : ils étaient de 3 à 4 ans sur les prix de l'énergie que l'on connaissait jusqu'ici, et ils sont passés aujourd'hui sous la barre d'une année désormais, en fonction des contrats d'énergie dont les entreprises disposent. Les systèmes étaient donc déjà rentables, et le sont devenus encore plus.

Dans le résidentiel, c'est la même chose : lorsqu'on prend un logement en cours de rénovation, où l'on prévoit de changer la chaudière et d'isoler les murs par exemple, l'installation d'un système de pilotage intelligent représente en moyenne 5 à 10% du coût de la rénovation énergétique globale.

Quelles sont les premières cibles à adresser si l'on souhaite réduire très rapidement la consommation d'énergie en France ?

Il existe en effet un gisement d'économies immédiat à réaliser, en vue de l'hiver prochain, sur le tertiaire, avec des bâtiments qui sont encore largement sous équipés en systèmes de gestion, ou qui ne sont pas actifs. On estime que seulement 6 % des bâtiments en France possèdent un système de gestion technique du bâtiment, c'est à dire un système de mesure et de pilotage.

Bien évidemment, le niveau de couverture est meilleur sur les grands bâtiments que sur les plus petits. D'ici cet hiver, il existe donc un potentiel réel avec des systèmes qui, une fois remis à niveau, seront capables à la fois de réduire leur consommation, mais aussi de s'effacer, certes de manière ponctuelle, lorsqu'il y a des tensions sur le réseau, voire d'aller un cran plus loin en coupant le chauffage par exemple sur une plage d'une heure. Le tout sans dégrader le confort des usagers. C'est un exemple d'un gain assez facile à aller chercher à très court terme.

C'est un peu la même réalité sur le secteur du résidentiel ?

On estime que 10 % des logements sont aujourd'hui équipés de système de pilotage du chauffage. On voit bien que face à ces chiffres, si l'on souhaite agir, cela nécessite de mettre en place une planification à l'échelle des 10 prochaines années afin de transformer la filière dans son ensemble, et d'anticiper la fabrication des composants ainsi que la capacité à installer et à former les usagers.

Pour y parvenir, il faut se fixer un plan et une cible, et 2030 pourrait être une bonne échéance pour cela.

Le bâtiment peut devenir lui-même producteur et fournisseur de l'énergie au réseau : si les freins réglementaires ont désormais été levés, quelles sont encore les obstacles à cette décentralisation de la production d'énergie ?

C'est une solution techniquement et légalement possible, qui est même soutenue désormais par les pouvoirs publics : il est possible d'installer des panneaux solaires sur un toit et de choisir soit d'autoconsommer ou d'injecter cette électricité au sein du réseau.

Mais il nous faut désormais accélérer et se doter d'objectifs ambitieux sur le développement d'une production énergétique très décentralisée, qui soit intégrée au bâti, avec l'usager du bâtiment comme pilote de son objet énergétique. Cela représente encore une infime portion des installations en France, mais les pourcentages de croissance sont là, alors que ces solutions ont déjà été adoptées beaucoup plus massivement en Australie, en Californie, en Chine.

Cela découle souvent de choix historiques et politiques, où l'on s'est demandé très tôt quels modes de production énergétiques il fallait favoriser.

La crise actuelle est en train de bouleverser le statut quo car on se rend compte qu'il faudra avoir accès à la fois à une production pilotable de qualité, mais aussi une capacité d'autoconsommation et de production. Au final, cela démontre que la transition énergétique est en marche.

Ce tournant, c'est vraiment la crise énergétique mais aussi le Covid qui ont fait basculer les mentalités, et fait passer des systèmes de pilotages orientés plutôt vers la question de la "smart home" (et parfois considérés comme des objets "geeks") à des moyens plus concrets de réduire sa facture énergétique ?

Le Covid en effet montré le besoin d'apporter de la flexibilité dans l'usage mais plutôt dans le domaine du tertiaire, qui a dû adapter, durant cette crise sanitaire, ses habitudes d'utilisation des bâtiments. Désormais, nous sommes arrivés, collectivement, à réaliser que nous avions aussi besoin d'arriver à mieux gérer les bâtiments afin qu'ils présentent toujours un bon niveau de confort.

Chez Schneider Electric, nous pensons aussi que le bâtiment doit devenir un acteur clé dans l'équilibre du réseau électrique. Même si historiquement, le réseau n'a pas été pensé de cette manière, et était vu jusqu'ici plutôt comme un consommateur d'énergie, il peut aussi désormais apporter de la flexibilité et devenir lui-même un acteur de l'équilibre du réseau énergétique.

C'est un changement de paradigme directement généré par la crise que l'on est en train de vivre. Nous voyons que nous sommes d'ailleurs de plus en plus sollicités depuis deux ans, à la fois sur la remise à niveau mais aussi sur la fourniture d'installations neuves.

Avant la crise énergétique, les cibles du décret tertiaire, qui prévoient de diminuer la consommation énergétique des parcs tertiaires français (d'au moins -40% dès 2030, -50% en 2040 et -60% en 2050 par rapport à l'année de référence) ont également constitué un premier accélérateur de ce marché ?

Oui, la conjugaison du décret tertiaire mais aussi du décret BACS (« Building Automation & Control Systems » du 20 juillet 2020), qui prévoit notamment des dispositions plus spécifiques concernant les technologies de mesure et de pilotage, représentent tous deux une opportunité d'accélérer la cadence. Des discussions sont d'ailleurs en cours, afin de travailler encore à abaisser certains seuils ou peut être à raccourcir certains horizons temporels.

On ressent bien aujourd'hui à la fois la valeur de ces technologies et la prise de conscience qui en découle car réaliser des économies d'énergie se voit désormais très concrètement sur la facture des entreprises ou des ménages.

Dans un tel contexte, vous avez également l'oreille du gouvernement concernant les enjeux de pilotage énergétique, qui sont remis sur le devant de la scène. Sur quels sujets portent vos échanges aujourd'hui ?

Le gouvernement est en effet très à l'écoute des propositions qui peuvent lui être faites et discutées au sein des groupes de travail avec les différentes industries. Pour le moment, on assiste à une forme de priorisation des propositions, qui peuvent avoir un impact à court terme, mais les discussions commencent aussi à s'ouvrir sur des propositions pouvant présenter un impact à le moyen terme, à la fois sur le résidentiel et le tertiaire.

Il existe entre autres une très forte attention qui est portée à la communication qui sera déployée vis à vis des ménages, afin que celle-ci soit assez pragmatique et pas trop anxiogène pour aider les consommateurs à mieux contrôler leur consommation d'énergie.

Vos discussions avec le gouvernement incluent-elles le sujet de nouvelles aides à développer pour s'assurer d'un déploiement plus massif de ces technologies, auprès du secteur résidentiel ou tertiaire ?

Pour l'heure, le gouvernement s'est quand même beaucoup concentré sur les mesures d'urgence et commence désormais à discuter de dispositifs qui touchent davantage le moyen terme et la planification.

Évidemment, la question des aides va se poser, mais il faut dire aujourd'hui que les systèmes de pilotage sont déjà relativement rentables. Tout l'enjeu va donc plutôt être de les systématiser en s'assurant, par exemple, que lorsqu'un industriel obtient un dossier de subvention en matière d'efficacité énergétique, le pilotage devienne un pré-requis.

Il sera aussi nécessaire de développer des dispositifs d'aides pour les ménages les plus modestes. Mais cela ne se résumera pas uniquement à celles-ci : le principal enjeu sera de se fixer des objectifs ambitieux et de se donner les moyens de former la filière, d'augmenter l'information disponible à la fois auprès des ménages et des professionnels, afin d'accompagner les ménages dans leurs rénovations.

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