Agrapole, à la colocation de l’innovation

[3/6] A l’origine simple regroupement d’acteurs du monde agricole et alimentaire bénéficiant de services mutualisés, l’Agrapole a progressivement pris le virage de la collaboration entre colocataires pour favoriser l’émergence de solutions et de produits communs. Doté des moyens nécessaires pour amplifier cette tendance, il est en passe de devenir un laboratoire de 15 000 m2 où se conçoivent les innovations de la foodtech régionale. Troisième volet de notre série consacrée à l'agriculture, l'agroalimentaire et l'environnement.
(Crédits : Laurent Cerino / ADE)

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Juin 2017, l'Agrapole est en fête. Le site, cinq bâtiments reliés entre eux par des passerelles de verre regroupant plus de cinquante organisations professionnelles agricoles, l'école d'ingénieurs Isara-Lyon et l'incubateur Foodshaker, fête ses dix ans. À cette occasion, l'association des locataires de l'Agrapole, gestionnaire du site, a vu les choses en grand. Au cœur du vaste atrium, véritable poumon du site, près de 300 personnes se sont retrouvées autour de trois buffets différents, des espaces festifs et plusieurs ateliers thématiques.

Ceux-ci incitaient visiteurs et occupants des lieux -près de 300 salariés, dont 150 pour l'Isara-Lyon qui franchissent chaque jour les portes du site - à réfléchir sur l'avenir du secteur agricole. Ils invitaient également les acteurs du pôle à sortir de leur bureau, se rencontrer et échanger. "L'idée était de faire une sorte de rallye pour permettre à chacun de mettre un visage sur chaque compétence du pôle", indique Pauline Wicky, responsable de la communication de l'association, recrutée il y a un peu plus d'un an, pour créer, entre autres, ce lien entre les divers organismes. Après dix ans de cohabitation, il est temps de passer à une véritable "coconstruction" organisée.

Créé en 2017, sous l'impulsion de l'école d'ingénieurs à laquelle s'est associé l'opérateur foncier spécialiste du milieu rural Safer Auvergne-Rhône-Alpes et de la chambre régionale d'agriculture, l'Agrapole est d'abord un espace de coworking géant, où des locataires aux centres d'intérêts convergents, tous orientés vers l'agriculture et l'alimentation, bénéficiaient de services communs (restaurant d'entreprise, location de salles de réunion, service de comptabilité, etc.). "Des services pratiques que nous ne pourrions pas nous payer seuls, dans un bureau", avance Antoine Carret, délégué régional de l'association nationale de développement agricole et rural Trame, dont le bureau est à l'Agrapole depuis sa création.

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Jérôme Zlatoff, responsable de l'incubateur.

D'autres besoins émergent. À la demande des locataires, un vélo collectif est mis à leur disposition pour se déplacer d'un lieu à l'autre. "Nous réfléchissons à monter une conciergerie ou une salle de détente", dévoile celui qui est également un « pilier » du site, et l'un des dix membres du conseil d'administration du site.

Le regroupement des compétences est sous-jacent et s'impose dès les fondations de l'Agrapole. Tous les acteurs portent la volonté et l'ambition d'avancer dans le même sens. Mais la première étape est de se loger, ensemble.

"L'Agrapole est un lieu de services partagés pour un confort et une qualité de travail différente. Si les services ne marchaient pas, les organismes ne resteraient pas. Cette mutualisation des moyens rend les choses beaucoup plus simples au quotidien. C'est un préalable indispensable au développement de propositions communes complexes", analyse Caroline Debroux, présidente de l'association des 42 locataires depuis plusieurs années.

"Au bout de six mois, nous avons emménagé ici avec ma nouvelle équipe. C'est vraiment plus pratique", avance la directrice de la fédération régionale des coopératives d'utilisation de matériel agricole (FRCuma). Même constat à la fédération interrégionale des coopératives agricoles (Coop de France Auvergne-Rhône-Alpes).

"Nous travaillions auparavant à côté du parc de la Tête d'or à Lyon, dans une infrastructure peu adaptée à notre activité. Ici, nous avons tous les outils nécessaires à notre développement. Le site contribue à notre succès", analyse Laure Genin, consultante qualité sécurité des denrées alimentaires et RSE chez Coop de France.

Et les acteurs engagés du site veulent aller plus loin.

"Les talents sont potentiellement ici. Mais il nous faut les structurer. Tous les locataires sont indépendants et libres d'adhérer au projet collectif. Il faut les convaincre de coopérer entre eux. Si l'on ne structure pas et que l'on n'organise pas l'émergence du lien, quitte à le provoquer, cela ne se fera pas tout seul. D'où notre idée de financer un poste de communicant, responsable de faire émerger l'interconnexion", souligne la présidente.

Les plus convaincus ont rapidement repéré les compétences majeures du site, incarnées par quelques figures exposées sur le "mur des posters" de tous ceux qui composent l'Agrapole, exception faite des étudiants, près de l'entrée de Prestal, le restaurant collectif du site, lieu de convergence. Plus qu'un restaurant, il représente le projet social du site. Parce qu'il favorise la réinsertion professionnelle d'un public éloigné de l'emploi comme la rencontre entre les locataires.

"C'est simple de s'y rencontrer, de faire connaissance avec ses voisins et de rapidement évaluer nos besoins respectifs. Les têtes de réseaux y sont nombreuses. C'est efficace sur le plan du fonctionnement", poursuit Caroline Debroux.

Là aussi,les étudiants ou les porteurs de projet issus du Foodshaker, l'incubateur du pôle, testent parfois leurs innovations alimentaires auprès de ce public, exigeant.

Compétences collectives

Après son ouverture, dès 2008, l'Agrapole lançait son incubateur. Porté par l'Isara-
Lyon, légitime pour animer le projet, et encadré par d'autres partenaires (Coop de France, Prestal, Safer, etc.), il se focalise d'abord sur l'agroalimentaire et l'agrotechnologie. "Nous sommes l'aboutissement du premier projet d'innovation collective de l'Agrapole", souligne Jérôme Zlatoff, responsable de l'incubateur, et de l'entrepreneuriat et l'innovation à l'école. L'heure est au renouveau : "Après dix ans, nous avons adopté une nouvelle identité, plus proche de nos activités actuelles et plus en lien avec le réseau FoodTech que nous venons d'intégrer et de fédérer."

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Les produits sortis de l'incubateur.

S'il accueille quelques étudiants, l'incubateur est surtout ouvert à tous les projets qui s'inscrivent dans la thématique "de la fourche à la fourchette", comme celui d'Ivan Jouravleff, cofondateur de Vetools, une plateforme collaborative de télémédecine vétérinaire. "Ce qui nous intéresse, c'est la capacité du porteur de projet à intégrer nos remarques pour faire évoluer son idée", ajoute le responsable de l'incubateur qui porte sept projets par an (durée variable de 6 à 18 mois en fonction des problématiques) sur une sélection, assez stricte, de soixante projets présentés. Il ambitionne d'accompagner dix projets d'ici 2020.

"Nous avons également repensé notre modèle économique. Nous demandons un droit d'entrée, symbolique, de 1 000 euros, complétés de succes fees en cas de réussite, de 1 000 et 10 000 euros selon les cas", poursuit-il.

Cet accompagnement fait appel aux compétences de l'Agrapole : lors du comité de sélection, mais aussi dans la mobilisation de toutes les personnes ressources, un réseau d'une quarantaine de partenaires, qui interviennent auprès des "incubés". Les fondateurs d'Ici & là et de Chiche ! ont fait tester, en avant-première, leurs steaks et boulettes de légumineuses et leurs pois chiches pour l'apéritif au restaurant Prestal.

"La position de l'incubateur est idéale. L'intérêt d'être en groupe est essentiel pour lancer un projet comme le nôtre. Je profite largement du réseau, ici, sur place, mais aussi de tout l'écosystème développé par le site. On bénéficie tous les mois d'un point d'étape avec un référent capable de mobiliser les personnes ressources nécessaires", commente Ivan Jouravleff, banquier dans une autre vie.

L'incubateur pourrait-il aller plus loin dans ses liens avec le site ? "Sans aucun doute, nous pourrions approfondir nos partenariats autour de l'entrepreneuriat. Nous sommes très portés sur l'alimentation, ce qui n'est pas la mission de tous les organismes ici", répond-il.

Partage

L'Agrapole entend valoriser toutes les compétences du site : de la plus simple - fabriquer un outil de communication pour une organisation voisine par exemple -, à la plus complexe, comme faire immerger l'innovation pour inventer l'agriculture et l'alimentation de demain.

En passant par le partage du réseau : grâce à cette proximité géographique, les équipes de l'association Isara-Conseil se sont rapprochées de Laure Genin pour un partenariat stratégique : pas de structure juridique commune, mais "un accord de bonne entente pour mutualiser les ressources et les charges. Nous travaillons à côté, sur les mêmes outils et avec la même philosophie. Nos secteurs d'intervention sont très complémentaires. Ces affinités nous permettent de lisser nos activités et d'organiser des événements de grande envergure. Cela contribue aussi à l'innovation du secteur en faisant émerger les nouvelles thématiques et en les partageant avec de plus petites structures qui n'ont pas les moyens de faire de la veille technologique", explique Laure Genin.

Pour les projets prospectifs, réunir quelques organismes autour d'une thématique fonctionne bien. Le projet COTRAE, un collectif pour la transition agroécologique porté, entre autres, par Trame, le Fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant Vivea, l'Isara-Lyon et la FRCuma, en est un bon exemple. En tout, près de dix partenaires portent ce projet associant chercheurs et acteurs de terrain pour travailler sur la question de l'innovation dans les collectifs agricoles.

"Nous avons mené des projets aboutis pour les acteurs en mettant en place une formation à succès avec différents organismes. Notre rôle est de préparer les agriculteurs aux métiers de demain. Nous nous sommes inscrits dans une dynamique collective pour mener des expérimentations et les aider à passer sereinement ces phases de transition", explique Antoine Carret.

L'expérimentation devrait durer encore jusqu'à la fin de l'année 2019.

Créer du lien

Sur ce modèle, plusieurs initiatives ont émergé dans le passé : Phytoel, la création d'un réseau de 32 fermes-pilotes pour évaluer les incidences économiques, environnementales et sociales de la réduction de produits phytosanitaires (chambre régionale d'agriculture, Institut de l'élevage). Ou encore "Acteurs demain", une formation - encore active - pour les agriculteurs et agricultrices de la région où interviennent l'Isara-Lyon, la chambre régionale d'agriculture, Vivea, la FRSEA.

Quatre-vingts acteurs ont été formés depuis le lancement de ce programme en 2009. À la chambre régionale d'agriculture Auvergne-Rhône-Alpes, partie prenante dans 160 programmes d'innovation et partenaire d'une cinquantaine d'organismes dans 11 filières différentes, dont une bonne partie basée à ses côtés à l'Agrapole, Jean-Marie Vinatier, chef du service Innovations agronomiques et territoriales, admet que "la proximité favorise les discussions et la mise en place de projets communs. L'Agrapole concentre une grande partie des innovateurs, mais il y en a beaucoup d'autres ailleurs sur le territoire. Être sur un même site permet les choses, mais ce n'est pas le seul vecteur". Arrivant en amont et en aval de chaque projet, la chambre joue un rôle essentiel dans la détection des axes de recherche comme dans la diffusion des innovations. Sa position dans l'Agrapole reste incontournable.

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La célébration des dix ans du site a relancé ce positionnement assumé. La journée de rencontre a donné un nouveau souffle à la collaboration : Trame et le centre de ressources pour le développement local Cap Rural travaillent sur une action commune. Cafés-rencontres réguliers, projet de signalétique du site, nouvelles journées thématiques pour nourrir la réflexion, expositions, multiplication d'événements extérieurs, projet d'un intranet..., autant d'actions réalisées pour créer du lien. Seul point d'amélioration: l'absence de relations plus étroites avec les étudiants et les différents organismes présents sur le site.

"Nous travaillons sur cette question, avance l'association. Nous avons lancé un travail de végétalisation des bâtiments et la réhabilitation du "jardin zen", ce qui pourrait nous rapprocher d'eux."

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