Biogaz et acier vert : deux marchés où il existe « un pipeline d'opportunités énorme » en Europe (Diego Pavia, EIT Inno Energy)

DOSSIER BIOGAZ. Face au dossier devenu explosif du gaz russe, et désormais au refus de l'Europe de régler ses importations de gaz à la Russie en roubles, L'EIT Inno Energy, qui constitue le bras armé de l’investissement dans les nouvelles énergies de la Commission européenne, constate l’intérêt croissant des industriels, comme des investisseurs, en faveur du biogaz. Son directeur général, Diego Pavia, confirme que l’Europe pourrait ainsi récupérer jusqu’à 20% de son approvisionnement en boucle locale : car investisseurs, clients mais aussi technologie sont là. De même que pour un autre marché d'avenir : l'acier vert, cette fois en utilisant l'hydrogène dès à présent.
Il ne manque rien à la filière du biogaz : les investisseurs et les clients sont là, la technologie est disponible, et les capacités industrielles sont même en train d'être mises en place, estime le directeur général de l'EIT Inno Energy, Diego Pavia. Même chose pour l'acier vert, où dans le cas de figure suédois, les clients ont déjà signé des contrats d'achat de l'acier vert jusqu'à 2032.
"Il ne manque rien à la filière du biogaz : les investisseurs et les clients sont là, la technologie est disponible, et les capacités industrielles sont même en train d'être mises en place", estime le directeur général de l'EIT Inno Energy, Diego Pavia. Même chose pour l'acier vert, "où dans le cas de figure suédois, les clients ont déjà signé des contrats d'achat de l'acier vert jusqu'à 2032". (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - La guerre en Ukraine a bouleversé pas mal de choses, et soulève notamment des craintes que certains pays ne choisissent de revenir, plus ou moins temporairement, aux énergies fossiles ou au charbon pour retrouver de la souveraineté et pallier à l'urgence. Quelle est votre conviction à ce sujet ?

DIEGO PAVIA - Il faut pouvoir manger à la fois aujourd'hui, mais aussi demain. C'est pourquoi ce sera un peu des deux. C'est-à-dire que lorsqu'on arrête le gaz russe, il faudra aussi pouvoir le substituer par d'autres gaz non russes, et il faut le faire, mais en accélérant.

C'est le sens de l'annonce REPower EU de la Commission européenne (qui vise à atténuer la dépendance du gaz russe en misant notamment sur le déploiement des énergies renouvelables et des pompes à chaleur, ndlr). Tout ce que l'on devait faire va être fait plus tôt, en changeant les sources d'approvisionnement.

Avec cette nouvelle crise, on voit l'intérêt vers les projets de méthanisation et les biogaz bondir. Est-ce que c'est des projets que vous pouvez suivre ? Ce n'était pas dans vos axes prioritaires, mais est-ce que ça va le devenir ?

Les biogaz font partie des axes sur lesquels on travaille. On les suit depuis des années, mais on n'animait jusqu'ici pas de chaîne de valeur à l'échelle de l'Europe, comme c'est le cas pour l'hydrogène, les batteries ou le solaire. Mais on a des investissements dans certaines startups qui ont été faits il y a quelques années, on a C-Green en Suède, Naoden (pyrogazification), Arol (Biogaz)...

On a beaucoup d'actifs qui sont matures sur le marché et malheureusement, la crise en Ukraine provoque un besoin d'autoproduction d'énergie et crée un appel considérable pour ces actifs.

Nous y travaillons nous-même, et nous recevons d'ailleurs un certain nombre de demandes d'industriels qui veulent savoir quelles sont les innovations les plus matures dans ce domaine, afin de pouvoir les mettre en œuvre très rapidement.

Les biogaz, qui peuvent être issus de différents types de déchets (boues, eaux usées, etc) représentent une filière suffisamment mature aujourd'hui ?

Cette filière était en premier lieu moins visible, parce que jusqu'ici, le comparatif en termes de coûts lui était justement défavorable, face au gaz russe. Mais comme aujourd'hui, nous rencontrons une problématique sérieuse, tout simplement de disponibilité, c'est un nouveau champ qui s'ouvre sur ce secteur. Et il s'avère considérable.

Et à ce sujet, le gaz naturel que l'on produit grâce au procédé du biogaz lui permet ensuite de circuler au sein des réseaux existants de la même manière. C'est un énorme atout. Mais les volumes qu'on peut adresser avec le biogaz français, vis-à-vis des imports de gaz russe, américains ou même du Qatar, ne sont pas comparables.

Il y a un an, la molécule de biogaz était beaucoup plus chère alors qu'aujourd'hui, c'est totalement l'inverse et cela va rester comme ça pendant au moins 5 ans. Ces atouts qui étaient donc, du point de vue technique, industriel, matures et vont par conséquent recevoir un pipeline d'opportunités énormes en Europe.

Que manque-t-il finalement aujourd'hui pour que cette filière des biogaz passe à l'échelle : des investisseurs, des débouchés ? Ses défis sont-ils comparables à l'hydrogène ou aux batteries ?

On a assisté à la fois à une surprise, mais aussi à un changement d'échelle qui s'opère depuis la guerre en Ukraine.

Car il ne manque rien à la filière du biogaz : les investisseurs et les clients sont là, la technologie est disponible, et les capacités industrielles sont même en train d'être mises en place. Il n'y a plus qu'à franchir le pas, même si en volume, on ne peut pas s'attendre à récupérer plus de 20% de l'approvisionnement actuel.

Mais c'est une solution qui reste intéressante, à la fois dans une logique d'autonomie énergétique de l'Europe, mais aussi car les biogaz font travailler le monde agricole et génèrent des revenus locaux. Cette économie ruisselle ensuite au sein des territoires de manière très dispersée, et peut donc être vue, à l'échelle d'un Etat, comme une solution économique extrêmement séduisante.

Vous êtes également plus largement depuis 2020 aux manettes du Centre Européen d'Accélération de d'Hydrogène Vert (EGHAC), qui incarne un « effort sans précédent » pour le développement d'une économie de l'hydrogène vert : que reste-il concrètement à bâtir pour structurer cette filière sur l'ensemble de la chaîne ?

Il faut passer un message très clair à vos lecteurs que l'hydrogène : il faut quelqu'un qui le consomme. Beaucoup de projets actuels veulent créer et produire d'hydrogène, mais la question qui demeure est :  que va-t-on faire de cet hydrogène ?

S'il y a une demande qui veut de l'acier vert, des fertilisants verts ou des ciments verts, alors on peut construire la filière hydrogène : produire aujourd'hui de l'hydrogène uniquement en vue de le stocker n'est pas la bonne stratégie.

Les premiers cas de figures existants au nord de la Suède et sur lesquels nous travaillons déjà sont plutôt ceux de l'acier vert, qui est 100% renouvelable, dans un processus qui utilise de l'eau pour alimenter des électrolyseurs et créer de l'hydrogène, afin d'extraire ensuite l'oxygène du fer et de créer de l'acier vert.

D'ici peu de temps, nous pourrions annoncer des choses semblables dans l'Hexagone.

L'acier vert représente déjà 300 térawattheures soit environ près 80 % de la production française sur une année à décarboner, ce qui est déjà important. Ensuite, il y a des choses à faire dans le domaine des fertilisants, c'est encore 400 térawattheures, qui nous ajoutent des cibles de production d'hydrogène déjà pour pluiseurs années.

Enfin, le troisième débouché serait celui des mobilités lourdes et le quatrième, la décarbonation du ciment. Avec un avantage, qui est que l'hydrogène nous permettrait rien qu'avec ces quatre secteurs, de décarboner des industries jusqu'ici très polluantes.

Quelles sont les briques manquantes pour adresser dès à présent ces quatre applications ? On évoque souvent la question du transport de cette énergie comme l'un des maillons faibles ?

Notre vision, c'est aussi que la production d'hydrogène et la consommation devront être colocalisées sur un même lieu. Car l'utilisation des canalisations existantes pour acheminer l'hydrogène génère des surcoûts qui pourraient, dans les prochaines années, ne pas être viables économiquement.

Lorsqu'on dit que la production va être réalisée à un endroit et acheminée ensuite par des tuyaux, il faut qu'on étudier plus précisément l'équation économique. C'est un peu la même chose avec l'injection d'hydrogène dans des tuyaux de gaz naturel existants, car pour cela, il faut retrofiter l'ensemble des tuyaux conçus avant 2014, ce qui ne sera pas non plus bon marché.

Car la volonté de valoriser les actifs, et notamment les tuyaux de gaz actuels existe, mais à la fin, les investisseurs privés mettront l'argent là où cela fait sens. Il faut donc marier les deux approches et tenir compte de la réalité business.

La seule chose qui sera la plus viable, sera de bâtir des productions locales, là où se situe le besoin des consommateurs. Ce n'est pas nécessairement compliqué car si l'on reprend les marchés potentiels : il existe environ 1.200 sites de production d'acier en Europe, et peut-être 300 sites de fertilisants, et la mobilité lourde pourrait s'appuyer elle-même sur ce réseau.

On a souvent évoqué le fait que l'hydrogène, notamment dans les transports, mettra encore une échelle d'une décennie à arriver. Mais pour l'acier, pour les fertilisants, quelle est l'échelle de temps ?

C'est maintenant, et même hier ! Dans le cas de figure suédois, les clients ont déjà signé des contrats d'achat de l'acier vert jusqu'à 2032. La mise en service industrielle est prévue pour 2025-2026, donc c'est déjà engagé. Cela prend un peu de temps mais si les investisseurs sont déjà là et les offtakes sont déjà là.

On a aussi pu lire à différents endroits que l'hydrogène pouvait être une forme de « bulle » : vous défendez la vision que cela ne l'est pas si l'on va jusqu'à ces usages ?

Absolument, il s'agira de la seule façon de décarboner ces industries. Car aujourd'hui, on produit encore de l'acier avec du fer et du charbon, qui contient du carbone, donc du CO2. La seule façon alternative de décarboner l'acier est de le faire avec de l'hydrogène. Pour les fertilisants, c'est la même chose. Et c'est aussi la bonne nouvelle car nous allons pouvoir aussi nous appuyer sur ces technologies que nous sommes en train de développer en Europe pour les déployer ensuite à l'échelle mondiale.

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