Le mariage entre Groupama et Cegid pose question

Le 19 décembre 2007, Groupama SA et Cegid Group annonçaient un partenariat industriel, articulé autour d’un accord capitalistique dans le cadre duquel l’assureur acquérait pour un montant de 87,5 millions d’euros 17,23 % du capital de l’éditeur lyonnais de prologiciels, auprès d’ICMI – holding personnel de Jean-Michel Aulas -, d’Apax Partners, et d’Eurazeo. Auscultation, six mois plus tard, de la genèse, des enjeux, et des perspectives d’un mariage dont la pertinence et la concrétisation actionnariale ne font pas l’unanimité.
©H de Oliveira/Expansion/Rea

A qui profit le partenariat ? Dans le cénacle des analystes financiers et des gérants de fonds, on fait remarquer en premier lieu que la cession par ICMI, son holding personnel dont il détient 99,97 % des parts, de 1 136 363 actions de Cegid Group à 55€ l'unité, doit permettre à Jean-Michel Aulas de régler une partie de ses objectifs patrimoniaux personnels et des engagements qu'il doit assurer au titre de sa situation familiale. Etait-ce là l'objectif prioritaire de celui qui préside également l'Olympique Lyonnais ? Patrick Bertrand, directeur général de Cegid Group, et Christian Collin, secrétaire général de Groupama, ni ne confirment ni ne démentent. Derric Marcon, analyste sell-side chez Kepler Equities, souligne que l'accord constitue pour Jean-Michel Aulas « un coup de maître », salué « unanimement » par les observateurs.

 

Une victoire pour Cegid

 

« Y avait-il d'autres acheteurs ? L'intéressé l'assurait. Nous ne saurons jamais en revanche quel prix ils avaient proposé », poursuit le spécialiste. Indiscutablement, l'acquisition pour 87,5 millions d'euros de 1 509 909 actions constitue une victoire pour Cegid Group. Valorisée à 55€ lors de la conclusion des transactions entre Groupama et les « cédants » ICMI, Apax Partners (296 549 titres) - tous trois détiennent désormais 6,77 %, 13 %, 6,93% du capital contre 20,09%, 17,07%, 9,09% auparavant -, l'action n'avait jamais dépassé les 48 euros depuis sept ans. Dans une étude produite le 18 octobre 2007, CIC Securities valorisait à « 53€ par titre la mise en œuvre de l'ensemble des synergies que nous avons identifiées » dans le cadre d'un accord avec un « partenaire industriel » à ce moment là « non identifié » et selon des modalités « inconnues ». Des recommandations bienvenues au moment de conclure l'accord. « Le prix de 55€ fut établi au moment où le cours était d'environ 42€. L'écart, nous le justifions par le complément de richesse que le partenariat va générer chez Cegid, aussi par la valeur d'un double engagement : celui de Jean-Michel Aulas de demeurer pendant au moins quatre ans à la présidence de l'entreprise, celui d'Apax Partners et d'Eurazeo de ne pas céder le solde de leurs actions à des concurrents de Groupama », argumente Christian Collin. La signature finale, entérinée le 19 décembre 2007 et qui faisait suite à une lettre d'intention conclue le 24 octobre, lassa toutefois supposer qu'entre temps la grogne avait pu gagner au sein de Groupama, motivée par l'écroulement d'un titre - passé entre septembre et décembre de 44 à 26 euros - dont il n'est pas possible de distinguer la raison endogène de celle d'un contexte boursier déliquescent. En effet, le partenariat inclut une clause d'ajustement au no de laquelle si le cours du titre Cegid est inférieur à 31 euros entre le 1er et le 15 juillet 2009, 280 000 actions supplémentaires seront remises à titre gratuit par les cédants - 200 000 pour ICMI, 52 193 pour Apax Partners, 27 807 pour Eurazeo -, conduisant in fine à un prix d'acquisition de 47 €, soit un escompte de 15 %. Les 17,23% du capital et les 15,85 % des droits de vote détenus dans Cegid passeraient alors respectivement à 20,26 % et 19,02 %. « Si le cours est supérieur à 41 euros, il ne sera procédé à aucune livraison de ces titres. S'il oscille entre 31 et 41 euros, une règle de proportionnalité sera appliquée pour établir le nombre d'actions à nous livrer gratuitement », explique Christian Collin. Les mouvements du titre Cegid devraient faire l'objet d'une grande attention, elle aussi proportionnelle au rapprochement de la date butoir.

 

Désappointement

 

L'accord n'a pas fait l'unanimité parmi les actionnaires de Cegid. « Et pour cause : ils ont trouvé une nouvelle occasion de critiquer la structure de la transaction : ils n'ont pas bénéficié du prix proposé par Groupama, et ne comprennent pas l réduction significative de la part de Jean-Michel Aulas, qui passe de 19,1 % à 6, 77 % », déplore Derric Marcon. Seuls ICMI et, dans une moindre mesure, Apax Partners et Eurazeo - dont un membre du directoire, Gilbert Saada, a été nommé administrateur d'OL Groupe le 8 avril 2008 -, ont été intégrés à l'accord. Les autres actionnaires sont écartés. Parmi les participants bénéficiaires ou exclus de l'offre de Groupama - son secrétaire général estime qu'en sa position d'acquéreur « il n'a pas à commenter le sujet » -, l'embarras est perceptible. Ainsi, le directeur d'Apax Partners, Eddie Misrahi, et un dirigeant de Richelieu - détenteur d'environ 5 % du capital - ont finalement décliné l'entretien programmé. Assujetti à la confidentialité par la nature de sa fonction, le représentant d'un actionnaire significatif au sein du capital de Cegid dissèque la cause de cet embarras. « La direction de Cegid, et ceci, il faut insister, en parfaite légalité, a su opportunément créer - ou surfer sur - les conditions d'un bondissement du cours boursier. Tout au long de l'été 2007, une fois le mandat de recherche confié à Lazard - dont Eurazeo fut actionnaire jusqu'en mai 2005, cédant alors, dans le cadre de l'introduction en bourse de la banque d'affaires, sa participation pour 610 millions d'euros, ndlr - et révélé par le site internet du magazine Capital - Cegid a déposé plainte au pénal et réclamé une enquête auprès de l'Autorité des Marchés Financiers, ndlr - annonces, supputations, rumeurs se sont succédé, et le jeu des informations officielles ou officieuses, des silences, des confessions, des démentis - ou de leur absence - qui entoura les tractations provoqua un « buzz » important ». Jean-Michel Aulas évoqua la cession « totale ou partielle » des titres détenus par les trois principaux actionnaires de Cegid Group, le cours crût de 12 % le 10 juillet 2007 après que sa cotisation eut été suspendue, Capital évoquait une transaction à 63 € l'action - aussitôt jugée « sans fondement » par la direction de Cegid -, le quotidien Les Echos fit état d'une offre par un éditeur de logiciels américains à 55 € l'action, Montségur Finance chiffra, le 30 juillet, à 50 euros la valorisation de future prise de contrôle, ICMI annonça fin août des « discussions avec un groupe de services »...  « Les enchères grimpèrent. Vraiment, notre interprétation des faits nous laisse longtemps penser à l'intégration privilégiée d'un industriel du secteur informatique, du type SAP ou Microsoft, ou de professionnels comme Deloitte et Cap Gémini. Et donc, inévitablement, à une OPA amicale postérieure à l'accord et synonyme de rachat d'actions à des hauteurs bien supérieures aux 42 euros qui culminèrent en septembre. Pour cette raison, nous ne vendions pas, alors qu'une cession à ce niveau aurait pourtant généré une déjà belle plus-value. Le désappointement fut total lorsque le om de Groupama sortir du chapeau. Le choix de ce partenaire était incompréhensible, son périmètre d'action et sa virginité dans le métier de Cegid assuraient le maintien du management en place et enterraient toute opportunité d'OPA. La perspective financière espérée volait donc en éclats. Et comme simultanément le marché s'effondrait - au 22 janvier 2008, le titre Cegid était à 18 euros, et le 5 mai à 21 euros - ... Vous comprenez que dans ces conditions aucun professionnel ne veuille reconnaître officiellement son échec. Il faut savoir être beau joueur. Et saluer le talent d'homme d'affaires de Jean-Michel Aulas », poursuit le spécialiste.

 

Interrogations

 

Le rapprochement a-t-il un sens, pour Groupama SA (en 2007, 12,133 milliards d'euros de chiffre d'affaires, et 793 millions d'euros de résultat net) et Cegid (241 millions d'euros de chiffre d'affaires, un résultat net de 17,7 millions d'euros, 2 000 salariés) ? Les deux intéressés le défendent. « L'incrédulité domine au sein de la profession, assure de son côté Gilbert Ferrand, gérant au sein de la société de gestion Sapientia AM. L'opportunité comme la finalité de l'initiative sont peu évidentes, difficilement compréhensibles. Autant pour Groupama que pour Cegid. Nous sommes dubitatifs ». Au point que l'analyste avait annoncé six mois plus tôt, le 30 octobre, que face au « peu d'intérêt » de l'opération il décidait de « vendre la ligne ».
« L'annonce, aux synergies peu évidentes entre un assureur et un éditeur de prologiciels, a surpris au sein de la corporation des expertes-comptables », indique Paul Paccaud, ancien président de l'Ordre régional. La mise en cause de la pertinence du rapprochement porte moins sur Cegid - « même si le choix d'une partenaire industriel capable de favoriser le développement international de l'éditeur - présent sur 2 000 sites à l'étranger, qui génèrent 6 millions d'euros de chiffre d'affaires, ndlr - aurait eu bien lus de sens et généré bien davantage d'intérêts » observe Gilbert Ferrand - que sur Groupama. Du montant déboursé aux objectifs poursuivis en passant par les moyens à déployer et les mécanismes de recettes, la perplexité est palpable parmi les gérants de fonds. Peu lisible pour les uns, carrément « absent » selon Derric Marcon dans une note du 21 décembre 2007, le business plan cristallise l'embarras et fait enfler les suppositions et rumeurs portant sur les véritables motivations du rapprochement. Spécialisé dans le suivi des entreprises informatiques, le représentant de Kepler Equities énumère les interrogations : « A moins qu'elle décide de communiquer spécifiquement sur ses engagements tout au long de la période de cinq ans, nous aurons malheureusement peu de moyens de voir si la société les a tenus. Les produits adhoc développés par Cegid devront être particulièrement performants pour convaincre les utilisateurs, par nature résistants à ce type de changement, de remplacer leur outil. Signalons d'ailleurs qu'aucune informations ne nous a été communiquée sur la structuration du marché et l'identité des opérateurs. L'appétit du marché pour leurs solutions, l'environnement concurrentiel, et la motivation des commerciaux, constituent des paramètres que la direction ne peut pas entièrement maitriser.  Les déclarations de Patrick Bertrand résumant la pertinence, pour Groupama, du rapprochement à la mise en place d'une « solution pour gérer l'épargne d'entreprise des PME » peuvent laisser supposer que le banquier-assureur accuse un retard dans ce domaine. Mais alors pourquoi privilégier une telle stratégie, bien davantage coûteuse, aléatoire et hasardeuse - rappelons que Cegid ne produit pas encore les outils utiles à la concrétisation des objectifs affichés - et consommatrice de moyens, notamment commerciaux, au ralliement à une plate-forme commune du type Linedata, leader dans l'Hexagone et à laquelle participent d'autres banques-assurances (Société générale, Crédit Agricole, AXA, BNP Paribas, HSBC France), ou à celle de Natixis Interpagne ? Ce choix d'un développement interne plutôt qu'externe de la solution est contestable. Sauf pour Cegid, qui voit là l'opportunité d'accroître sa R&D à coûts réduits puisque partagés ».

 

« Stratégique »

 

Christian Collin se retranche derrière le « secret des affaires » pour justifier de ne pas commenter l'insuffisante lisibilité du business plan déplorée par les détracteurs, et pour taire l'investissement consenti au titre de la R&D. « Cegid est une opportunité de bâtir des outils et des services collaboratifs d'aide à la décision, à destination des experts comptables, prescripteurs d'entreprises. Le professionnalisme de notre propre réseau doit convertir en création de valeurs ce que nous investissons au sein de Cegid et ce que nous allons bâtir avec ses équipes. Cette solution, fondée sur la complémentarité des compétences, sur le mariage du contenu (Cegid) et du contenant (Groupama), nous est apparus comme la plus pertinente. Y compris pour participer à la pérennisation des entreprises, l'une des finalités de notre action. Dès janvier, nous avons réuni les collaborateurs de Groupama, de Gan Assurances, et de Cegid. Le sens du partenariat a été explicité, les groupes de travail ont commencé d'agir. Et en juin, nous pourrons présenter les premiers résultats de ces travaux, les premiers outils collaboratifs destinés aux experts comptables.  Quant à la R&D, son coût sera largement absorbé par les synergies, la rationalisation des dépenses, et les effets vertueux de l'industrialisation des process produits par le partenariat ». Les perspectives espérées de chiffre d'affaires généré font l'objet d'importantes variations. Au lendemain de la présentation du partenariat, Equities Keppler les évaluait à 10 millions d'euros, Oddo Midcap à « 10 à 15 millions d'euros sur trois à cinq ans ». Lors de la présentations de ses résultats en février 2008, Cegid évaluait à 50 millions d'euros sur cinq ans ; Patrick Bertrand préfère désormais étaler jusqu'à « dix ans » la période nécessaire à leur concrétisation complète. De son coté, Christian Collin les pronostique sur la même période quinquennale à « 90 millions d'euros pour la partie dommages et services, et à 130 millions d'euros en matière d'épargne et de gestion patrimoniale des dirigeants d'entreprises. Preuve que ce partenariat est particulièrement stratégique pour nous ».

 

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