Feu Vert : vers une vente imminente ?

Selon nos informations, la vente du réseau de centres autos Feu Vert (7 500 collaborateurs et 830 millions d'euros de chiffre d'affaires) pourrait intervenir très prochainement. Promise en premier lieu à un fonds (Colony Capital ?), elle conclurait alors un LBO à bout de souffle et une laborieuse stratégie de cession. Enquête sur une « belle endormie ».

« La société n'est pas à vendre », claque fermement Paul Costa de Beauregard, directeur général délégué de Qualium Investissement, son actionnaire majoritaire. En réalité pourtant, ce n'est plus qu'une question de mois, voire même de semaines : le groupe Feu Vert devrait prochainement changer de main. Exit alors la filiale de la Caisse des dépôts et détentrice de 60 % du capital du holding de tête Financière Cofidim (couvrant les activités France de Feu Vert SAS, les filiales espagnole, portugaise et polonaise, Mondial pare-brise, et la société de négoce d'accessoires Impex), et place à un industriel ou un nouveau fonds séduits par une enseigne dont l'histoire récente est emblématique des vertus... et des vices caractéristiques des LBO (Leverage Buy-Out, dispositif de financement par endettement bancaire).

830 millions d'euros de chiffre d'affaires

La société de 7 500 collaborateurs (franchises comprises, à hauteur de 2 800 salariés) et 830 millions d'euros de chiffre d'affaires consolidé sise à Écully, dans la banlieue lyonnaise, s'apprête en effet - et enfin, après deux années d'atermoiements - à ouvrir un nouveau chapitre de son histoire. Une histoire quarantenaire longtemps dominée par la seule logique industrielle et expansionniste puis, à partir de 2007 et de manière exacerbée cinq ans plus tard, par des exigences financières qui ont peu à peu teinté l'ADN d'une nouvelle coloration aux manifestations ambivalentes.

310 centres en France et 118 à l'étranger

C'est en 1972 qu'André Arcan pose la première pierre d'un réseau de distribution d'équipements automobiles, auquel sept ans plus tard il commence d'agréger des prestations de réparation rapide. Ainsi naissent les centres autos, désormais au nombre de 310 en France et de 118 à l'étranger, sous statuts sensiblement équivalents de succursales (40 %) et de franchises (60 %). En 1989, le groupe Monnoyeur, représentant la marque Caterpillar dans l'Hexagone et une partie de l'Europe et du Maghreb et désireux de diversifier une activité vassalisée à d'importantes fluctuations, acquiert Feu Vert. S'ensuivent près de deux décennies d'importants développements, non seulement dans la péninsule ibérique mais aussi en France, au gré du rachat successif des centres autos Casino (en 1998, 52 points de vente) puis Carrefour (2002, 54 sites), et aussi en 2000 d'une majorité du capital de la société Mondial pare-brise.

Des opérations qui accélèrent le rééquilibrage des établissements, au profit d'une internalisation jusqu'alors très largement dominée par le réseau franchisé. En 1998, l'enseigne stéphanoise de grande distribution prend possession de 38 % du capital et, au-delà même de son départ huit ans plus tard à quelques encablures du LBO, pourvoit le management financier de Feu Vert de quelques cadres élevés à « l'école Naouri » - de son prénom Jean-Charles, Pdg du groupe Casino. En tête, Pascal Announ, directeur financier de Financière Cofidim, suivi plus tard de Régis Taillandier, au même poste dans le périmètre Feu Vert SAS.

Feu Vert

Entrée en scène de Qualium Investissement

Puis en mai 2007, le groupe Monnoyeur « réalise » son investissement. Pour 420 à 460 millions d'euros selon les sources, il cède 66 % du capital à Qualium Investissement - qui rétrocède six points au management - selon un montage classique, financé par au moins 50 millions d'euros de fonds propres, environ 100 millions d'euros de lucratives obligations convertibles et 250 à 300 millions d'euros de crédits bancaires [la direction du fonds s'est refusée à détailler ledit montage, NDLR]. Le LBO, selon l'un de ses architectes « fondé, car répondant favorablement aux trois critères clés d'un cash flow significatif et récurrent, de dépenses d'investissement de capital raisonnables, d'une notoriété de marque élevée - elle serait spontanément de 51 %, NDLR - », est programmé pour cinq ans. L'EBITDA, dont l'actuel président Bernard Perreau refuse de communiquer le volume 2014, est alors confortable.

Un EBITDA atone

Mais en ce printemps 2007, l'euphorie qui électrise le cénacle financier international est à son crépuscule. Paul Costa de Beauregard le concède lui-même, à l'aune des confessions de son principal partenaire bancaire BNP Paribas alors inquiet des premiers signes de l'imminente déflagration planétaire : « A quinze jours près », la syndication de la dette était refusée et donc la transaction échouait. Particulièrement sous le joug d'une crise espagnole qui, à partir de 2008, frappe très durement les activités locales de Feu Vert - la profitabilité, à l'origine de 16 millions d'euros, sera brutalement divisée par deux - et d'une activité polonaise encalminée - l'atomisation extrême d'un secteur encore largement tenu par des indépendants mono-emploi semble d'ailleurs condamner toute espérance de développement -, l'EBITDA consolidé du groupe, espéré à 65 millions d'euros à partir de 2010, vacille.

Selon nos informations, il plafonnait à 48 millions fin 2014, et pour Feu Vert SAS à 32 millions. « Les exigences de rendement et les TRI (taux de rentabilité interne) qui servirent de base au montage de 2007 - 52 millions d'euros d'EBITDA cette même année, NDLR - ne sont plus d'actualité », reconnaît-on dans l'entourage du président.

Feu Vert

Echec des précédentes tentatives de vente

D'où l'échec des tentatives de vente à partir de 2012, d'où aussi la nécessité au printemps 2015 d'accomplir un refinancement de 230 millions d'euros - contracté pour l'essentiel auprès de BNP Paribas et subordonné à des obligations mezzanines dont le remboursement est étagé jusqu'en 2022 -, officiellement consacré en priorité aux investissements d'avenir et autres développement organique ou opérations de croissance externe, en réalité affecté pour partie à solder le remboursement du LBO originel. « Huit ans pour s'acquitter de 100 à 150 millions d'euros de dettes, n'est-ce pas une anomalie ? », objecte un ancien cadre dirigeant aux explications rassérénantes de Paul Costa de Beauregard. Imaginer sur la base de huit fois l'EBITDA (plus exactement dans une fourchette comprise entre sept et dix fois) la cession d'une entreprise mature, copieusement fardée avant le LBO et cinq ans plus tard « quasiment au même niveau », ne relève-t-il pas de la chimère ?, s'interroge-t-on au plus près du président.

Mariée embellie

Certes, la mariée n'aura pas manqué d'astuces d'embellissement ces dernières années - optimisation du BFR et des stocks, gestion sociale au cordeau avec pour la seule année 2014, 460 embauches pour 602 départs, et la réduction à six du nombre de directeurs régionaux -, mais au prix, déplorent plusieurs cadres récemment évincés et des responsables syndicaux, d'une altération des services, de l'image, et de la stratégie de l'enseigne. Pour preuves, soutiennent-ils en écho à un ancien dirigeant dépité par les « blocages » récurrents exercés par la tutelle lors des décisions d'investissement, le nivellement vers le bas d'une enseigne « qui dorénavant fait pitié » par rapport à l'éternelle rivale, Norauto - Mobivia Groupe, qui la coiffe ainsi que Midas, est propriété de l'association familiale Mulliez -, qui, « elle », a su miser sur des domaines non rémunérateurs dans l'immédiat mais vertueux à moyen terme : modernisation des infrastructures, développement durable, mobilité urbaine, etc., qui concomitamment élèvent son image de marque et relèguent voire ringardisent celle de son adversaire.

Feu vert

« L'erreur » Speedy

Il en est également de son appréhension de la systématisation, programmée pour le 1er janvier 2017, de l'éco-entretien (contrôle pollution des véhicules) : « Les équipes de Norauto sont déjà prêtes, les nôtres en sont bien loin », confesse un conseiller de Feu Vert. Un défaut d'anticipation, symptôme supplémentaire des déficiences provoquées par la double obsession des coûts et de l'immédiateté. D'ailleurs, quelle autre stratégie que celle de magnifier l'entreprise avant de la céder, le management décisionnel a-t-il véritablement poursuivi ces dernières années ?, s'interrogent en substance la plupart des protagonistes.
Même l'opportunité de racheter à l'hiver 2011-2012 le réseau Speedy alors lourdement défaillant ne fut pas accomplie. « Quelle erreur stratégique ! Et en tant qu'actionnaire, cela m'est resté en travers de la gorge », peste l'ancien directeur de la communication Pascal Fraumont, à l'aune du faible prix (environ 10 millions d'euros), de la complémentarité apportée par le réseau leader dans la filière « atelier », de son avance considérable dans l'activité « flotte » (25 millions d'euros de chiffre d'affaires contre quatre pour Feu Vert), et donc de l'opportunité de « raccrocher » la locomotive Norauto.

« La faute incombe à l'absence de volonté véritable, de prise de risque industrielle, et sans doute de « jeux politiques » propres à la Caisse des dépôts, au seuil de solder le LBO, soutiennent d'anciens membres du comité de direction. « Vous pouvez innover », exhorte le directoire, « mais qu'est-ce que ça nous rapporte à court terme ? », complète-t-il aussitôt. Une totale contradiction ». Et même un oxymore, symptomatique d'une situation simplement archétypale de tout LBO, pour l'accomplissement duquel la hiérarchie des actions engagées peut ne pas coïncider avec l'intérêt industriel et à long terme de l'entreprise, du corps social et de l'emploi.

Un corps social exposé

« Mais pouvait-il en être autrement ? Qu'est-ce que le plus éminent technicien de la finance qui ne s'est jamais égaré au-delà du 8e arrondissement parisien peut-il bien (vouloir) comprendre d'une entreprise où l'on a, au sens propre et pour de vrai, les mains dans le cambouis ? », s'émeut, à l'unisson d'autres observateurs, un banquier à l'évocation de Qualium. Les mains dans le cambouis, c'est bien en effet la caractéristique des métiers et de « l'entreprise » Feu Vert.

Chaque site, qu'il soit succursale ou franchise, centre auto (réparation et ventes d'accessoires) ou « seulement » atelier (Feu Vert services, une trentaine de sites appelée à se développer mais encore insuffisamment), en moyenne emploie douze à quinze salariés chapeautés « d'une main de fer » par un directeur, produit un chiffre d'affaires de 1,5 à 1,8 million d'euros, génère un résultat net d'environ 5 % et peut être valorisé lors d'une cession environ 40 % du chiffre d'affaires annuel. Le secteur est très majoritairement masculin bien sûr - y compris dans les sphères décisionnelles -, rude, exposé à des cadences élevées, des conditions de travail ardues, et des exigences de résultat quotidiennes. Et, le concède un professionnel des ressources humaines, « n'attire pas la crème des mécaniciens ». « La pénurie de main d'œuvre est d'autant plus problématique que le niveau des compétences requises ne cesse de croître », complète Bernard Perreau. Bref, un management de proximité complexe et exigeant, destiné à un public que l'ancien président Claude Chavet estime « à la fois passionné, amoureux de la mécanique et de la distribution, et confronté à de substantiels niveaux de stress ».

Turn over élevé

Vidanges, changement de pneus ou de plaquettes de freins, constituent l'essentiel des tâches, qui se sont toutefois peu à peu étendues à une panoplie plus large - climatisation, courroie de distribution, etc. - jusqu'à, affirme Bernard Perreau un brin bravache, accomplir « 98 % » des prestations des réseaux constructeurs. La filière est assujettie à une convention collective des Services de l'automobile qui sanctuarise l'ancienneté au gré des changements d'employeur (dispositif de capital de fin de carrière) et donc qui favorise un turn over élevé et même, concède Bernard Perreau, « une certaine infidélité ». « Élevé dans l'ensemble de la filière, puisqu'il est de 16 % selon l'OBSA (Observatoire des services de l'automobile), et particulièrement élevé chez Feu Vert, puisque le bilan social le place à 35 %. Il est « seulement » de 22 % chez Norauto », détaille de son côté le délégué syndical central CFDT Jean-Yannick Leroux, courroucé par les « nombreux » exemples de harcèlement, d'épuisement, de discrimination syndicale, et même de « manipulation » ourdie par des responsables pour propulser le « syndicat maison » CFTC en tête des récentes élections professionnelles d'avril 2015 - cette dernière a bondi à 60 %, la CFDT s'est effondrée de 49 à 25 %, et la CFE-CGC a disparu. Ce que corrobore le sévère rapport sur la situation sociale et managériale produit en 2010 par Technologia, cabinet spécialiste des risques psycho-sociaux.

« Dégradation du vivre-ensemble »

Pêle-mêle, son auteure repérait une « qualité dégradée du vivre-ensemble », constatait que « peu de salariés évoqu[ai]ent une quelconque fierté d'appartenance et s'enorgueilliss[ai]ent de travailler pour la marque », déplorait des « fonctionnements très individualisés » et « une violence des rapports sociaux portant atteinte à la dignité des salariés », stigmatisait un déficit élevé d'appartenance et une distanciation contraires au fondement d'une édification communautaire, enfin isolait des « éléments de déstabilisation de l'identité de l'entreprise » résultant d'une succession de conflits intra et inter individuels autour des questions sur le travail... Un dialogue social « atone », un président « désormais quasiment invisible », un climat « fortement dégradé », une gestion financière des établissements « de moins en moins supportable », et une politique RH inféodée aux ratios comptables : comme le résume le délégué syndical central FO Christophe Chambon, sur les terrains social et managérial les répercussions du LBO sont vivaces.

« L'homme est devenu la variable d'ajustement de la stratégie court-termiste imposée par le dispositif », résume un ancien cadre dirigeant. « 43 % : c'est la marge sortie de caisse qui, il y a encore peu, nous était réclamée. Elle a été portée à 52 %...», déplore le délégué syndical CFDT François Chevanne. Et les méthodes inhérentes à son accomplissement occupent un large spectre sur l'échelle des « valeurs ». Cohabitent celles dites tolérables - « chaque matin nous sont rappelés les ratios des tâches qui margent le mieux et que nous devons impérativement réaliser : tant de parallélismes, de liquides de freins, etc. » - et les moins avouables - « des employés invoquent les « raisons de sécurité » pour convaincre des clients crédules de changer des trains de pneus pourtant bons pour la route »...

Feu vert

Choc des cultures

Cette course contre la montre imposée par le calendrier du LBO a connu, à partir de 2012 et 2014, une brutale accélération. 2013 consacre la promotion au rang de président de Financière Cofidim de Bernard Perreau, désigné en 2009 par Qualium au poste de directeur général puis de président de Feu Vert. Ce diplômé de HEC (MBA) aujourd'hui âgé de 51 ans, père de dix enfants et ex-directeur général du groupe Ludendo / La Grande Récré, a la lourde tâche de succéder au désormais retraité Claude Chavet, le charismatique patron aux commandes du groupe depuis une quinzaine d'années. Un patron « à l'ancienne », c'est-à-dire plus entrepreneur que financier, davantage paternaliste que procédurier, gardien d'une convivialité festive et créative, « aussi direct et sévère qu'empathique, loyal et intègre », confient ses anciens collaborateurs. Surtout, un professionnel que la qualité des relations humaines, l'expertise technique, l'appétence au dialogue social, la fulgurance stratégique, la connaissance aiguë des chiffres et l'âme de bâtisseur et de fédérateur, légitiment dans l'ensemble du réseau ; il est celui qui a ensemencé puis enraciné un « fort sentiment d'appartenance ».

Y'a -t-il un pilote dans l'avion ?

Le profil de celui qui le remplace diverge. Bernard Perreau est affable, dynamique, « audacieux », très « politique » et, confient même des contempteurs, « disposé au dialogue, au consensus et à faire confiance », ses compétences en finance sont incontestées ; mais il est « aussi » celui qui « tergiverse et change d'avis », « manque de vision », « est prisonnier d'un égocentrisme et d'un manque de confiance qui déstabilisent et déconcertent l'entourage ». Pascal Fraumont résume le premier au « constructeur » de la charpente, le second au « développeur » de l'édifice.

Surtout, Bernard Perreau est celui qui apparaît « tout entier » dans l'accomplissement des conditions du LBO, et à ce titre est considéré « insuffisamment concerné » par l'avenir industriel et stratégique et par les volets social et managérial de sa responsabilité. « Il ne participe même plus aux réunions cadres des partenaires sociaux, et en 2015 lors du grand raout annuel du groupe, il s'est rapidement éclipsé, affirme François Chevanne. L'impression est qu'il n'y a plus vraiment de pilote dans l'avion, et que lui-même est « ailleurs ». Peut-être sur le départ ». La nature a horreur du vide, et Bernard Perreau, par ailleurs enclin à fortement déléguer au contraire d'un Claude Chavet « réticent » à faire grandir les autres par peur de l'échec ou que la bâtisse se lézarde, semble devoir asseoir et même se réapproprier une légitimité et une autorité publiques, et une capacité d'entraîner et de fédérer inévitablement comparées à celles, naturelles, dont jouissait son prédécesseur. Est-ce autant pour cette raison que pour celle de combler les brèches et retards financiers que la composition du management décisionnel a été significativement bouleversée ces deux dernières années, officiellement pour consolider au « niveau groupe » des compétences jusqu'alors circonscrites aux business units ?

Management profondément renouvelé

La stabilité sur laquelle s'était fondé depuis 2007 le fonctionnement de la gouvernance vole en effet en éclats. Exit le directeur des ressources humaines Franck Bichet, le directeur de la diversification financière et ancien secrétaire général Jean Charbon, le directeur financier Stéphane Toulouze, le directeur des réseaux Alejandro Ganzarain... Et selon nos informations, la liste des départs forcés - les directeurs juridique, de la communication et des achats sont également partis, mais à la retraite - pourrait être prochainement étendue. Une hémorragie provoquée et pour partie sans doute nécessaire pour revivifier la dynamique et la créativité d'ensemble - « était-il bien normal que je demeure 27 ans dans la même boutique ? », concède, lucidement, l'ancien directeur de la communication -, et jugulée partiellement par un jeu de chaises musicales selon des observateurs « guère cohérent et donc guère performant ».

Bernard Perreau, ubiquiste malgré lui

Ainsi, sont « incorporés » un nouveau directeur financier du groupe Feu Vert (Régis Taillandier), un nouveau directeur de la communication et du marketing (Jean-Philippe Hénaff, en provenance de Toupargel), un nouveau directeur de la supply chain (Denis Berthier, issu de Brossette). Et voient leurs champs de compétences élargis le directeur de Feu Vert International (dorénavant aussi en charge des réseaux et du développement étrangers), le responsable des achats et du marketing France (désormais aussi directeur du marketing Europe et de la centrale d'achat de Genève), le directeur des ressources humaines Espagne (en charge de cette même responsabilité aussi pour l'ensemble du groupe tout en demeurant basé dans son fief). Manque tout de même « cruellement », toujours pour des raisons budgétaires, un directeur général pour escorter un président multisollicité, ubiquiste malgré lui. In fine s'impose une organisation bien plus horizontale que du temps de Claude Chavet, correspondant là encore aux singularités des deux profils et des deux styles managériaux.

« Je ne me sens pas menacé »

Et un nouvel organigramme dont l'homme fort a pour nom Pascal Announ, le directeur financier du holding, dont l'autorité grandissante a résulté de la proximité de la cession, des besoins de refinancement, et de l'aura contestée du président. Un brillant technicien de la finance, réputé dans son milieu, vers lequel chaque paire d'yeux est tournée et auquel toutes sortes d'ambitions sont prêtées. Notamment, en dépit d'une personnalité volontiers jugée « trop peu charismatique » pour y prétendre, celle de prendre les rênes du groupe au gré du prochain changement de propriétaire, cristallisant ainsi les interrogations, pesantes, qui lestent l'appréciation du fonctionnement du tandem formé avec Bernard Perreau et intégré à un directoire que complètent Jean-Yves Lacroix (dirigeant très apprécié d'Impex, « riche » de 307 salariés et 95 millions d'euros de chiffre d'affaires) et Ricardo Lopez Francos. « Nous sommes complémentaires et je ne me sens pas menacé », réplique, énigmatiquement, Bernard Perreau, alors que d'aucuns confinent désormais l'essentiel de sa responsabilité à « une courroie de transmission » vers Paul Costa de Beauregard, également président du conseil de surveillance.

« Qui est le patron ? »

« Qui est désormais le véritable patron ? ». À cette question, aucun interlocuteur, même au plus près du président, ne se hasarde à répondre. Surtout que, selon un banquier, une partie du management financièrement impliqué dans le LBO, inquiet de l'avenir et « douché » par des perspectives de plus-values très éloignées des promesses, aurait durci ses relations avec Bernard Perreau. Les observations, sévères, de l'un des plus emblématiques d'entre eux, l'illustrent : « Bernard était tout à fait légitime à vouloir impulser une nouvelle dynamique au sein de la gouvernance ; mais il est faux de croire que ce dessein devait forcément passer par le renouvellement des individus. Ceux-ci étaient parfaitement capables d'engager un tournant. Encore fallait-il le bon guide pour les y mener... »

Indéniables progrès

Reste que le bilan de ce dernier n'est bien sûr pas aussi sombre que le dessinent ses détracteurs. Leur rythme de mise en œuvre n'est certes pas suffisant, mais des mutations stratégiques ont commencé d'être déployées. Refonte du système d'information, extension des prestations techniques, exploration de nouveaux services (délivrance de cartes grises, garanties, contrats d'entretien, flottes) toutefois pour la plupart encore embryonnaires - « là encore faute d'investir sur les bons chantiers et les bonnes personnes », fulmine un ancien dirigeant. Mais aussi bondissement de l'activité Mondial pare-brise (aujourd'hui 266 centres, et selon nos informations génératrice d'un EBITDA de quatre à cinq millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 84,4 millions d'euros en 2014), efforts manifestes dans le domaine de la digitalisation - dans un contexte de transformation profond, comme l'illustre le succès d'oscaro.com, « le développement soutenu du multicanal est clé », affirme Bernard Perreau, qui sut affecter et donc financer une dizaine de postes au service ad hoc grâce à laquelle, estime Pascal Fraumont, seuls 18 mois contre les 36 prévus furent nécessaires au développement du dispositif -, attention, au moins officiellement, aux opportunités d'acquisition, enfin naissance, en novembre 2014 à Genève, d'une « centrale de référencement et de négociation » (ou plus prosaïquement centrale d'achats) destinée à « consolider à l'échelle internationale les relations avec les principaux fournisseurs » et simultanément à « accroître la réactivité et baisser les coûts ».

« Potentiellement, une réelle plus-value »

D'autre part, alors que le marché domestique déjà mûr n'autorise guère d'importantes perspectives de développement, celles-ci ne manquent pas à l'étranger. Officiellement en ligne de mire - mais curieusement encore jamais exploitée - : la reproduction hors de France des coopérations hexagonales avec Casino et Carrefour, voire avec d'autres enseignes de la grande distribution. Paul Costa de Beauregard l'assure : la courbe des chiffres s'est inversée. Pour preuve, le chiffre d'affaires en mai 2015 a progressé de « 9,4 % » sur un an. Sera-ce suffisant pour que soient exaucées les affirmations du directeur général délégué de Qualium Investissement sur la « réelle plus-value » espérée lors de la revente d'une société dont un professionnel de la finance résume le bilan de profitabilité à « un encéphalogramme plat » ?

Quant au LBO, examine Claude Chavet par ailleurs lucide sur les contraintes, « il a permis de faire évoluer les logiques, jusqu'alors rivées sur le P&L (compte de résultats) et désormais sensibles à la gestion du cash, mais aussi d'architecturer l'entreprise de telle sorte que la manière de concevoir la vision et la stratégie est davantage rigoureuse et en phase avec les critères universels. Et à ce titre, Bernard Perreau a bien piloté ». Un président lui-même laudateur sur un dispositif « certes sensible lorsque de graves difficultés ou une crise comme celle de 2008 surgissent, mais objectivement utile car il oblige à être très bon dans l'arbitrage des investissements et des priorités stratégiques ». « Feu Vert est l'exemple du LBO vertueux, c'est-à-dire qui réussit d'une part à aligner les intérêts respectifs du management et de l'actionnaire, d'autre part à propulser le management décisionnel et particulièrement le patron dans la peau d'entrepreneurs », complète Paul Costa de Beauregard. On devine des réactions quelque peu antithétiques à un diagnostic aussi péremptoire...

« On ne manque pas de sollicitations »

Et c'est donc cette entreprise qui est appelée à changer de mains. « On ne manque pas de sollicitations », déclare, non sans se contredire, le dirigeant de Qualium Investissement, qui met en exergue « la grande solidité, l'excellente gestion, la capacité de résistance aux aléas, enfin une croissance certes peu spectaculaire mais régulière ». La « belle endormie », que la « culture » de la discrétion imposée par Claude Chavet avait quelque peu chloroformée, s'est ouverte vers l'extérieur sous l'impulsion de Bernard Perreau, jusqu'à la rendre (un peu) désirable dans un environnement d'investisseurs séduits bien davantage par les nouvelles technologies que par la réparation mécanique. Une fois de nouveaux moyens alloués, son potentiel de développement en Europe et les perspectives d'acquisition d'un acteur internet majeur, créditent le groupe d'un intérêt réel. Les pronostics vont bon train.

Feu vert

Colony Capital ?

Selon nos informations, Norauto a « regardé le dossier », mais la trop importante juxtaposition des réseaux et donc le risque élevé de « casse », aussi bien industrielle que sociale, l'auraient dissuadé. Le groupe sera-t-il cédé dans son exhaustivité ou par appartements ? L'heureux élu sera-t-il un fonds d'investissement - le géant KKR, propriétaire d'ATU, réseau équivalent en Allemagne, aurait étudié le projet -, un intégrateur digital « de taille », ou un industriel ? Cette troisième hypothèse, élargie à des concurrents étrangers ou à des sociétés françaises mais distinctes ou complémentaires de la filière - équipementier, constructeur ou manufacturier, à l'image de Michelin propriétaire d'Euromaster (2 300 centres dans 17 pays d'Europe, 11 000 salariés, 1,8 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2013 hors franchises) -, concentre largement les préférences. « « Plus vous savez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur », avait raison de considérer Winston Churchill. Cet adage, déterminant pour maintenir en vie l'ADN, la culture, l'esprit, bref les fondations de l'entreprise et qui devra conditionner la stratégie du repreneur, un industriel est bien mieux disposer à l'appliquer », résume Pascal Fraumont. Les protagonistes du dossier ne se veulent pourtant guère optimistes : « Ne nous leurrons pas, la probabilité pour qu'un fonds l'emporte est très élevée », assurent-ils à l'unisson, jusque dans la bouche du propriétaire. Selon nos sources ce dernier serait entré en négociation avec le fonds anglo-saxon Colony Capital, ancien détenteur du Paris Saint-Germain. Information que Bernard Perreau a refusé de confirmer et que les représentants du repreneur pressenti se sont interdit de commenter. Verdict dans quelques mois. Voire quelques semaines.

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