Avec Bjorg, Alter Eco, Bonneterre, Clipper… Ecotone fait le pari du « Planet-Score » et de la résilience du bio

ENTRETIEN. Avec une année 2023 qui s’ouvre sous le signe de la crise énergétique et de l’inflation, les défis sont nombreux pour le Ceo d’Ecotone, Christophe Barnouin. Le lyonnais, leader européen du bio et du végétal, à la tête d’une quinzaine de marques emblématiques (Bjorg, Alter Eco, Bonneterre, Clipper, etc) mise cependant à la fois sur la résilience du marché, mais aussi sur le lancement d’un nouveau Planet-Score sur près de 200 produits, afin de poursuivre sa conquête du marché français et européen. Malgré les vents contraires, il cible tout de même une croissance mesurée en 2023.
L'un des plus grands scandales demeure le greenwashing, c'est-à-dire des gens qui ont un impact conscient et négatif sur la santé et l'environnement, afin de protéger un modèle d'affaires qu'ils estiment moins coûteux, estime le Ceo d'Ecotone, Christophe Barnouin.
"L'un des plus grands scandales demeure le greenwashing, c'est-à-dire des gens qui ont un impact conscient et négatif sur la santé et l'environnement, afin de protéger un modèle d'affaires qu'ils estiment moins coûteux", estime le Ceo d'Ecotone, Christophe Barnouin. (Crédits : DR/Ecotone)

LA TRIBUNE - Après une croissance à deux chiffres, qui a vu la part de l'alimentation bio grimper de 2,1% de la consommation en 2014 à 5,1% en 2020, le marché du bio s'apprête à connaître une seconde année consécutive de recul, après une première baisse évaluée à -6,3% en 2022.

Quelles perspectives pour le groupe Ecotone (ex-Wessanen, racheté en 2019 par le fonds français PAI) qui possède aujourd'hui neuf sites de production en Europe et surtout, une quinzaine de marques emblématiques du bio et du commerce équitable (Bjorg, Alter Eco, Bonneterre, Clipper, etc) ?

CHRISTOPHE BARNOUIN - Avec près de 700 millions d'euros de chiffre d'affaires et 1.600 salariés, nous sommes un acteur européen basé à Lyon, dont la trajectoire se pose sous le signe de la continuité. Nous visons à bâtir le leader de la consommation responsable en Europe, en nous appuyant sur les piliers du bio et du végétal.

Nous avons ainsi bâti une dizaine de marques qui comptent, avec Bjorg qui a créé le bio en grande distribution, Bonneterre qui a créé le bio au magasin bio, ou encore Alter Eco qui est à l'origine de l'alimentation équitable...

Nous n'avons pas attendu les 20 % de bio dans les cantines pour dire qu'il existait une autre alimentation possible avec des boissons végétales bio et non bio, des galettes de riz pour les personnes qui ne veulent plus de gluten, ou des petits déjeuners bio sans pesticides...

L'ADN de l'entreprise repose sur la compréhension des besoins des consommateurs autour des alimentations alternatives.

La directrice de l'Agence bio, Laure Verdeau, analysait notamment deux points de blocage pour expliquer cependant la chute du marché bio, dont la baisse de la demande, au moment même où la France était devenue la première nation productrice d'Europe, avec 2,8 millions d'hectares alloués à l'agriculture biologique ? Mais aussi face à un facteur prix qui pèse davantage en période d'inflation ?

Notre propre mission a été d'amener l'alimentation bio de qualité en grande distribution, et c'est un combat que nous avons mené de front entre les magasins bio et la grande distribution, avec l'idée d'aller convertir les masses. Pour devenir le leader du soja bio, nous avons par exemple contracté des accords de longue durée avec des fournisseurs de soja et de tournesols bio en Italie, ainsi qu'en Espagne et Sicile pour la fourniture d'amandes bio.

Mais depuis 12 à 18 mois sur le marché, on observe d'une part une conversion massive au bio, avec un effet de rattrapage lié au Covid, et, en même temps, une offre qui a continué à exploser. Tous les industriels se sont rués sur le bio au cours des dernières années, et c'est un peu la même chose du côté du réseau de distribution, où les magasins sont devenus un peu trop nombreux par rapport au chiffre d'affaires réalisé.

Mais face à un litre d'essence proche des deux euros et à une facture d'électricité qui grimpe, les consommateurs ont été contraints de réaliser des arbitrages immédiats au sein de leur panier.

Cette tendance ne nous fait pas peur, car nous sommes un acteur de la consommation responsable qui s'inscrit dans la durée. Il faut se rappeler que le marché du bio a considérablement grandi, puisqu'aujourd'hui, près de 90 % des Français achètent du bio au moins une fois par an, et 40 % consomment au moins une fois par an un produit de la marque Bjorg.

Entrevoyez-vous toutefois un horizon de sortie à cette chute du marché du bio ?

Pour l'instant, c'est encore trop tôt pour le dire, mais nous observons déjà au deuxième semestre 2022 une légère croissance sur la marque Bjorg en valeur, en partie tirée par la hausse des prix. Lorsque l'on compare cela au premier semestre, cela signifie que si l'on conjugue à la fois des campagnes de promotions et une offre composée des meilleurs produits en magasin, nous sommes sur un marché pérenne.

Notre priorité, en cette période de forte inflation, doit être de permettre à tous, et notamment aux classes moyennes, de mieux consommer. L'avantage d'Ecotone, c'est qu'en arrivant à 700 millions d'euros de chiffre d'affaires, nous pouvons bénéficier d'une certaine masse critique et d'une productivité en interne, qui bénéficie à nos clients et nos consommateurs, y compris par rapport à des marques non bio.

D'autant plus que nos misons, non seulement sur le bio, mais plus largement sur la construction d'une meilleure charte nutritionnelle, avec des ingrédients plus simples, moins de sucres, etc.

Certains types de produits résistent-ils mieux face à ce climat marqué par l'inflation, alors que la concurrence des marques distributeurs fait rage également sur ce segment ?

Nous avons par exemple notre marque Clipper, qui est le numéro un du thé et des infusions bio en Europe -et qui était déjà le pionnier du commerce équitable en Angleterre il y a 20 ans-, qui marche très bien. Le café bio, avec notre marque Naturela, est lui aussi en pleine explosion. Et puis sur Bjorg, nos deux catégories stars, les boissons végétales et les céréales du petit déjeuner, sont elles aussi en croissance, y compris en volume.

Nous avons donc des piliers qui fonctionnent et qui incarnent la valeur ajoutée de nos marques pour affronter la crise, ainsi que des tendances comme le végétal, où nous travaillons à lancer de nouvelles boissons avec des mix de différentes noix, plus gourmandes.

Ecotone fait aussi, en ce début d'année, le pas de l'affichage environnemental, en choisissant d'afficher un « Planet-Score » sur les packagings de près de 200 produits, dès le premier trimestre 2023. Un engagement qui n'est pas encore imposé par la loi, mais qui pourrait être transposé à l'échelle européenne à compter de 2026 ?

On remarque en effet une demande, émanant des consommateurs, pour un affichage non plus uniquement nutritionnel, mais aussi environnemental. Car le Nutriscore actuel vous dit par exemple si un produit a moins de sucres, de sel, de gras, mais pas s'il contient des pesticides. Or, pour aller plus loin sur la santé des consommateurs, il faut intégrer la question des pesticides.

Nous n'avons pas encore connaissance de la forme précise que prendra le projet de nouvelle réglementation européenne d'ici 18 à 24 mois, mais notre postulat a été de dire : le temps que ce nouveau score soit reconnu et recommandé par les institutions, pourquoi ne pas commencer par l'utiliser et voir comment les consommateurs le comprennent, en nous plaçant comme des testeurs sur ce marché ?

Concrètement, quand va être lancé ce Planet-Score et auprès de quels produits ?

Il sera lancé d'ici quelques mois, courant 2023. Les produits qui sont présents en magasin bio, comme en grande distribution, comporteront ce nouveau score. Ce ne seront pas nous qui nous attribuerons les scores : c'est l'ITAB (L'Institut technique de l'agriculture biologique) qui a défini le cahier des charges et nous mandaterons un cabinet d'expertise indépendant, qui sera chargé de réaliser l'audit de nos produits, en prenant en compte leur cahier des charges ainsi que leur origine.

En s'appuyant sur cette méthodologie « revue et corrigée » de l'analyse du cycle de vie des produits (ACV) (dont les données sont elles-mêmes extraites de la base Agribalyse de l'ADEME), ce « Planet-Score » prendra donc en compte les impacts sur la biodiversité (pratiques agricoles, irrigation, déforestation, etc), l'utilisation des pesticides, et le bien-être animal... Pourrait-il aller jusqu'à modifier vos propres circuits de production ou de distribution ?

Nous n'avions pas besoin de ce score pour nous intéresser à la question, ces aspects se trouvaient déjà au coeur de nos pratiques. Cette démarche va plutôt nous permettre de les valoriser.

Le Planet-Score évaluera notamment la question des polluants potentiels, et scorera par exemple mieux, de manière générale, les productions d'origine végétales qu'animales. Côté clientèle, nous parlons toujours à un segment qui recherche une consommation plus responsable et qui a besoin d'aide pour s'informer.

Pour vous, l'avenir du Planet-Score est qu'il devienne obligatoire, ou au contraire qu'il demeure plutôt un avantage distinctif entre les marques ?

Nous n'avons rien contre le fait qu'il devienne obligatoire un jour, car l'un des plus grands scandales demeure le greenwashing, c'est-à-dire des gens qui ont un impact conscient et négatif sur la santé et l'environnement, afin de protéger un modèle d'affaires qu'ils estiment moins coûteux. Aujourd'hui, cela ne devrait plus exister.

Un autre facteur sur lequel vous comptez vous distinguer est aussi la certification B-Corp : vous attendez-vous à ce que de tels labels pèsent plus lourd qu'avant dans les habitudes de consommation ?

Pour l'instant, c'est un élément qui a encore peu de poids dans la consommation actuelle, mais qui marche bien sur nos consommateurs experts et surtout, qui ajoute de la cohérence et nous challenge.

Car au delà de limage, ces pratiques ont aussi une valeur intrinsèque pour notre entreprise, comme pour nos collaborateurs, qui sont plus fiers de travailler pour une entreprise qui audite ses pratiques régulièrement. Cela nous positionne aussi à ce jour comme la première entreprise agroalimentaire mondiale de plus de 1.000 salariés au sein du top 10 de ce classement.

On remarque aussi que plus globalement, les consommateurs deviennent plus exigeants et souhaitent savoir, non seulement ce que l'on propose au sein de nos produits, mais aussi, quelle est l'entreprise qui se trouve derrière ainsi que son comportement.

Toutes les entreprises vont-elles finalement être poussées à prendre le virage, d'une manière ou d'une autre ?

Les salariés commencent à vous obliger, les investisseurs aussi, car la finance devient de moins en moins irresponsable et c'est une bonne nouvelle.

Il y a toujours des personnes qui attendent d'avoir des obligations légales et concrètes pour avancer. Mais si vous souhaitez avoir, ne serait-ce qu'un peu d'impact positif, en plus de générer des profits -ce que l'on ne nie pas-, il est nécessaire de développer une offre plus responsable auprès des consommateurs, mais aussi des pratiques de responsabilité sur l'ensemble de la chaîne, à l'égard à la fois des pratiques environnementales, d'investissement, des statuts, etc.

Certains parlent d'une forme de « fièvre » autour de l'alimentation végétale qui, on le voit, divise également lors des débats sur les barbecues et la tendance vegan. Selon vous, quelle est la part que le végétal est appelée à prendre prendre au sein de l'alimentation des Français ?

Si l'on enlève les images caricaturales que l'on peut voir à ce sujet, le végétal est une tendance de fond qui grossit depuis une quinzaine d'années et qui se place comme une réponse à plusieurs niveaux, par rapport au fait de manger trop de viande ou de produits carnés, etc.

La conscience collective se développe, car on voit bien que trop de consommation animale n'est pas une bonne chose, même si l'on ne dit pas non plus qu'il faille tous se tourner vers le 100% végétal.

En même temps que le bio baisse, les boissons végétales bio continuent à monter, alors que la consommation du lait et de la viande est structurellement en baisse.

De notre côté, nous sommes déjà rendus à 95% de produits végétaux sur notre portefeuille de marques : il s'agit déjà d'un vrai choix. Cela peut d'ailleurs prendre plusieurs formes, comme le faux steak à base de soja, ou des alternatives issues des légumineuses sous forme de lentilles, de galettes ou de boissons végétales.

On parle depuis plusieurs années de la notion de « consommateur-acteur » ou de « consommateur-responsable » : est-ce que le végétal est finalement une preuve concrète de cet impact ?

Oui je crois qu'on peut le dire, car le végétal et le bio sont typiquement deux éléments qui ont été directement amenés par la demande des consommateurs. Ce ne sont pas les campagnes de publicité qui ont développé ces deux marchés, mais bien souvent, au contraire, de petites entreprises qui ont porté ces valeurs.

Sur le marché du bio au sens large, reste-il des leviers à exploiter, notamment dans la restauration collective, avec les objectifs de la loi Egalim, qui prévoit d'atteindre les 20% de bio dans les cantines, mais également sur le terrain de la restauration commerciale ?

Je le crois car on observe qu'au sein des marchés ayant déjà activé le levier de la restauration collective et commerciale, comme le Danemark et la Suède, on a en contrepartie réussi à franchir le seuil des 10% d'alimentation bio, alors même que la France se situe encore aujourd'hui à 6 %, après une accélération déjà jugée colossale.

Un mot également sur l'impact de la hausse des prix de l'énergie et des matières premières sur votre production, qui s'appuie sur neuf sites basés dans sept pays européens, dont la France ?

Nous sommes évidemment touchés de plein fouet, car nous avons comme tout le monde des contrats d'énergie qui ont été multipliés jusqu'à dix partout en Europe, et des contrats que nous n'avons pas pu renouveler à ce tarif.

Cela pose, comme pour l'ensemble des acteurs économiques, des enjeux afin de savoir comment on répercute ces hausses, à quel moment... La question est aussi celle de savoir si nous faisons face à des prix réels, qui vont durer. Mais pour l'instant, nous n'avons encore aucune confirmation que l'on se dirige vers une baisse.

Même si nous savons que c'est contre-productif, nous sommes donc contraints de répercuter ces hausses sur le consommateur : car si nous ne le faisons pas, cela met en péril notre modèle. Cette situation a donné lieu à deux hausses de tarif en 2022, qui n'ont pas dépassé les 10% (soit 5 à 10% de hausse cumulée pour le marché français par exemple, ndlr) et que nous avons expliqué aux consommateurs.

Vous vous attendez à la même chose en 2023 ?

Malheureusement, nous devrons faire face en 2023 à la hausse des coûts de l'énergie, qui n'était pas encore comprise dans les hausses précédentes, et qui impactera aussi le sujet des emballages, ou encore les procédés de transformation de certaines matières premières... Nous subissons des effets cumulatifs épouvantables et dont on préférerait ne pas avoir à discuter avec nos clients aujourd'hui.

Certains industriels ont été contraints d'adapter leurs productions, en arrêtant certaines lignes, ou même en choisissant de produire de nuit par exemple : avez-vous mis en place certaines mesures exceptionnelles au sein du groupe pour en mitiger les effets ?

Nous avons beaucoup optimisé la consommation d'énergie dans nos usines, en installant des panneaux solaires ou en prenant en main la question de la maintenance de notre parc de machines. Lorsque les coûts sont tels, cela vous force à la sobriété.

On a aussi réappris, avec nos ingénieurs industriels, à couper l'alimentation de certaines lignes lorsqu'elles n'étaient pas utilisées, afin de voir quelle consommation d'énergie on pouvait éviter.

De là à couper une ligne de production, à la transférer sur un autre site ou à travailler de nuit ?

Pas chez nous, non. Nous essayons de conserver notre mission, qui est de continuer d'offrir une alimentation alternative et de bâtir une entreprise qui continue à prospérer.

Sur l'évolution du chiffre d'affaires cette année, quelles sont vos prévisions dans un tel contexte pour 2023 ?

On a plutôt une faible croissance en tête, mais qui sera assortie d'une volatilité absolument incontrôlable et donc, d'une forme de prudence. Mais nous avons aussi vu cette année que certains segments continuaient de très bien se porter. Nous allons essayer de conserver également des offres promotionnelles en vue de mitiger les effets de l'inflation.

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