Aéroports Lyon et Genève, oseront-ils le rapprochement ?

Leur proximité géographique et la complémentarité de leurs infrastructures en font deux partenaires naturels : les aéroports de Genève et de Lyon "semblent" faits pour s'entendre, et le premier s'affirme comme un candidat évident à la privatisation du second. Encore faut-il qu'au sein des cercles politiques, économiques et décisionnels respectifs, la volonté "d'oser construire" s'impose aux réflexes, toujours vifs, d'adversité qui entravent la logique de développement territorial transfrontalier.
L'aéroport de Lyon se rapprochera-t-il des Alpes en passant sous pavillon genevois ?

Genève est-il le meilleur candidat pour s'offrir l'aéroport de Lyon ? Et en a-t-il les moyens ? Les questions méritent d'être posées après l'officialisation, le 24 mars dernier, de la volonté de Genève Aéroport de se porter acquéreur d'Aéroports de Lyon dans le cadre d'un consortium avec Cube Infrastructure, le fonds d'investissement de Natixis.

L'État français recherche de nouvelles sources de revenus. Le plus efficace dans ce genre de circonstances : vendre, entièrement ou partiellement, des infrastructures aéroportuaires. Par exemple, l'an dernier, la cession par l'Agence des participations de l'État, de 49,99 % d'Aéroport de Toulouse-Blagnac (ATB) au consortium chinois Symbiose lui a rapporté 308 millions d'euros.

Un cahier des charges très strict

Dans la même logique de quête de fonds, le gouvernement a confirmé en juillet dernier sa volonté de se défaire de la totalité des 60 % des parts qu'il détient dans Aéroports de Lyon, la société en charge de l'exploitation des plateformes de Saint-Exupéry et de Bron. Et, comme chaque fois que les infrastructures sont concernées, le débat peut rapidement devenir passionnel car il touche au sujet sensible du développement territorial.

Le gouvernement s'est donc lancé dans cette procédure avec la ferme intention d'éviter la répétition de la polémique entourant la cession de Toulouse-Blagnac. Un cahier des charges très strict a été élaboré pour s'assurer de la capacité du futur repreneur à gérer la plateforme lyonnaise. Et les actionnaires minoritaires locaux (CCI Lyon Métropole, Métropole de Lyon, Région Auvergne Rhône-Alpes et Conseil départemental du Rhône) ont été consultés à plusieurs reprises sur ce document. Un processus de concertation que ces derniers ont jugé constructif.

La plateforme de Saint-Exupéry, mise en vente avec celle de Bron, spécialisée dans les vols d'affaires, a accueilli 8,7 millions de passagers en 2015 (en hausse de 2,5 % par rapport à 2014). Elle représente le quatrième plus grand aéroport de France, derrière Charles-de-Gaulle, Orly et Nice, ce dernier étant lui aussi privatisé simultanément.

Lire aussi : Aéroports de Lyon : la privatisation en marche

Aucune liste officielle n'a été divulguée à ce stade, mais les nombreux candidats auto-déclarés ont chacun des arguments de poids. Vinci Aéroports, par exemple, qui gère 34 plateformes dans le monde (11 en France), dont celles de Grenoble et de Chambéry, est l'un des prétendants dont les chances sont les plus importantes.

L'aéroport de Singapour, devenu l'une des principales plateformes au Moyen-Orient, peut également croire en ses chances, lui qui cherche une première acquisition en Europe. Et donc bien sûr aussi l'aéroport de Genève, qui collabore déjà régulièrement avec la plateforme lyonnaise.

Un partenaire naturel ?

Comment la candidature genevoise est-elle perçue par les décideurs rhônalpins ? Par sa position géographique, le département de l'Ain, tourné vers l'aéroport de Lyon à l'ouest et vers celui de Genève à l'est, est charnière.

"Genève est un aéroport pratique, branché sur le monde entier, et le développement des low-cost n'a pas été freiné. Mais il présente des inconvénients : un parking misérable et exigu. Les transferts entre terminaux sont incommodes, témoigne Alain Palisse, président du Medef de l'Ain, fondateur du Forum Economique Rhodanien et PDG de AdduXi installé à Oyonnax. A Saint-Exupéry, le confort pour les passagers est bien meilleur."

Dans l'hypothèse d'un rapprochement, ce chef d'entreprise exige que "Lyon ne soit ni un erzatz ni un simple complément de Genève. Il faut établir au préalable un inventaire très précis des vols de chacune des deux plateformes."

Jean-Marc Bailly, président de la CCI de Bourg-en-Bresse abonde-t-il le projet ? Pour l'heure, il s'interroge : "Est-ce une stratégie offensive pour développer les aéroports de Lyon ? Ou Genève se positionne-t-il pour éviter qu'ils ne passent dans les mains d'un autre ?" Et devoir, dans ce cas, affronter un concurrent puissant ?

De son côté, Patrick Mignola, vice-président délégué aux transports à la Région Auvergne Rhône-Alpes (actionnaire à 5 % de l'aéroport de Lyon Saint-Exupéry), et par ailleurs maire de La Ravoire, en Savoie, refuse de prendre parti. A l'instar d'Étienne Blanc, maire de Divonne-les-Bains et premier vice-président à la Région Rhône-Alpes, il souligne que le projet genevois "a du sens", car "sa proximité géographique en fait un partenaire naturel. Mais il existe un risque : que l'infrastructure suisse se déleste sur Saint-Exupéry de ce qu'elle ne veut pas. Quel que soit le futur exploitant de l'aéroport lyonnais, il devra travailler avec celui de Genève", convient-il.

Pas de remise en cause de l'autonomie des plateformes

Pour Pierre Maudet, conseiller d'État du canton de Genève, en charge du Département de la Sécurité et de l'Économie, autorité de tutelle de l'aéroport de Genève, il n'est nullement prévu de remettre en question l'autonomie de chacune des plateformes. L'élu voit cette opération comme une mutualisation des compétences, dans le but de renforcer la complémentarité des deux aéroports.

"Nous serons vigilants sur le projet d'ensemble, avertit Patrick Mignola. Le futur actionnaire majoritaire devra montrer sa volonté de travailler en réseau avec l'ensemble des aéroports d'Auvergne Rhône-Alpes et donner une place aux différents aérodromes spécialisés dans l'aviation d'affaires."

Sur ce point, Genève Aéroport, qui manque cruellement de place et dont l'extension est impossible, voit le nombre de vols d'affaires reculer d'années en années.

"Le futur propriétaire devra continuer de faire monter en puissance l'aéroport de Lyon-Saint Exupéry en ouvrant des lignes sur le Moyen-Orient et les États-Unis. Il doit avoir une vraie vision sur le devenir du foncier autour de l'aéroport", énonce Patrick Mignola.

Au niveau européen, Saint-Exupéry n'émarge qu'à la 47e place ; ce qui ne correspond pas, et de loin, au poids d'Auvergne Rhône-Alpes qui figure dans le top des 20 régions les plus puissantes en Europe. Il dispose donc d'une marge de progression évidente.

A ce titre, Alain Palisse applaudit l'ouverture de la ligne Lyon-Dubaï, en décembre 2012, mais déplore l'absence de liaison avec les États-Unis : "Elle aurait tout son sens avec la reprise de l'économie américaine. Il faut cibler des destinations comme Chicago et Atlanta et recréer une clientèle industrielle." Et d'estimer pénalisante la restriction des vols après 21 heures pour un aéroport qui nourrit une ambition internationale.

aéroport de genève

"La proximité, source aussi de concurrence"

L'intérêt porté par Genève Aéroport fait-il l'unanimité ? Non, comme l'atteste Jacques de Chilly, directeur général adjoint au développement économique et international de la métropole de Lyon.

"Nous ne sommes pas convaincus que la prise de contrôle de l'aéroport de Lyon par Genève Aéroport se ferait au bénéfice du premier. Une répartition équilibrée entre ces deux plateformes me paraît illusoire. Genève ne transfèrera jamais sur Lyon des vols internationaux répondant aux besoins de l'OMS, de la Croix-Rouge ou d'autres organismes internationaux", argumente-t-il.

Jean-Michel Daclin, président de l'Office du tourisme de Lyon, n'est pas du tout certain, lui non plus, que l'éventuel mariage soutienne le développement de vols internationaux à Saint-Exupéry. "L'intérêt pour le tourisme lyonnais est d'avoir un partenaire pour l'aéroport qui nous connectera sur des destinations lointaines. L'arrivée d'Emirates nous amène des Australiens."

A l'argument vantant l'atout que constitue la proximité des deux plateformes pour faire cause commune, il rétorque que ladite proximité "alimente aussi la concurrence". Et de faire référence aux campagnes de promotions de Cointrin en Rhône-Alpes offrant la gratuité du parking, hors vacances scolaires. Ce que Saint-Exupéry ne peut pas initier car l'opérateur de l'aéroport n'est pas celui des parkings. "La synergie entre les deux aéroports ne peut exister que s'il y a une liaison rapide les reliant en une heure et quart, par bus ou par train", affirme Jean-Michel Daclin.

Une analyse partagée par Alain Palisse qui juge nécessaire d'envisager une navette, à l'image de Rhônexpress entre l'aéroport Saint-Exupéry et le quartier de la Part-Dieu, à Lyon, pour relier directement les deux aéroports via une convention franco-suisse. Un projet à 10 ou 15 ans dont le pilotage reviendrait à la Région, autorité compétente dans le domaine des transports. En matière d'infrastructure, le patron du Medef de l'Ain déplore, comme beaucoup, la faible fréquence des TGV desservant la gare ferroviaire Saint-Exupéry. Ce chef d'entreprise y voit un levier pour accroître la fréquentation de l'aéroport lyonnais : "Si vous ratez votre vol à Roissy, des liaisons régulières vous permettraient de venir en attraper un à Saint-Exupéry."

Climat de tensions

L'état des relations entre la France et la Suisse peut-il peser au moment du choix final ? "Les relations se dégradent au profit des mouvements souverainistes", constate Étienne Blanc. L'élu évoque ainsi le vote des Genevois refusant de cofinancer, sur le territoire transfrontalier français, cinq parkings relais (mai 2014). Ou encore la plainte pénale déposée contre X par le Canton de Genève concernant la centrale du Bugey.

Jacques de Chilly, par ailleurs ex-directeur de l'Aderly (Agence de développement économique de la région lyonnaise), évoque, quant à lui, des relations historiquement compliquées entre Lyon et les cantons de Vaud, Lausanne et Genève. Ces territoires suisses sont taxés de faire du dumping fiscal pour attirer des entreprises convoitées par Lyon. "Nous sommes en compétition notamment dans le domaine des sciences de la vie", observe Jacques de Chilly.

Au niveau national, on se souvient également des tensions autour de la fiscalité appliquée à l'aéroport de Bâle-Mulhouse. Un conflit qui n'a trouvé son épilogue qu'en début d'année. Les entreprises actives dans le secteur douanier suisse de l'aéroport seront soumises au régime fiscal de l'Hexagone, mais elles ne payeront plus de taxe locale française, avait expliqué en janvier dernier le président de la Confédération, Johann Schneider-Ammann.

Toutes ces tensions sont-elles insurmontables ? Patrick Mignola les modère, et en veut pour preuve le chantier du CEVA, RER transfrontalier. Mais combien d'années seront nécessaires à un apaisement en profondeur et durable ? "Chacun joue personnel de part et d'autre de la frontière en matière économique. Or, comment ferait la Suisse sans les salariés frontaliers ?", interroge Alain Palisse, dans un contexte moins favorable en Suisse romande où le chômage augmente et la résiliation d'un contrat de travail est facile.

"Je ne maîtrise pas l'équation économique ni la complexité du jeu politique. Mais si l'aéroport était le sujet qui permette de ramener tout le monde autour de la table, ce serait tant mieux, avise Boris Lechevalier, associé chez Altios International, spécialisé dans l'accompagnement des entreprises à l'international. Je suis de ceux qui sont convaincus qu'avant de regarder la Chine ou le Brésil, il faut s'intéresser à ce qui est près de nous. La Suisse est de ces voisins avec lesquels il existe des synergies industrielles avérées, effectives et potentielles."

Gagnant-gagnant

Mais pourquoi Genève fait-il figure de candidat idéal ? "Notre approche ne s'inscrit pas dans une démarche purement spéculative contrairement à d'autres", argumente Bertrand Stämpfli, le porte-parole de Genève Aéroport. Du côté de Lyon, comme de celui de Genève, tout le monde s'accorde sur l'évidence de ce rapprochement naturel.

"Nous sommes déjà régulièrement amenés à nous exprimer d'une seule voix sur de nombreux dossiers. Cette prise de participation nous permettrait donc de donner un cadre à une collaboration déjà effective", plaide le représentant de Genève Aéroport.

Pour la chambre de commerce, d'industrie et des services de Genève (CCIG), il ne peut s'agir que d'une opération gagnant-gagnant.

"L'importance d'un aéroport international pour la prospérité économique du canton, du Grand Genève en général et d'une grande partie de la Suisse romande n'est plus à démontrer, souligne son directeur, Jacques Jeannerat (par ailleurs membre du conseil d'administration de Genève Aéroport). Cette candidature doit se lire comme une préparation à la saturation de Genève Aéroport. En effet, une fois que celui-ci aura atteint 25 millions de passagers, que se passera-t-il ? Soit on arrête l'expansion et l'aéroport ne conserve que les vols "lucratifs" et donc on met à l'écart toute une série de compagnies. Soit on prévoit une solution de débordement : c'est-à-dire qu'une partie des passagers sera transférée sur Lyon."

Lesquels ?

"Cela devra encore être déterminé. Par ailleurs, une telle solution ne peut fonctionner que s'il existe une liaison terrestre efficace entre les deux aéroports. Pour la CCIG, celle-ci ne peut pas être routière - cela nécessiterait un nombre trop important de navettes. Il faudrait mettre en place un train direct Cornavin-Aéroport - Aéroports de Lyon."

Véronique Kanel, de Suisse Tourisme, comprend l'intérêt de Genève "d'avoir un hub à proximité, permettant d'assurer une certaine croissance sans toutefois devoir agrandir l'aéroport." Mais à la condition également que les deux plateformes soient reliées par une liaison ferroviaire rapide.

"Même s'il est difficile à ce stade de quantifier les avantages d'une telle opération pour le tourisme suisse, il est certain que le potentiel serait impressionnant en bénéficiant d'une telle connexion."

Pascal Buchs, de Genève Tourisme, abonde : "Nous soutenons tout ce qui peut dynamiser l'offre touristique de la région et renforcer l'attractivité du Grand Genève."

Prochaine étape : la remise d'ici au 12 mai des offres indicatives, qui devront comprendre le prix proposé par action. Pour les 60 % que détient l'État, mais également pour les autres participations des acteurs locaux qui pourront, s'ils le désirent, céder leur participation. La CCI Lyon Métropole l'envisage sérieusement, tout en préservant la minorité de blocage (soit 33,01 % contre 40 % aujourd'hui) de ce pool local déterminé à signer un pacte d'actionnaires entre eux.

Le ministre de l'Économie Emmanuel Macron, attend une valorisation globale (pour 100 % des actions) de 1,5 milliard d'euros, pas moins. Est-ce à la portée du consortium constitué autour de Genève Aéroport ? Ce dernier, où en est-il de son montage financier ? Comment composera-t-il avec le nombre pléthorique d'intervenants et la perplexité autochtone pour la réduction des marges de manœuvre budgétaires des collectivités territoriales ? D'aucuns, parmi ceux qui décrivent la situation à ce stade figée, espèrent à court terme son déblocage. Vœu réaliste ou chimérique ?

  • CESSION AÉROPORTS DE LYON, LE CALENDRIER


Juillet 2015 : Emmanuel Macron confirme la cession de 60 % d'Aéroports de Lyon
10 mars 2016 : Appel d'offres publié au Journal Officiel
24 mars 2016 : Dépôt des propositions de candidature
Premiers déclarés : Changi Airport (Singapour) en coopération avec Ardian (Vinci, Caisse des dépôts et Predica), les consortium Cube et AviAlliance, les groupes Macquarie et Ferrovial
12 mai 2016 : Dépôt des offres indicatives
4 juillet 2016 : Dépôt des offres fermes
Juillet-août 2016 (espéré) : Décision finale du gouvernement

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