« Nous aurions été un corps étranger »

EM Lyon et l'INSA ont fait le choix de s'auto-exclure. Leurs positions et leurs explications, distinctes, sont symptomatiques de l'état crevassé et doctrinaire de l'enseignement supérieur.

« L'école ne tarit pas d'éloges sur le PRES lyonnais, dont elle soutient la constitution et auquel elle souhaite d'ailleurs coopérer. Pour autant, accaparée par son propre projet stratégique, elle décide de ne pas y participer. » Voilà, en substance, la position officielle d'EM Lyon exposée par le conseil d'administration du 29 janvier. Officieusement, les raisons de son retrait prennent pour sillon le schisme identitaire et culturel qui démarque la business school lyonnaise du monde universitaire. Vexée de ne se voir offrir qu'un strapontin au sein de la gouvernance, irritée par des critères d'éligibilité au statut de « membre fondateur » qui excluent son Phd des doctorats références, prophétisant une dilution de ses prérogatives et l'étouffement de sa politique d'internationalisation dans un conglomérat dont elle ne représente que 2% des effectifs étudiants, inquiète du devenir du PRES une fois ses « figures » Philippe Gillet, Lionel Collet ou Olivier Faron parties sous d'autres cieux, contestant une stratégie d'émiettement des moyens, une ambition désordonnée, disproportionnée et peu réaliste, la direction de l'établissement, semble-t-il soutenue majoritairement par le corps professoral - toutefois « désolé », rapporte l'un de ses membres Gilles Marion, de ne pas avoir été associé à la décision finale - , a fait le choix de se marginaliser. « Nous aurions été un corps étranger », résume le directeur de l'école Patrick Molle. Le spectre d'un EPCS sclérosant, inertiel, excessivement bureaucratique, a convaincu que le rattachement au PRES menaçait « l'agilité, la réactivité, l'esprit entrepreneurial », résume le directeur de la recherche David Courpasson, caractéristiques de l'établissement. Les vertus de la masse promues par le PRES dissonent du principe de différenciation et de singularité - entrepreneuriale, international - qu'EM Lyon cultive pour exister dans un circuit international extrêmement concurrentiel et aux critères de hiérarchie propres. « L'intégration au PRES n'aurait constitué aucun atout particulier pour atteindre notre objectif : intégrer le Top 12 européen des business schools », assure Patrick Molle. Lequel ne se montre guère préoccupé par les possibles mesures de rétorsion, qui pourraient avoir pour cadre la reconfiguration des écoles doctorales, l'exclusion des partenariats de recherche et pédagogie, ou la raréfaction des subventions des collectivités locales et territoriales - au sein desquelles on déplore que « c'est l'établissement soi-disant icône de l'esprit d'entreprendre qui aura fait preuve de la plus grande frilosité entrepreneuriale. Un comble ! » - : « Si les universités Lyon 2 et Lyon 3 veulent nous exclure de l'école doctorale, celle-ci perdra les deux tiers des ressources qualitatives. Le DEA partagé avec Lyon 3 ? Seulement huit étudiants y participent. Quant aux contributions financières publiques, elles pèsent peu… ».


Conceptions antagonistes

A contrario le retrait d'EM Lyon devrait contribuer à décongestionner au sein du PRES les résistances idéologiques provoquées par l'intégration de cette école trublion, encore stigmatisée chez les étudiants et enseignants du public les plus irréductibles comme « un suppôt de l'entreprise et du capitalisme ». Et marquée au fer rouge à l'université Lyon 3, avec laquelle EM Lyon nourrit au mieux de la défiance. « Or, sans confiance, point de coopération », estime Patrick Molle. « Ce dogmatisme demeure si prégnant… A Lyon 3, j'ai l'impression de figurer sur une liste noire, parce que je démontre que nous fournissons l'essentiel des publications dans le domaine du management et que notre Phd est de meilleur niveau qu'un grand nombre de doctorats d'Etat. Il est plus acceptable d'être à ce point déconsidéré par le milieu universitaire, tonne David Courpasson. Lors des réunions de l'Institut d'études avancées, je me rends compte du fossé qui nous sépare ; le langage technocratique, les logiques administratives et politique de certains de mes interlocuteurs sont surréalistes. Et aux antipodes de notre propre raisonnement. » Et de confier son « inquiétude » devant le durcissement des clivages idéologiques et l'aggravation des conflits de valeurs qui surplombent le périmètre des institutions et pénètrent celui de l'enseignement : «  Les conceptions sans cesse plus antagonistes du management, dispensés dans les différents établissements du PRES, sont le reflet d'identités de plus en plus divergentes. D'autant plus qu'elles s'imprègnent d'une certaine façon de voir le monde, ses évolutions et son économie, du rapport à l'entreprise, de l'utilité dont on conçoit son rôle de professeur ou de chercheur. » En écho, Bernard Roux, coordonnateur Rhône-Alpes du syndicat Snesup, assure que « le PRES est une logique industrielle de segmentation élitiste, qui va exploiter ce qui est rentable et délaisser le reste. Il va opérer la marchandisation de la recherche, en assujettissant ses objectifs aux besoins des pôles de compétitivité et donc à ceux, court-termistes et mercantiles, des entreprises qui tout à la fois n'investissent pas en R&D et exigent des rentabilités à deux chiffres. Il s'agit donc d'un détournement des fonds publics au bénéfice des entreprises »…
Convaincus de la « pertinence » du projet à défaut d'en cautionner la forme et le déploiement, le conseil d'administration et la direction d'EM Lyon ont décrété, « pour illustration de cette volonté de partenariat avec le PRES », l'utilisation dans leur communication de la nouvelle marque « Université de Lyon » et la co-signature de leurs publications. « Impensable !, gronde à l'unisson de ses partenaires, Gilles Pollet, directeur de l'IEP de Lyon. Quel toupet ! Il est hors de question de laisser EM Lyon exploiter les « bons » côtés du PRES et se soustraire à ses contraintes. Elle a fait le choix d'être « en dehors » ? Elle le sera complètement ». L'heure n'est pas à l'apaisement. 


Agacement

Et, concernant l'INSA, elle devient critique. C'est pour bien d'autres motifs que le conseil d'administration de l'école d'ingénieurs, pourtant promise au rang de membre fondateur, a fait le choix, à l'unanimité de ses 33 administrateurs, de se marginaliser. «  Ce PRES est un traquenard », ose Bernard Roux, membre du conseil d'administration de l'école. Précipitation du processus, rejet de la forme juridique EPCS et d'une gouvernance qui néglige les représentants du monde de l'entreprise, vitupération d'un ensemble « excessivement » positionné sur les biotechnologies et les sciences humaines et sociales, préférence pour l'émergence d'un pôle « sciences de l'ingénierie » baptisé Lyon Institute of Technology - repoussé par Patrick Bourgin, directeur de l'Ecole centrale, disposé à ne pas « balkaniser » le futur PRES-, le directeur Alain  Storck égrène les motivations. Que consolident deux autres sujets sensibles : les répercussions « collatérales » du revers concédé par la candidature, retoquée, aux RTRA (réseaux thématiques de recherche avancée), et la délicate compatibilité d'un nouvel engagement local lourd d'enjeux avec le maintien du réseau national INSA - outre Lyon : Toulouse (membre du PRES local), Rennes, Rouen, Strasbourg (exclu du PRES local) -. Identité lyonnaise contre identité de l'école : une « cohabitation » complexe à laquelle l'Ecole centrale comme l'Université catholique sont également soumises - Patrick Bourgin se montrera « vigilant » à ne pas laisser le centre de gravité des coopérations de son école dériver vers le PRES, le recteur Michel Quesnel privilégiera de son côté une politique de site « tout en veillant à la préservation de notre identité, de nos valeurs, et au maintien de notre solidarité avec nos quatre consœurs françaises et les 225 établissements membres de la Fédération internationale des universités catholiques » -.
Mal à l'aise, vraisemblablement soumis à d'intenses pressions du ministère de la Recherche auxquelles il continue de résister, Alain Storck peut arguer que ces interrogation et ces discussions sont le signe de notre intérêt, exigeant, pour le projet ». Les mesures de rétorsion - dotations Etat/Région, coopérations futures, mixité des mastères - inquiètent. Reste que la stratégie agace désormais au plus haut point chez les autres membres du PRES. Récemment, Claude Journès, président de l'Université Lumière Lyon 2, s'en serait pris violemment à Alain Storck, le sommant d'être « soit dedans, soit définitivement en dehors du dispositif. Il n'y aura pas d'autre alternative. » D'aucuns réclament désormais l'exclusion du directeur de l'école des réunions préparatoires. D'autres déplorent une stratégie dilatoire et une forme de « chantage inverse », grâce auxquelles son enseigne aurait été in fine particulièrement bien soignée par l'Etat, qui lui aurait octroyé des largesses refusées aux autres établissements membres du PRES. « Un comble ! », fulmine Gilles Pollet. Lequel, à l'instar de la plupart de ses homologues, continue toutefois d'espérer que l'INSA révisera sa position et « rejoindra l'équipe. »



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