"La CNR ne peut pas vivre dans sa bulle"

2023 fixe le renouvellement de la concession du Rhône pour la Compagnie Nationale du Rhône. Aujourd’hui la CNR dispose-t-elle de toutes les armes pour s’assurer le marché ? Interview de sa présidente, Elisabeth Ayrault.
Elisabeth Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône ©Emmanuel Foudrot/Acteurs de l'économie

 Voilà bientôt neuf mois que vous avez été nommée à la présidence du directoire de la CNR. A l'issue de cette « gestation », quel premier bilan dressez-vous ?

Sans flagornerie : enthousiaste. Je peux y exprimer mon appétence ancienne pour les enjeux de développement durable et les problématiques environnementales, j'ai découvert une entreprise riche d'une grande histoire et d'un sens aigu de l'intérêt général, je trouve passionnant l'objet même de l'établissement : l'aménagement d'un Rhône qui est un corps vivant, en perpétuel mouvement et autour duquel nous développons une multitude de compétences.

Vous êtes arrivée en provenance de Sita France, dont vous étiez directeur général, et avez succédé à Yves de Gaulle parti plutôt rapidement…

Le directoire, en fin de mandat, devait être renouvelé. Deux membres sur trois, dont Yves de Gaulle, n'ont pas été reconduits dans leurs fonctions.

Vous êtes aux commandes d'un établissement atypique. Depuis 2003 et la cession - controversée - par le Département du Rhône de sa participation, les collectivités et institutions publiques détiennent 50,03% du capital, et GDF-Suez 49,97%. A l'époque, au sein d'une entreprise qui baignait depuis soixante-dix ans dans une culture résolument publique, ce fut vécu comme un électrochoc social dont il demeure des résurgences. La manière de manager en découle…

Le management est à l'image de cette répartition du capital : équilibré. J'ai découvert, là encore, une entreprise en effet « historiquement » très empreinte - et très fière - de cette identité publique, dans laquelle les salariés (1 361 à fin 2013, ndlr) avaient trouvé matière à honorer une vraie mission d'intérêt général. C'est une force. Ni cette identité ni cette force ne sont remises en question. Bien sûr, on ne peut nier que des résistances de nature dogmatique se sont exprimées après 2003. Et c'est normal, car tout changement génère de l'angoisse. Mais depuis les salariés ont mûri puis admis que le projet d'entreprise et l'environnement général nécessitaient des évolutions et une connaissance pointue des marchés de l'électricité. Le management a également accompagné ces changements en tenant compte de la culture de l'entreprise. Et c'est là qu'intervient particulièrement le savoir-faire de GDF-Suez. La véritable bascule de la CNR n'est pas datée à 2003, mais trois ans plus tôt. En 2000 est prononcée la libéralisation du marché de l'électricité, ce qui signifie pour l'entreprise de quitter son seul statut de producteur pour adopter celui, aussi, de commercialisateur. En d'autres termes, passer d'un centre de coûts à un centre de profits. Une véritable révolution de mentalité, de process, de compétences. Et je suis stupéfaite de la vitesse avec laquelle la CNR a réussi cette transformation.

La Caisse des dépôts, qui détient à elle seule 33,2% du capital, est-elle appelée à maintenir un niveau d'engagement aussi élevé ?

Rien ne laisse penser que ce ne soit pas le cas. Surtout si je m'appuie sur le fait que la CDC semble vouloir accroître sa participation à l'occasion du renouvellement d'un certain nombre de concessions hydrauliques.

La Loi Murcef fige, pour l'heure, la structure capitalistique de la CNR. Mais elle n'est pas irréductiblement sanctuarisée, et on devine que Gdf-Suez aspire à prendre le contrôle de l'établissement….

J'ignore ce que le gouvernement souhaitera décider dans les mois ou années à venir. Le chantier du renouvellement des concessions ou celui de la transition énergétique l'amèneront-ils à reconsidérer les schémas  atypiques du type de celui auquel la CNR est agrégé ? Je ne sais pas. Seule certitude : pour l'heure, l'ensemble des parties prenantes juge ledit schéma équilibré, et GDF-Suez est satisfait. Pour preuve, les décisions au sein du conseil de surveillance sont prises à l'unanimité.

Mais lorsqu'un groupe industriel intègre le capital d'une entreprise, ce n'est pas pour se contenter de 49,97%...

Tout groupe dans cette situation peut avoir l'ambition de prendre à terme le contrôle. Mais si cette logique pouvait être valable il y a dix ans, elle n'est plus du tout d'actualité, non seulement parce que le cadre juridique ne s'y prête pas, mais surtout parce que cela n'entre nullement dans nos souhaits.

Energies hydraulique, éolienne, solaire : voilà les trois domaines de métiers de la CNR. Des domaines en faveur desquels vous deviez sans doute attendre du gouvernement « socialo-écologiste » une politique et des mesures autrement plus audacieuses….

C'est avec impatience que nous attendons la loi sur la transition énergétique, car elle déterminera la feuille de route et le cadre de travail d'acteurs comme la CNR. Que le sujet soit mis en débat constitue une satisfaction, mais c'est seulement à l'issue de la promulgation de la loi que je pourrai me prononcer.

La problématique des énergies renouvelables doit être considérée dans son ensemble, car les différents domaines s'articulent indissociablement. Pour l'heure, l'insuffisante attention portée à l'énergie hydraulique nous frustre, et nous savons tous qu'en matière d'énergies éolienne et solaire, la France accuse un retard. Elle a eu l'intelligence par le passé d'investir massivement dans le nucléaire et aujourd'hui elle a cette même intelligence de sortir du tout nucléaire. Il y a de la place pour tout le monde.

La CNR est rivée à une date : 2023. C'est à ce moment que la concession du Rhône arrivera à son terme et fera l'objet d'un renouvellement. Comment préparez-vous une telle échéance et l'irruption possible de concurrents ?

Une entreprise ne peut pas vivre dans sa bulle. L'essentiel de nos efforts doit se porter sur une meilleure visibilité de notre modèle, unique et performant. Un modèle équilibré entre intérêts publics et privés, fondé sur une gouvernance efficace, et qui profite concrètement à l'Etat, premier bénéficiaire puisqu'il perçoit environ la moitié du chiffre d'affaires (1,4 milliard d'euros en 2012 pour un résultat net de 217 millions). Par ailleurs, depuis dix ans, la CNR a étendu ses savoir-faire aux énergies éolienne et photovoltaïque, s'intéresse aujourd'hui aux hydroliennes (énergie marine) et propose son expertise hydroélectrique et fluviale à l'international - environ un tiers de l'activité de notre centre d'ingénierie s'y consacre. Sur tout cela, nous devons savoir capitaliser pour préparer l'échéance de 2023.

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