Prix de l’énergie : « Notre société est encore trop dépendante aux énergies fossiles » (Alexandre Perra, EDF)

ENTRETIEN. A l’occasion d’une visite en Auvergne Rhône-Alpes, qui se place comme l’une des régions clés au cœur du mix énergétique développé par l’énergéticien, Alexandre Perra, directeur stratégie et innovation du Groupe EDF, est revenu en exclusivité avec La Tribune sur sa vision des grands enjeux induits par la décarbonation. Avec, pour le groupe toujours (soumis par ailleurs à un avenir incertain sur le plan Hercule), des pistes qui passent sans surprise par l’hydrogène et le nucléaire (et le sujet brûlant de l’évolution de la taxonomie européenne), mais aussi par des évolutions sur le marché du photovoltaïque, ainsi que des projets d’innovation.
Aujourd'hui, il faut quand même avoir en tête qu'un électron décarboné sur deux qui circule en Europe est un électron nucléaire. Exclure l'une des principales solutions bas carbone de la taxonomie européenne nous pénaliserait dans cette course contre la montre que représente la lutte contre le dérèglement climatique, souligne Alexandre Perra.
"Aujourd'hui, il faut quand même avoir en tête qu'un électron décarboné sur deux qui circule en Europe est un électron nucléaire. Exclure l'une des principales solutions bas carbone de la taxonomie européenne nous pénaliserait dans cette course contre la montre que représente la lutte contre le dérèglement climatique", souligne Alexandre Perra. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous venez de terminer une visite de deux jours en Auvergne Rhône-Alpes : quel était l'objectif de cette tournée ?

ALEXANDRE PERRA - Je me déplace régulièrement dans les différentes régions françaises. Mais cette visite avait une saveur particulière, et pas seulement parce que je suis moi-même Lyonnais.

La région Auvergne Rhône-Alpes est la première région d'implantation d'EDF, avec près de 23.000 salariés actifs dans chacun de nos métiers. Nous y produisons près de 20% de tout ce que nous produisons en France.

J'en ai également profité pour rencontrer des acteurs de l'innovation, comme l'entreprise de travaux publics Serfim, avec laquelle nous avons mené en juillet dernier le premier chantier urbain bas carbone jamais conduit en France. A cette occasion, nous avons montré qu'il y avait des solutions au problème des émissions de carbone liées aux travaux publics. Certes la production de ciment est aujourd'hui responsable de 7% des émissions mondiales de dioxyde de carbone, mais nous montrons qu'il est possible de construire avec un béton bas carbone.

EDF est d'abord un énergéticien : pourriez-vous rappeler en quoi ces questions de décarbonation des travaux publics vous touchent ?

EDF s'est donné pour mission de construire un avenir énergétique neutre en carbone qui place les enjeux de préservation de la planète au cœur de sa stratégie. Et il se trouve que l'électricité grâce aux innovations qu'elle permet offre une solution pour décarboner tous les secteurs aujourd'hui polluants.

Bien sûr, nous restons une entreprise qui produit et vend une électricité faiblement carbonée, grâce au nucléaire et aux renouvelables. Le parc de production d'électricité d'EDF permet à la France d'avoir une longueur d'avance sur le chemin de la neutralité carbone. Mais si l'on s'arrête là, cela ne suffira pas.

Notre objectif est aussi d'aider nos clients, particuliers ou entreprises, à se décarboner en adoptant par exemple des solutions de substitution de leur chaudière au fioul ou au gaz par des pompes à chaleur à électricité, en développant les usages de la mobilité électrique, comme dans le Grand Lyon où l'on contribue à l'installation de bornes (avec sa filiale Izivia, ndlr), ou encore en les équipant de panneaux photovoltaïques comme l'installation que nous avons réalisée avec le groupe Leclerc en installant 22.000 mètres carrés de panneaux solaires sur des ombrières des parkings.

En Auvergne Rhône-Alpes, l'innovation passe aussi par des partenariats de recherche avec petits ou grands groupes ?

Nous travaillons par exemple avec le cimentier Vicat, en Isère sur un projet visant à décarboner  la fabrication du ciment. L'objectif est d'aller récupérer le carbone émis, et de le recombiner avec de l'hydrogène lui-même produit sans carbone grâce à l'électrolyse de l'eau. A la fin, on obtient un produit qui s'appelle le méthanol, et qui peut servir de carburant de synthèse pour les bateaux par exemple.

C'est l'illustration même d'un procédé où l'on arrive à rendre le ciment beaucoup moins polluant en fabricant, à partir de ses émissions de CO2 captées, un nouveau carburant permettant de décarboner le transport. C'est un projet qui, nous l'espérons, verra le jour en 2025, grâce aux subventions du plan de relance.

Car si les technologies existent, ce qui pose problème aujourd'hui dans ce type de projet, c'est la réalisation économique. Ces solutions coûtent plus cher que de produire en émettant du carbone, d'où l'importance d'avoir un soutien public dans la durée.

On connait vos grands dossiers liés aux ENR et au nucléaire : mais finalement, la recherche et l'innovation d'EDF passent aussi aujourd'hui par des axes beaucoup plus larges ?

Notre premier métier reste la production et la commercialisation de l'électricité bas carbone. Mais l'électricité est aussi un vecteur qui permet de remplacer des usages fonctionnant aujourd'hui à base de pétrole ou de gaz. Ainsi, notre électricité peut décarboner les secteurs les plus polluants à l'échelle mondiale : et notamment, la mobilité, le logement, l'industrie et l'agriculture...

Cela passe par exemple par le remplacement des chaudières fioul ou gaz par des pompes à chaleur, mais aussi un travail sur l'efficacité énergétique, pour faire en sorte d'avoir moins de  déperdition d'énergie en récupérant et revalorisant la chaleur produite par exemple. EDF a également un rôle à jouer afin de développer l'énergie photovoltaïque, notamment en cohérence avec les besoins de l'agriculture.

Je pense à nos projets d'agrivoltaïsme qui permettent d'optimiser à la fois le rendement énergétique avec des panneaux qui captent le soleil, et le rendement agricole en laissant aussi passer la lumière pour en laisser profiter les cultures.

Lorsqu'on parle d'énergie décarbonée, on pense aujourd'hui à l'hydrogène vert, poussé de toutes parts. Mais pour y parvenir, la seule solution est de s'appuyer sur la production d'énergie nucléaire ou existe-t-il d'autres pistes ?

Pour qu'il soit vertueux, l'hydrogène doit en effet être produit sans émettre de carbone. Pour cela, la voie  que nous avons choisie consiste à produire cet hydrogène grâce à l'électrolyse de l'eau, qui sépare les molécules grâce à un courant électrique. Et l'important, c'est que cette électricité soit elle-même bas carbone. A ce titre, toutes les énergies faibles en carbone sont bonnes à utiliser.

Donc oui, il est vertueux de produire de l'hydrogène à partir du nucléaire, mais aussi à partir du solaire ou de l'hydraulique. En France, nous avons la chance d'avoir une électricité décarbonée à plus de 90%. C'est pourquoi le plus efficace reste de brancher l'électrolyseur directement sur le réseau d'Enedis, au plus près de son usage final.

L'un des points forts de la France, c'est aussi le nucléaire dont on a parlé en introduction. Sa part va-t-elle nécessairement augmenter au sein du mix, compte-tenu de la volonté affichée par l'Etat ?

La part du nucléaire ne va pas nécessairement augmenter. Elle devrait même baisser sur le long terme conformément aux objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie qui fixe à 50 % la part du nucléaire en 2035, contre 70% aujourd'hui.

Nous sommes engagés dans un programme d'allongement de la durée de vie de nos centrales nucléaires, mais nous ne pourrons pas les prolonger indéfiniment. C'est pourquoi l'Etat nous a demander de lui remettre un dossier exposant la manière dont une partie de nos centrales pourraient progressivement être remplacées par de nouveaux réacteurs.

Parmi les trois nouvelles paires d'EPR en projet, figurent deux sites existants en Auvergne Rhône-Alpes (Buget et Tricastin) et qui pourraient être amenés à se renforcer : pourquoi ceux-ci plus que d'autres, finalement ?

C'est le fruit d'une analyse multicritères qui tient compte du foncier disponible, du réseau de transport et d'autres caractéristiques. Mais aucune décision n'a été prise à ce jour et nous aurons l'occasion d'expliquer ces choix dans le cadre des débats publics locaux à venir.

Quand on voit cependant les échecs successifs des COP26 en matière d'engagement climatiques forts, mais aussi les présidentielles françaises qui arrivent, le gouvernement est-il vraiment en mesure d'impulser prochainement la construction de nouvelles centrales ?

C'est un projet industriel majeur pour la France, sur lequel EDF est pleinement mobilisé et on voit bien aujourd'hui que le sujet se trouve aussi au cœur des préoccupations à la fois citoyennes, médiatiques et politiques.

Autre enjeu : la taxonomie des énergies vertes à l'échelle européenne. Le nucléaire (comme le gaz) ne fait pas encore partie des champs reconnus comme une énergie verte et pouvant donner lieu à des investissements « verts ». Cependant, la France soutient une évolution de ce règlement. Est-ce plus largement, selon vous, une condition « sine qua non » pour accompagner la construction de centrales ?

Il s'agit en effet d'un sujet structurant afin de mettre en place un système électrique décarboné. Car il est aujourd'hui essentiel pour que l'Europe atteigne son objectif de neutralité carbone et son calendrier, vis-à-vis de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Aujourd'hui, il faut quand même avoir en tête qu'un électron décarboné sur deux qui circule en Europe est un électron nucléaire. Exclure l'une des principales solutions bas carbone de la taxonomie européenne nous pénaliserait dans cette course contre la montre que représente la lutte contre le dérèglement climatique.

Même si par exemple, l'Allemagne a pris une position complètement contraire à la France en matière de nucléaire ?

Je ne me prononce pas sur l'Allemagne, mais il est certain que si le nucléaire n'entre dans la catégorie des investissements favorisant la neutralité carbone, atteindre les objectifs climatiques européens sera plus difficiles encore.

En parallèle, comment voyez-vous l'avenir de la filière photovoltaïque, alors que son modèle économique semble encore difficile à pérenniser ? On a vu que sur le plan local, EDF a repris le fabricant de panneaux Photowatt avant de vouloir s'en départir, même si l'Etat s'est prononcé pour l'instant en faveur d'un statut quo.

EDF a lancé un plan solaire en France qui vise à faire décoller cette énergie. Mais le problème, c'est que l'Europe n'a pas su protéger son industrie photovoltaïque et que le marché à été inondé par les produits asiatiques.

On n'a pas réussi à faire reconnaître suffisamment rapidement le bénéfice qu'il y avait à produire en France ou en Europe. Nous avons mené ce combat au niveau européen et nous l'avons perdu. La question est désormais de savoir si les enjeux de souveraineté industrielle et économique mis en lumière par la crise sont de nature à améliorer les choses ? Pour cela, il faut que l'Union européenne adopte une véritable politique industrielle qui donne un avantage net à la production locale décarbonée.

Aujourd'hui, vous conservez finalement Photowatt au sein du groupe EDF. Est-ce que vous avez une vision ou une piste pour son avenir, ne serait ce que, par exemple, d'acheter les panneaux pour vos propres chantiers, comme cela a été pointé par les syndicats ?

Nous installons bien entendu des panneaux de Photowatt sur nos propres chantiers. Photowatt est une entreprise qui fait face à de forts enjeux en matière de compétitivité et nous accompagnons l'entreprise pour qu'elle trouve sa place sur ce marché très concurrentiel, notamment, lorsque leurs panneaux peuvent être utilisés pour des cas d'usages qui autorisent à recourir à des panneaux plus coûteux.

On a beaucoup parlé du plan Hercule récemment, mais aujourd'hui, ce dossier a été reporté au printemps. Face à tous les enjeux dont on vient de parler, sera-t-il possible de le faire avec un groupe EDF scindé en deux ? En termes de stratégie, cette division a-t-elle du sens ?

Il ne s'agissait pas de scinder le groupe mais de créer un grand champion de la transition énergétique. Ce projet a été reporté par le gouvernement. Des échanges avec la Commission européenne se poursuivent actuellement.

Question stratégie également, le numérique, et notamment les solutions de pilotage, font désormais partie du paysage en matière d'innovation. Seront-ils amenés à prendre une place centrale au cours des prochaines années pour accompagner en matière énergétique ?

Il s'agit en effet d'un grand levier en matière d'économies d'énergie et de flexibilité : prenons le cas d'un véhicule électrique, qui pourra choisir de se charger grâce à une solution de pilotage au bon moment, en fonction de l'état du réseau, et donc aux heures les moins coûteuses. C'est aussi le numérique qui va permettre de placer, à l'avenir, la voiture comme une source potentielle de production d'énergie, en transférant également celle-ci de la batterie vers le réseau d'électricité.

A travers les smart grids, le numérique deviendra un moyen qui permettra de mieux contrôler la consommation et la production électrique. Toutefois, il faut se rappeler que c'est aussi un secteur particulièrement consommateur d'énergie, que nous devons également décarboner.

A ce sujet, nous avons créé une filiale, Exaion, qui est une start up éco-responsable du cloud computing qui s'engage à développer des solutions pour limiter au maximum l'empreinte carbone de son activité.

Et pour finir, l'électrification fait également émerger des craintes de pénurie, mais aussi de volatilité des prix. Questionné à ce sujet, RTE assurait qu'il n'y aurait pas de craintes majeures à avoir concernant la capacité du réseau électrique français à faire face à ces pointes de consommation attendues. Il en est de même pour vous ?

Comme vous l'avez rappelé, c'est RTE qui est en charge d'assurer l'équilibre offre-demande d'électricité et la sécurité d'approvisionnement. L'accélération de l'électrification des usages dans tous les secteurs engendrera une forte croissance de la consommation d'électricité. Nous devons continuer à développer un mix décarboné, avec des énergies renouvelables et du nucléaire, pour permettre l'électrification des usages qui utilisent actuellement sur les énergies fossiles. En revanche, ce sont des décisions qui se prennent bien des années avant de voir les premiers électrons produits.

C'est pourquoi RTE appelle à des décisions rapides sur le sujet. Mais il faut aussi interroger nos modes de consommation pour parvenir à consommer globalement moins d'énergie. Faire évoluer nos consommations prend également beaucoup de temps :  on rénove aujourd'hui seulement 1% des logements par an.

Concernant les coûts de l'énergie, dont on a beaucoup parlé suite à la crise sanitaire, des hausses de coût sont-elles encore à craindre et pourraient-elles s'avérer durables face à un marché de l'électrification en pleine transformation ?

Globalement, les consommateurs français continuent de payer leur électricité bien moins chère que leurs voisins européens. Mais il est vrai que les prix de l'électricité sont aujourd'hui tirés à la hausse, en premier lieu en raison de la hausse du prix des énergies fossiles, et en particulier du gaz, dont les prix se sont envolés. Cela démontre que notre société est encore trop dépendante des énergies fossiles.

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Commentaires 2
à écrit le 16/12/2021 à 19:12
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Je dirais mieux et plus simplement; Notre société est encore trop dépendante des énergies! Reprenez votre moulin a café a manivelle!

à écrit le 16/12/2021 à 14:04
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Ce monsieur oublie de dire que les centrales nucléaires de Civaux et de Chooz,les deux plus modernes du parc, sont à l'arrêt total.Mais ce n'est pas tout: depuis l'été entre 30 % et 50 % du parc nucléaire est à l'arrêt , pour ...des causes non décla...

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