Verney-Carron sort le grand jeu sur les marchés émergents

Tandis que le marché des armes de chasse stagne en France, la PME stéphanoise tourne son canon vers le marché mondial de la sécurité. Avec en tête un produit phare : le Flash Ball, qui fait moins polémique en Asie et en Europe de l’Est que dans la presse française.

Le visiteur qui s'attend à une manufacture léchée et impeccablement marketée sera surpris : la façade de Verney-Carron, à l'entrée de Saint-Etienne, derrière le stade Geoffroy Guichard, ne paye pas de mine. Elle affiche plutôt le charme suranné des ateliers industriels des années 1960, avec leurs sheds, ces toitures en dents de scie en partie vitrées, et le bourdonnement sonore du travail mécanique. Pourtant, à l'étage des bureaux, les projets sont bien de ce siècle. On discute Flash Ball, marché asiatique, concurrence des PME allemandes. Non sans pinailler avec jubilation sur tel ou tel détail de l'arbre généalogique de la maison, et la date réelle d'activité de l'ancêtre Guy, premier faiseur de fusil de la famille, au début du XVIIe siècle… 

Au milieu des rangées de carabines et des étals d'essences de noyers, le bois dans lequel est taillé le manche des armes, le directoire est au complet. Trio aussi éclectique que complémentaire. Il y a là Pierre, 71 ans, quarante ans de maison. L'ancien président vient de passer la main en début d'année à son neveu Jean, jusque-là directeur général, qui a lui-même transmis les manettes du développement et de l'export à son cousin Guillaume - le fils de Pierre. Dans ce chassé-croisé familial des fonctions de direction, une seule devise : maintenir les traditions tout en s'adaptant à l'évolution du marché. Veste de chasse et sagittaire épinglé à l'encolure, Jean Verney-Carron s'en amuse : "Depuis Claude, qui a créé l'atelier en 1820, de père en fils les prénoms se succèdent de Claude en Jean. Mon père s'appelait Claude, mon fils s'appelle bien entendu Claude. C'est important pour notre image de marque. Nos clients sont des personnes très conservatrices".

 L'année des bonnes nouvelles

Verney-Carron, premier fabricant français d'armes de chasses, bataille fièrement sur un marché stagnant, hyper segmenté et compétitif à souhait. Avec 1,3 million de chasseurs recensés en France, l'Hexagone demeure le premier marché européen, et l'un des terrains de jeu les plus attractifs pour les mastodontes italiens (Beretta), belges (Browning), américains (Remington) et plus récemment allemands (Sauer, Blazer, Merkel ou Mauzer), qui tiennent la dragée haute au petit challenger stéphanois. "Nous ne jouons pas dans la même cour : les sept ou huit leaders mondiaux affichent un chiffre d'affaires oscillant entre 200 et 300 millions d'euros. Avec 10 000 armes fabriquées par an, nous faisons office d'artisans", reconnaît Guillaume Verney-Carron. Cependant la PME presque bicentenaire a du ressort. Et 2013 pourrait bien être pour elle l'année des bonnes nouvelles : "Il est vrai que nous traversons une période plutôt faste, et que plusieurs projets sont en cours". La société étudierait une prise de participation chez l'un de ses partenaires étrangers, afin de renforcer sa position sur l'arme de série au niveau international. "Notre objectif est de réaliser des économies d'échelles, et de peser un peu plus auprès de nos fournisseurs, avec qui nous faisons preuve d'exigence bien que nous ne représentions pas grande chose dans leur portefeuille : cela nous place en situation de fragilité", détaille Jean Verney-Carron. De même, la création d'une joint-venture serait à l'étude sur son site de Saint- Etienne, afin de se développer sur un marché de niche qui pourrait créer une vingtaine d'emplois dans la capitale historique de l'armurerie. Mais pour l'heure, rien n'est dévoilé, si ce n'est l'ambition de Verney-Carron de se positionner en tête des petits fabricants, et de prendre le lead sur le second groupe.

 Conquérir une image de prestige

Ses cartouches ? Le marché de la sécurité, et le haut de gamme. Pour ce dernier, le rachat des établissements Paul Demas en 2004 (rebaptisés aujourd'hui "L'Atelier Verney-Carron") a constitué une inflexion forte dans le cœur de métier de l'entreprise. Après les décennies dédiées à la production industrielle, au cours desquelles le marché réclamait de fabriquer plus vite et moins cher, l'objectif est désormais de réacquérir le savoir-faire du sur-mesure, et de conquérir une image de prestige. Car sur le créneau de l'entrée de gamme, impensable d'espérer concurrencer la Turquie, qui commercialise ses premières armes de série à 300 ou 400 euros lorsque le prix de vente moyen en France s'établit à 1 000 euros. Le pari de Verney-Carron est donc désormais de développer une activité de luxe, en fabriquant chaque année 180 armes à raison de six mois de travail par fusil. "Celles-ci sont vendues pour moitié à des clients étrangers : Etats- Unis, pays de l'Est, Kazakhstan et Angleterre. La seule manière d'augmenter le chiffre d'affaires de l'Atelier est de vendre les produits de plus en plus chers. C'est possible, car il existe encore un marché de la belle arme de chasse", affirme le directeur général.

Le renouveau du Flash Ball

Mais le créneau du luxe ne représente aujourd'hui que 10 % de l'activité de l'entreprise. Le véritable levier de croissance sur lequel s'appuie Verney-Carron pour reprendre son souffle, c'est le marché de la sécurité et de la défense. En d'autre termes, le Flash Ball - une marque déposée par Verney-Carron, même si son usage est aujourd'hui celui d'un nom commun. Depuis la popularisation de cette arme non létale par la police nationale française au début des années 2000, le produit a déchaîné les passions. Les Verney-Carron s'en agacent. "Nous sommes fiers d'avoir mis dans les mains des gens des armes qui ne tuent pas mais qui permettent de se défendre, tient à rappeler le président du directoire. Le Flash Ball a permis d'éviter nombre de bavures et d'accidents. Mais en France, nous avons été en quelque sorte victimes de notre image". Le renouveau du Flash Ball tient donc en son gigantesque potentiel à l'export. "Nous avons les moyens d'équiper toutes les polices et gendarmeries nationales du monde", présente Guillaume Verney-Carron : Portugal, Mexique, Slovaquie, Slovénie, Maroc, Sénégal, Indonésie, Thaïlande ou Cameroun, où les négociations sont en cours. Le directeur général sillonne les cinq continents en soupirant sur les marchés en demande, comme la Chine, l'Algérie ou le Vietnam, pour lesquels les services de l'Etat français n'ont pas délivré de licence d'exportation. "Il y a quatre ou cinq ans, le Flash Ball constituait 10 % de notre chiffre d'affaire global. Aujourd'hui, il représente 40 %. C'est lui qui tire notre croissance". Gilets par-balles, lunettes, gants, couteaux, bâtons, fusils à pompe : Verney-Carron lance cett année la gamme "Security", que viennent d'intégrer trois autres marques françaises. Si les PME allemandes restent de redoutables concurrentes à l'export, affichant généralement un volume d'affaires cinq fois supérieur à leur compétiteur français, Verney-Carron se montre confiant dans sa capacité d'adaptation. "Nous avons toujours su nous montrer réactifs, analyse Pierre Verney-Carron. Contrairement aux plus grands groupes, nous ne mettons pas trois ans à sortir un nouveau modèle." Une agilité que l'entreprise a su prouver notamment sur le marché des vêtements de chasse, auquel elle a consacré la création d'une filiale en 2002, devenue aujourd'hui leader sur le réseau de distribution de chasse (excepté l'outdoor, dominé par le groupe Oxylane avec ses magasins Decathlon). "Certes, les besoins en fonds de roulement sont élevés, et la mobilisation des encours s'avère lourde à porter en terme de trésorerie, admet Guillaume Verney-Carron. Mais la rentabilité de l'entreprise s'est nettement améliorée, et malgré quelques expériences désagréables en Allemagne, nous sommes confiants dans notre capacité de croissance à l'export".

 

 

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