La startup Hydroptère 2.0 ne veut pas laisser partir en Chine le prototype d’hydravion du Savoyard Lisa Aéronautics

En liquidation judiciaire, la startup savoyarde Lisa Aeronautics va devoir céder ses actifs à un investisseur chinois, suite à la décision du tribunal de commerce d’Annecy. Actifs comprenant notamment son prototype opérationnel de petit avion biplace équipé d’hydrofoils et capable de se poser sur la mer comme sur la terre. Une décision judiciaire que n’accepte pas la startup nantaise Hydroptère 2.0 qui construit actuellement un projet de R&D, autour du bateau à voile mythique, le plus rapide du monde, né des rêves du navigateur Eric Tabarly.  Projet pour lequel la question de ces foils à haute-vitesse est cruciale. Son dirigeant, Gabriel Terrasse, dénonce une atteinte à la souveraineté industrielle et technologique française.
L'Akoya permet d'atterrir sur l'eau ou la terre.
L'Akoya permet d'atterrir sur l'eau ou la terre. (Crédits : DR)

« C'est une question de souveraineté industrielle ! Est-ce qu'une fois encore la France va laisser partir à l'étranger une de ses technologies de pointe à fort potentiel et se réveiller dans 10 ans en prenant conscience (trop tard) de son erreur stratégique ? ».

L'objet de l'indignation de Gabriel Terrasse, le dirigeant de la jeune entreprise nantaise Hydroptère 2.0 ? La décision du Tribunal de commerce d'Annecy prise il y a quelques semaines. Ce dernier a décidé de céder les actifs de l'entreprise savoyarde Lisa Aeronautics (comprenant brevets, prototype, moules et outillages) à la société chinoise Zheiiang Xingxle General Aviation Industry. Celle-ci avait en effet fait une offre de 90.000 euros, nettement supérieure à celle du startupper nantais (35.000 euros) et a donc obtenu les faveurs du tribunal. Inacceptable pour Gabriel Terrasse, qui, s'il ne remet pas en cause la forme de cette décision, ne digère pas cette cession s'apparentant, selon lui, à une captation du savoir-faire français par les Chinois.

L'importance des foils à haute vitesse

Lisa Aeronautics (ex Lisa Airplanes), - fondée en 2004 par les ingénieurs en électronique et en matériaux Erick Herzberger et Benoît Senellart, - travaillait avant sa liquidation sur l'Akoya, un prototype hybride d'avion biplace ultra léger de luxe, capable de se poser sur la terre et la neige comme sur l'eau. Il s'agit du premier hydravion à être équipé de foils, ces ailes profilées se déplaçant dans l'eau et offrant une portance hydrodynamique capable de soulever des coques de bateau, des kite surfs et donc, l'Akoya. « L'équipe de Lisa a réussi à avancer significativement sur le sujet de la cavitation, ce phénomène d'hydrodynamique qui apparaît lorsqu'on fait évoluer des objets à grande vitesse dans l'eau : hélices, turbines, foils. Ce phénomène mène à une forte perte d'efficacité sur la portance et la poussée. Cela entraîne une usure prématurée et, pour les hélices des navires, la génération de nuisances sonores pour la faune marine. Lisa Eronautics a réussi à implanter des foils sur un hydravion opérationnel, c'est une première mondiale. Que ce prototype fonctionnel soit cédé à des Chinois représente une alerte forte sur notre souveraineté », explique Gabriel Terrasse.

Lui, souhaiterait exploiter en France cette trouvaille, poursuivre les recherches de Lisa pour aller plus loin. « Pour moi, l'hydravion biplace de loisirs n'a pas vraiment d'intérêt. En revanche, l'idée serait d'appliquer le concept a des avions plus gros en réussissant à briser le problème de la cavitation. Et notamment sur des Canadairs qui décollent de l'eau à 80 nœuds. En implantant des foils sur des Canadairs, nous pourrions élargir leur fenêtre d'utilisation car le foil permet à l'hydravion d'amerrir et d'écoper même par mer un peu agitée. Ce qui n'est pas le cas avec les hydravions actuels qui ne peuvent écoper en mer dès qu'il y a un peu de clapot ». Hydroptère 2.0 travaille d'ailleurs déjà sur ce sujet avec la start-up belge RoadFour. Celle-ci travaille au développement d'un bombardier d'eau européen dont l'ambition est d'aller challenger le leader incontesté du sujet, le Canadien Canadair.

Optimiser la technologie pour les navires et les bombardiers à eau

Gabriel Terrasse a créé l'entreprise Hydroptère 2.0 en 2021, suite à son acquisition deux ans plus tôt de l'Hydroptère, ce bateau mythique aux ailes immergées et au design imaginé par les navigateurs Eric Tabarly et Alain Thebault avec le soutien de grands industriels comme Airbus et DCNS.

« Ce bateau avait réussi en 2009 à battre le record absolu de vitesse à la voile avec une pointe à 55 nœuds. Une tentative de tour du monde devait être lancée mais faute de financement, le bateau a été abandonné à Hawaï et saisi par l'Etat hawaïen qui menaçait de le détruire. Avec l'aide d'un associé américain et d'Airbus, nous l'avons ramené en France ce début d'année. Désormais, notre objectif est de faire de ce bateau une plateforme de R&D pour le compte de laboratoires ou d'entreprises autour de l'hydrodynamique, de l'interface air/eau », raconte Gabriel Terrasse.

L'hydroptère devrait être rénové et remis à l'eau l'année prochaine. En attendant, un petit catamaran inspiré de l'Hydroptère sera opérationnel dans les prochaines semaines pour embarquer les premières expérimentations. Au cœur du projet de la start-up, le sujet de l'optimisation des foils à haute vitesse pour les hydravions mais aussi les navires, sujet sur lequel la petite entreprise travaille en partenariat notamment avec l'Ecole Polytechnique fédérale de Lausanne. « La technologie de Lisa Aeronautics nous permettrait d'avancer plus vite ».

Soutenu par la Région Pays de la Loire et par France clusters notamment, l'entrepreneur a fait appel de la décision du tribunal. La recevabilité de cet appel sera examinée début juin par la cour d'appel de Chambéry. En attendant, Gabriel Terrasse fait autant de bruit qu'il le peut pour alerter sur cette situation qu'il estime aberrante. Son appel est arrivé jusqu'au Sénat via une question au gouvernement de la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann (groupe communiste républicain citoyen et écologiste) mi-avril, sollicitant une action de l'Etat pour « favoriser un appel du Parquet, permettre de conserver sous pavillon français les actifs stratégiques de Lisa Aeronautics et de développer en France les applications d'avenir qu'ils permettent ».

La moitié des investissements déjà assurée par des Chinois

Pour le fondateur et actionnaire majoritaire de Lisa Airplanes puis de Lisa Aeronautics, Erick Herzberger, il s'agit toutefois de relativiser cette « captation chinoise ». « Sur les 25 millions d'euros qui ont été investis en 20 ans dans Lisa, la moitié provient de fonds français (Bpi notamment) mais l'autre moitié est issue de fonds chinois. En 2012, nous avions dû nous tourner vers le tribunal de commerce, faute de financements suffisants. Deux investisseurs chinois avaient pris 70% du capital et investi plusieurs millions d'euros. Ils avaient connu notre innovation car nous l'avions présentée peu de temps auparavant lors d'un grand salon américain, elle les avait beaucoup intéressés. A cette époque, aucun autre repreneur sérieux n'avait présenté d'offre au Tribunal ».

Eric Herzberger était alors resté aux manettes de l'entreprise, avec son associé Benoît Senellart et l'équipe d'une quinzaine de personnes de la start-up avait été maintenue en Savoie. Au fil des années, les deux hommes étaient même redevenus majoritaires au capital, avec un deal conclu entre les deux parties : les Chinois devaient industrialiser en Chine l'Akoya pour le marché asiatique, et l'équipe française devait trouver les fonds nécessaires pour en faire autant en France pour le marché européen. « Nous n'avons pas réussi à lever des fonds pour développer et fabriquer en France. De leur côté, les investisseurs chinois ont été bloqués par la crise du Covid. Nous avons décidé de stopper les frais et de liquider la société ».

L'entreprise chinoise à qui les actifs de Lisa viennent d'être attribués ne faisait pas partie de l'équipe initiale d'investisseurs chinois mais suivait de près l'aventure.

« Pour ma part, l'option chinoise et l'option Hydroptère 2.0 me conviennent toutes les deux. Je sais que dans les deux cas, il y aura du travail pour ma nouvelle entreprise, car la vraie valeur de l'aventure Lisa réside dans l'expertise des équipes ».

Une partie de l'ex-équipe de Lisa Aeronautics a recréé en 2019 une nouvelle start-up, Eenuee. Installée à Saint-Etienne, elle planche sur le développement d'un avion électrique de 19 places, disposant d'une autonomie de 700 kilomètres, volant à 250 km/h et capable de se poser n'importe où grâce à ses hydrofoils. Elle vise le marché des liaisons régionales et interrégionales. Son prototype à l'échelle 1/7 devrait voler dans les prochaines semaines. L'entreprise va devoir lever d'ici la fin de l'année prochaine 20 millions d'euros et Eric Herzberger sait d'ores et déjà qu'il lui sera probablement difficile de trouver des fonds 100% français. « L'aviation électrique est difficile à financer en France... ».

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Commentaires 2
à écrit le 17/05/2023 à 5:42
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Il est mignon Gabriel, Si ça valait si cher, pourquoi n’en proposait-il pas plus que 35k€ ? L’indignation a un prix.

à écrit le 15/05/2023 à 19:19
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Incompréhensible! savoir faire, brevets, prototype, moules et outillages sont bradés à 90 000€. moins que la valeur de deux Q7 Audi !! A comparer au 12 milliards d'€ levés chaque année par les startups.

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