Ingénieurs, l'exemple français

Réussite quasi assurée une fois le cursus intégré et situation de plein emploi : le métier d’ingénieur a encore de beaux jours devant lui. Focus sur les spécificités du modèle hexagonal plébiscité par les entreprises aussi bien françaises que chinoises ou américaines.

A l'échelle nationale, un peu plus de 100 000 recrutements d'ingénieurs sont comptabilisés chaque année, révèle l'enquête IESF 2015 (Ingénieurs et Scientifiques de France), organe représentatif de la profession. Le taux de chômage chez les ingénieurs est près de trois fois inférieur à celui de la population active globale. Les jeunes diplômés n'ont aucun mal à être embauchés.

Quelques mois après l'obtention du parchemin, plus de 80 % d'entre eux bénéficient d'un emploi. Le chômage demeure aux alentours de 2 % pour les promotions sorties entre 1995 et 2010. Exemple parmi tant d'autres, au sein de Grenoble INP, 98 % des diplômés sont embauchés au plus tard six mois après l'obtention de leur diplôme.

« Les taux d'employabilité, quelle que soit la structure de formation, avoisinent les 100 % », se réjouit Frank Debouck, directeur de l'École Centrale de Lyon.

Au niveau de l'entreprise, grâce à la diversité des métiers d'ingénieur et en dépit de certains déséquilibres sectoriels, plus de la moitié des embauches se réalisent sans difficultés particulières. Le marché de l'emploi est donc plutôt favorable aux ingénieurs, les jeunes diplômés sont embauchés très rapidement et la population des ingénieurs est en situation de plein emploi. Ce qui peut apparaître comme des indicateurs positifs ne révèle-t-il pas implicitement les tensions existant sur le marché de l'emploi des ingénieurs ?

Tensions et pénurie ?

Globalement, il n'existe pas de tensions sur le marché du travail des ingénieurs. Nombre de chefs d'entreprises, notamment dans le secteur du numérique, confient toutefois des difficultés à recruter des candidats. Trop peu d'ingénieurs sont-ils formés en France ?

« Nous parvenons assez bien, en tant que structure de formation, à anticiper les besoins de l'entreprise et à « produire » davantage d'ingénieurs. Cela dit, il nous faut toujours être prudents et ne pas dépasser certains paliers, de manière à ne pas inverser les tensions et les tendances sur le marché de l'emploi », juge Didier Desplanche, directeur de l'ECAM Lyon (École catholique d'Arts et Métiers).

L'Université de Lyon, grâce à ses écoles d'ingénieurs, représente le premier site français pour la formation d'ingénieurs. Les 16 écoles d'ingénieurs de Lyon-Saint Étienne, habilitées par la commission des titres d'ingénieurs, membres, associées ou non de l'UdL forment près de 15 000 élèves ingénieurs chaque année et délivrent environ 3 850 diplômes d'ingénieurs par an (grade de masters).

« Nous pourrions en former davantage, estime Frank Debouck, eu égard au nombre d'établissements de formation présents sur notre territoire. En effet, il semble que la demande existe et qu'elle n'est pas toujours pourvue, ou alors avec difficulté. Néanmoins, il faut craindre les mouvements d'inertie et ne pas inverser les tensions, au risque de ne plus pouvoir placer les ingénieurs diplômés. »

La prudence est donc de mise. La France peut-elle craindre une pénurie d'ingénieurs ? Non, « par le simple jeu de l'offre et de la demande, le marché de l'emploi est à l'équilibre », rassure Didier Desplanche. Et les déséquilibres sectoriels conjoncturels peuvent être assez rapidement corrigés, à l'échelle temporelle d'un cursus de formation, soit environ de trois à cinq ans, calcule Pascal Ray, directeur de l'École des mines de Saint-Étienne : « Nous sommes dans la constante anticipation du placement de nos diplômés. »

Entreprises associées

L'adéquation de l'offre et de la demande sur le marché de l'emploi est également permise grâce aux partenariats qui lient structures de formation et entreprises, futurs employeurs des diplômés. « Nous sommes très à l'écoute des « parties prenantes externes » pour évaluer au mieux leurs besoins », considère Pascal Ray. Afin de « coller le plus justement au marché, grande caractéristique de toute école d'ingénieurs », selon Frank Debouck, les structures de formation s'associent toutes à des entreprises. Celles-ci sont présentes et interviennent à différents niveaux de la formation.

« L'entreprise est présente à tous les étages d'une école et accompagne l'étudiant ingénieur tout au long de sa formation », détaille encore le directeur de Centrale Lyon.

Les entreprises sont notamment associées à la définition des programmes de formation, au cours desquels elles peuvent être amenées à intervenir. « Une partie de nos enseignements est dispensée par des acteurs du monde économique », confirme Pascal Ray. Les entreprises sont également consultées lors de l'ouverture de nouvelles filières, afin d'en évaluer les besoins et d'en comprendre les spécificités.

Particularité française, les élèves ingénieurs français sont tous dans l'obligation de réaliser un stage de longue durée en entreprise. « Cette dimension est inconnue chez nos partenaires étrangers », souligne Brigitte Plateau, administratrice générale de Grenoble INP, qui propose une offre de formation d'ingénieurs centrée sur 22 filières métiers.

Pas de désaffection

Les effectifs des écoles d'ingénieurs augmentent continûment depuis le début des années 2010. Preuve que la figure française de l'ingénieur n'est pas surannée. Même tendance du côté des classes préparatoires aux grandes écoles (CPEG). Le lycée lyonnais du Parc enregistre toujours autant de candidats à l'entrée en première année du cycle préparatoire. « Les effectifs sont stables et même en légère augmentation », se réjouit-on à la direction du lycée. Néanmoins, il apparaît que les « prépas » ne constituent plus le modèle unique ni la voie royale.

« En tant qu'école post-bac, nous enregistrons toujours plus d'inscriptions de candidats bacheliers en première année. L'attractivité des formations Insa ne fait qu'augmenter, notamment en raison du modèle de formation que l'on propose de type universitaire avec un premier cycle intégré dans le cursus de cinq ans qui permet d'assurer des taux de réussite de quelque 85 % », se satisfait Éric Maurincomme, directeur de l'Insa de Lyon.

Des débouchés multiples

Réussite quasi assurée une fois le cursus intégré et situation de plein emploi. Le métier d'ingénieur a encore de beaux jours devant lui. « La formation d'ingénieur est profondément rassurante », juge Frank Debouck. D'autant plus que les ingénieurs occupent des fonctions très variées, de la recherche fondamentale à la direction générale, et ce dans tous les secteurs d'activité, en France comme à l'étranger, note encore l'enquête IESF 2015.

« L'ingénierie est un type de métier qui recouvre des réalités et des spécialités très diverses. Depuis de nombreuses années et en dépit des crises sectorielles, l'attractivité de Grenoble INP se maintient. Nous n'observons aucun fléchissement majeur depuis une vingtaine d'années. Au vu de nos capacités actuelles de formation, le vivier est toujours aussi important, riche et varié », confirme Brigitte Plateau.

« Une formation généraliste de type arts et métiers offre des possibilités d'embauche qui n'étaient pas planifiées au début du cursus », tient à préciser Didier Desplanche. L'ingénieur se révèle, par nature, polysémique.

« Un ingénieur micro-électronicien ou énergéticien, par exemple, peut tout à la fois exercer dans l'aéronautique, l'automobile, la banque ou encore la santé. Nous tentons de les ouvrir à toutes les filières industrielles qui font appel à leurs compétences et à leur expertise. En termes de secteur d'application et de typologie des métiers, les ingénieurs formés en France sont particulièrement flexibles », assure Brigitte Plateau.

Forces du modèle français

La flexibilité est donc une des forces de l'ingénieur formé et diplômé en France. Les écoles d'ingénieurs françaises se démarquent de leurs homologues étrangères par leur modèle d'enseignement et de formation.

« Elles laissent une grande part à l'enseignement pratique à la fois sous forme de TP et de projets. Cette spécificité est une charge éducative puisqu'elle nécessite un enseignement quasi individualisé. Mais elle permet de former des professionnels capables d'assimiler des théories et de les appliquer dans des réalisations concrètes », estime Brigitte Plateau.

La formation de l'ingénieur « à la française » repose avant tout sur la pluridisciplinarité scientifique.

« Notre recrutement n'est pas seulement basé sur les matières scientifiques (mathématiques, physique, chimie, etc.), mais aussi sur les disciplines littéraires (français, langues étrangères, sciences sociales et humaines), explique Éric Maurincomme. Nous tentons de conserver cette ouverture tout au long du cursus de formation, afin d'amener l'étudiant à s'interroger sur son rôle social en tant qu'ingénieur. »

Un modèle "terriblement efficace"

Cette pluridisciplinarité offre à, l'ingénieur « un éventail de compétences plus larges », selon Pascal Ray. Par ailleurs, « l'ingénieur à la française, très apprécié par les Américains et les Chinois notamment, est également caractérisé par son adaptabilité. Il a la faculté d'appréhender et de comprendre des enjeux complexes dans différents champs et de piloter des projets de grande envergure ».

Autre force du système français, son efficacité, exposée par Frank Debouck : « Le modèle français est terriblement efficace : il permet de diplômer des jeunes dès l'âge de 22 ans, beaucoup plus tôt que dans de nombreux autres pays. À cet âge, nos ingénieurs sont capables de rejoindre le monde de l'entreprise et d'assurer leurs fonctions. » Au cœur des grandes mutations sociétales et économiques, de la révolution numérique à la transformation énergétique, les ingénieurs doivent se montrer à l'écoute.

« La formation est toujours orientée autour des sciences et techniques au service de la société, auxquelles doivent s'adjoindre des compétences à écouter et à comprendre le monde. Tout bon technicien, expose Frank Debouck, ne peut se départir d'une réflexion sur le monde qui l'entoure. »

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