LA TRIBUNE - Ce jeudi, le Beaujolais nouveau est de sortie : quel est, pour rappel, le poids de ce vignoble si cher à la vallée du Rhône ?
DANIEL BULLIAT - Le territoire Beaujolais compte environ 15.000 hectares, mais uniquement 14.000 en revendication Beaujolais, et quelques 1.500 exploitations. Ce n'est pas un petit vignoble, mais en l'espace de 15 ans, nous en avons perdu un bon tiers...
Car malgré un marché dans lequel en croissance de 5 à 10% sur les deux dernières années, que ce soit en volume et en valeur, nous vendons aujourd'hui plus que ce que nous produisons, car nous sommes confrontés à un problème démographique : nous n'avons pas suffisamment de jeunes pour reprendre les vignes, nous perdons donc des hectares et continuons à devoir en arracher... Cela va être l'enjeu majeur de notre mandat.
Nous nous trouvons dans une période charnière : soit on reste un vignoble suffisamment important entre 15 et 18.000 hectares, soit on devient un vignoble de niche. Ça, je n'y crois pas, car on serait moins présents sur à la fois dans les rayons mais aussi à l'export, et ce serait dommage."
Quelle est justement aujourd'hui la part d'export du Beaujolais ? Tend-elle à augmenter malgré la crise ?
Le Beaujolais est connu à l'international : on vend environ 40% de notre production à l'export. Or, on ne pourrait plus approvisionner ces marchés si l'on perdait en volume de production. Les pays les plus importants pour les Beaujolais nouveaux sont par exemple les États-Unis, le Canada, le Japon, et plus largement l'Angleterre et le nord de l'Europe. On aimerait aussi se redévelopper sur l'Allemagne et entrer davantage en Chine, mais c'est encore compliqué.
Rien que sur le Beaujolais nouveau, on atteint tout de même près de 10 millions de bouteilles à l'export, soit environ 50% de la production. Le Covid a aussi changé la relation avec les pays exports. Habituellement, les responsables de vignobles se déplacent jusqu'au Japon ou aux États-Unis pour voir les clients et les importateurs, mais cela n'a pas été possible de la même manière cette année. J'espère que ce sera faisable en 2022.
2020 et 2021 ont été marquées par la crise sanitaire et les aléas climatiques majeurs, comment envisagez vous le lancement du Beaujolais nouveau ?
2021 été une année compliquée pour les producteurs : on a eu le gel au printemps, des excédents d'eau entre mai et juillet, qui nous ont amené des problèmes de mildiou... La récolte a été inférieure à 500.000 hectolitres, c'est le record de plus bas de ces cinquante dernières années.
[elle était pour rappel de 530.000 hectolitres en 2019, N.D.L.R]. Certains producteurs se portent mieux que d'autres, mais c'est très hétérogène. Ce sont des vignerons en difficulté qu'on va devoir accompagner. Aujourd'hui, le Beaujolais nouveau représente encore un quart de notre marché : au niveau des volumes, nous n'avons donc pas le droit à l'erreur.
On observe cependant que sur le marché de l'évènementiel par exemple, la situation est bien meilleure que l'an dernier, même si dees restrictions demeurent. Tous les espaces de convivialité vont être ouverts, on peut donc espérer faire entre 20 et 25% de plus en vente directe que l'an dernier. Cela va néanmoins avoir pour effet de faire encore diminuer nos stocks, déjà à un niveau bas.
Y aura-t'il une répercussion de ces différents facteurs sur les prix pratiqués à la bouteille ?
Quelques impacts seront nécessairement visibles, beaucoup de bouteilles pourraient se vendre par conséquent un peu plus cher, jusqu'à un euro... Mais malgré tout, cela implique tout de même que le viticulteur et l'intermédiaire aient abandonné, entre temps, une partie de leurs marges.
Avant les conséquences des épisodes de gel sur la récolte de cette année, vous pointiez déjà une problématique de stock, est-ce encore à craindre en cette saison ?
Le problème va être amplifié. Sur les Beaujolais nouveaux, nous ne manquons pas trop de vins parce qu'on se trouve au départ du marché et que les gens ont priorisé les marchés rapides. C'est dans six mois qu'on n'en aura plus : tandis que sur le reste des Beaujolais, on va manquer de vin, c'est certain.
Il faut qu'on retrouve la confiance et on ne la retrouvera qu'à travers une production et une valeur qui correspondent à un salaire et à un coût de production, sans que les producteurs aient une épée de Damoclès au dessus de la tête tous les ans.
Cette année, on a retrouvé des prix qui nous vont, à condition qu'on ait des belles récoltes en 2022-2023...
Quels sont les moyens d'actions que vous avez à ce sujet au sein de la filière ?
Avec les organismes de défense et de gestion (ODG), il faut aussi pouvoir mettre en place un volume complémentaire individuel (VCI) pour que, lorsque la récolte est bonne, il soit possible pour les producteurs de bloquer 10% des stocks, afin de pouvoir ensuite les débloquer, lorsqu'ils connaissent ensuite une année moins bonne.
Nous pourrions aussi décider, avec le négoce dans l'InterBeaujolais, de mettre sur pied une réserve interprofessionnelle, à l'intérieur du rendement de l'appellation, gérée collectivement à l'InterBeaujolais, par le collège négoce et le collège viticole. Il s'agit d'un vrai projet pour les années qui viennent. Nous devons parvenir à lisser nos productions sur cinq ans, car collectivement, on sera plus fort.
Avec la crise sanitaire, il existe un manque flagrant de travailleurs saisonniers dans certains secteurs, est-ce que le Beaujolais a aussi été touché ?
Le problème se tend d'une année sur l'autre, on a parfois du mal à trouver du monde. Surtout dans le Beaujolais, où 80% de nos vendanges sont réalisées à la main.
Nous avons aussi des discussions avec les pouvoirs publics, afin d'étudier la possibilité d'alléger les charges, ce qui permettrait d'augmenter en parallèle les salaires des travailleurs saisonniers.
Vous êtes président de l'InterBeaujolais depuis début 2021, quelle sera plus largement votre stratégie de positionnement commercial pour le Beaujolais ?
Nous nous plaçons dans la continuité de ce qui a été fait depuis 2016, c'est-à-dire le repositionnement de nos vins à travers trois gammes : les vins festifs où l'on retrouve les Beaujolais nouveaux, les rosés et les vins d'entrée de gamme, ainsi que les vins de caractère, qui représentent notre cœur de gamme.
Puis on essaie aussi de développer des bouteilles d'exceptions, où il existe une vraie notion d'élevage. Toute notre communication, depuis 2017, est basée sur ces trois univers et on s'y tient. On a commencé à voir des résultats, car nous avons des marchés en hausse depuis juillet 2019, où nos chiffres en volume ont augmenté pour la première fois depuis 15 ans.
Quels freins l'InterBeaujolais peut lever pour attirer de nouveaux exploitants ?
Nous avons mis en place un plan de relance et embauché depuis l'été 2021, un salarié en partenariat avec la chambre d'agriculture du Rhône, dont la tâche est mettre en relation les nouveaux arrivants avec les cédants.
Aujourd'hui, les installations ne sont plus forcément familiales, environ 50% des exploitations se transmettent en interne, le reste correspond à une création ou une reprise d'exploitation.
On est alors confrontés à des problèmes administratifs avec le bâti, car pour pouvoir opérer une exploitation agricole, il faut disposer d'un logement, associé à des bâtiments agricoles. Car les vignes on en trouve, mais nous rencontrons des difficultés concernant la disponibilité des bâtiments.
Parfois les anciens exploitants choisissent de demeurer sur l'exploitation, alors qu'un repreneur arrivant de l'extérieur ne va pas habiter dans un appartement à Lyon pour être producteur à Theizé, dans les Pierre-Dorées. On veut rester dans un modèle paysan de proximité.
L'aspect économique peut également être un frein au démarrage car les vignerons doivent faire leurs preuves et réaliser de gros investissements.
Dans notre plan de relance, nous travaillons sur une démarche où les vignerons qui partent à la retraite pourraient ainsi louer leurs exploitations à ceux qui arrivent, afin qu'ils puissent démarrer progressivement, en réduisant les investissements nécessaires.
Sujets les + commentés