Gestion RH : le talon d'Achille des patrons de PME

Rares sont les PME à dédier un poste à la gestion des ressources humaines. En cause, le coût qu'implique ce poste, mais surtout la difficulté pour l'entrepreneur de déléguer des missions qui concernent l'humain. Alors, quand il externalise ses besoins en RH, le chef de PME constituerait-il un cas complexe à satisfaire et même à « éduquer »? La gestion RH représente davantage, pour le dirigeant, une affaire de sensibilité que de moyens financiers

« Nous nous sommes posé la question de recruter une personne en charge des ressources humaines, mais nous limitons les frais improductifs, comme les nomme notre comptable. Si je place une personne sur ce poste, je ne suis pas sûr non plus d'avoir quelqu'un d'exceptionnel, alors que le recrutement est pour nous essentiel. Dans une PME, nous devons faire des choix. Nous travaillons avec des consultants pour le recrutement des cadres supérieurs. Notre manière de gérer les RH en interne est de maintenir une bonne communication », confie David Vennin, directeur général de France Découpe, une SAS de près de 70 personnes dans la campagne roannaise (chiffre d'affaires de six millions d'euros, avec 15 % de croissance par an).

Ses mots pointent la complexe relation entre le dirigeant d'une PME et la question de ses ressources humaines. Parmi les petites et les moyennes entreprises, elles sont nombreuses à n'avoir personne, en interne, dédiée à la gestion des recrutements, des carrières, des plans de formation, etc. Quels défis dès lors un consultant intervenant se doit-il de relever pour régler les questions RH pour le compte d'un entrepreneur ? Le dirigeant de PME serait-il une épreuve RH à lui tout seul ?

Une réalité à nuancer

« Certains dirigeants estiment que ce qui relève de l'humain est une perte de temps, notamment quand ils sont des professionnels issus du métier et se réfèrent à leur propre expérience. Ils pensent être bons commerciaux, bons directeurs de production et rechignent à utiliser un directeur des ressources humaines ou lui donnent peu de moyens », observe Fabienne Autier, professeure en gestion des ressources humaines à l'école de management EMLYON. « D'autres dirigeants sont beaucoup plus ouverts et estiment que l'investissement dans l'humain est important. Ils sont conscients qu'une source de différenciation est de disposer de talents et réfléchissent aux moyens pour les attirer, les motiver et les fidéliser », tient-elle à nuancer.

Paul-André Faure, directeur et fondateur d'Innoé, société de conseil en RH, classe France Découpe parmi ses clients « éclairés, qui ont le respect des hommes, capables de se remettre en cause, de penser à moyen ou long terme ». Un profil qu'il oppose à « des dirigeants « cowboys » ou « barbares », plus courts termistes, qui ont besoin de consultants qui travaillent à la réussite et trouvent des cadres congelés dans leurs armoires ».

Les RH au second plan


« Le droit du travail et le système réglementaire sont très contraignants pour un dirigeant d'entreprise. Il est rarissime qu'il soit intéressé par le volet RH, plutôt absorbé par ses projets. Pourtant, quand il n'y a pas de DRH, le dirigeant se met en déséquilibre entre propositions pour motiver les équipes et un licenciement, par exemple », juge Paul-André Faure.

« Quand ils veulent que leur entreprise grandisse, ils ont des difficultés à comprendre qu'il leur faut une personne en charge des ressources humaines. Ils ont l'impression que tout le monde est capable d'assumer les fonctions RH », analyse Gilles Sabart, directeur régional Sud-Est de la société de conseil en stratégie sociale et RH Alixio.

« Les PME et les ETI sont parfois frileuses vis à vis du monde du conseil et entrent en relation avec le conseil RH plutôt par connaissance. Leur crainte est de se retrouver face à des personnes qui ne comprennent pas leur culture, qui sont trop intellectuelles », analyse, quant à elle, Marie-Claire Genest-Valantin, directrice de la société de conseil RH Altedia pour la région Centre-Est.

Accepter de « partager le pouvoir »

Accorder ou non son énergie aux ressources humaines serait donc davantage, pour le dirigeant, une affaire de sensibilité que de moyens financiers. « Certains dirigeants nous disent : "De mon vivant, il n'y aura jamais de syndicat". Dans ce genre de situation, il faut mener un travail de persuasion du dirigeant pour lui expliquer qu'il doit se remettre en cause. Cela peut être un choc lorsque nous lui disons qu'il doit reconsidérer sa conception de l'exercice du pouvoir, car il a créé son entreprise : c'est son objet. Il m'arrive de devoir user d'arguments philosophiques, d'expliquer en quoi des pratiques de démocratie interne peuvent être utiles à la performance économique de l'entreprise », complète Gilles Sabart.

Sur des sujets où l'aspect affectif entre en jeu - une situation récurrente dans les PME où l'histoire de l'entreprise est portée par son dirigeant -, le consultant RH arrive-t-il toujours à faire passer son message sans heurter son client, habitué à la supériorité hiérarchique ? En réponse, le fondateur d'Innoé partage la maxime qui circule dans la profession :

« Je ne prends pas un consultant pour qu'il me dise l'heure que donne ma montre. »

La consultante Marie-Claire Genest-Valantin doit accompagner la transmission d'une PME de père en fils, où le repreneur développe une vision nouvelle sur l'entreprise. Sa mission : présenter à son client qu'il peut être intéressant d'avancer dans le sens proposé par son fils.

« Les dirigeants de PME sont toujours à l'écoute des autres quand la confiance s'établit, car ils ressentent une très grande solitude. Il faut être diplomate lorsque nous proposons un changement », estime le consultant chez Alixio. « Il m'est arrivé d'expliquer à un dirigeant que son problème n'était pas à traiter en coaching mais en psychothérapie. Ou de lui répondre que c'est lui plutôt que son salarié qui a besoin d'être coaché », avance de son côté Paul-André Faure.

Rapprocher la demande des besoins réels

Une fois la confiance établie entre la personne en charge des RH et le dirigeant, certaines étapes semblent devoir être franchies pour éviter le contentieux ou les déceptions. « La demande que nous formule le dirigeant au premier abord peut être biaisée et nous emmener dans la mauvaise direction, sans que ce soit forcément volontaire de sa part. Notre rôle est d'amener le dirigeant à redéfinir son besoin réel », explique Paul-André Faure, illustrant son propos par le départ à la retraite d'une personne clé de l'entreprise après lequel son dirigeant lance un recrutement.

« Si l'on répond directement au besoin de remplacement, nous reproduisons un modèle qui ne correspond pas forcément à l'entreprise. Avant d'agir, nous vérifions que l'organisation n'est pas en train d'évoluer. Sans cette étape, nous ferions quelque chose de l'ordre de l'exécution, sans valeur ajoutée. Il est important, dès le début, de caler les moyens financiers, l'adéquation de la rémunération proposée aux compétences lors d'un recrutement. Sinon, tout le monde risque de perdre son temps », complète-t-il.

« La personne chargée des RH doit être résistante car elle doit parfois aller à l'encontre des idées de départ du dirigeant. Mais si elle n'aborde pas les problèmes, six mois plus tard, elle se fera reprocher de ne pas l'avoir fait et risque d'être évincée », prolonge Gilles Sabart.

Des recrutements impossibles ?

Parmi les éléments à définir lors d'un recrutement figure le profil recherché. Car, dans les PME, certains postes restent difficiles à pourvoir, comme en témoigne David Vennin :

« Nous ne trouvons pas de personnel de production qui possède la formation technique nécessaire et serait prêt à travailler en usine. C'est le chef d'atelier et moi qui recrutons, avec difficulté, car nous n'obtenons pas de résultat avec les agences d'intérim qui nous coûtent pourtant quelques milliers d'euros. »

Qu'en penser ? « 50 % des PME sont freinées dans leur croissance faute de pouvoir recruter en 2014 et 38 % des PME de plus de 300 personnes prévoient de recruter en 2015. Les PME recherchent souvent des profils qui demandent une grande polyvalence. Le descriptif de poste est complexe. Lorsque nous intervenons auprès des PME, nous décrivons très précisément la fiche métier et présentons des candidats après évaluation des savoir-être et des aptitudes, en faisant intervenir le dirigeant, notre client. Ce dernier peut être frustré de ne pas pouvoir consulter les CV au début de la sélection, mais il sera ravi si cela lui permet de trouver un nouveau collaborateur », relève Agnès Lépine-Lozach, directrice des ventes de Manpower (intérim et cabinets de recrutement), dont 70 % des activités de recrutement concernent les PME.

Une approche très contractuelle, par prévention

Les consultants RH interviennent sur des enjeux tactiques, qui touchent aux interactions humaines, souvent confidentielles. « Si nous ne clarifions pas au démarrage, nous pouvons rapidement être rendus boucs émissaires par le dirigeant, être instrumentalisés, en endossant la charge d'une action qu'il n'a pas le courage de mener lui-même », explique Paul-André Faure.

Celui-ci a mis en place une approche « très contractuelle » qui, selon lui, a permis de n'essuyer aucun procès en quinze ans d'activité de conseil. Pour un recrutement, par exemple, un contrat d'exclusivité est signé. Si la règle n'est pas respectée, le consultant constate une manipulation et se retire du jeu légalement. « Le dirigeant de PME est très inventif, propose trois idées à la minute. Cela représente un risque pour moi. C'est pourquoi nous précisons le maximum d'éléments dans le contrat. Il faut que je fasse attention à ne pas me retrouver dans une situation qui m'échappe, mais à trouver un compromis entre structurer et rester assez souple pour coller au terrain », confie le même consultant.

« Les dirigeants maîtrisent mal les aspects juridiques. Il nous est arrivé de devoir traiter une situation dangereuse à ce niveau lors d'une réorganisation. Nous avons dû mener un important travail pédagogique sur ce que nous ne pouvions pas faire », partage Marie-Claire Genest-Valantin. « Sur le contrat, nous mentionnons ce que nous allons faire au cours des différentes étapes du recrutement et à quel prix. C'est sécurisant pour nous et pour le client », expose quant à elle Agnès Lépine-Lozach.

Pour éviter les terrains glissants en matière de RH, une clé consisterait aussi à se limiter au périmètre d'intervention contractualisé. Lorsque le consultant d'Innoé se voit demander son avis ou doit décider à la place de l'employeur, il sait rester en retrait. « Pour un recrutement, le client prend la décision finale, je me place en interprète, sans influencer, pas en juge. Nous ne sommes pas en mode conseil sur le contenu, seulement sur le processus, ce qui limite le risque », analyse-t-il.

Prêts à investir sur le long terme ?

Si, pour les analystes, la question financière ne sort pas en première ligne de la problématique RH, elle occupe tout de même une place importante pour les entrepreneurs. « Un dirigeant de PME sera toujours plus prudent que celui d'un grand groupe, car il n'a pas la même marge de manœuvre en matière RH, ni le même budget à y accorder. Il se pose de manière très exigeante la question du retour sur investissement, alors que le grand groupe privilégiera une communication visible socialement », commente Fabienne Autier.

Deux temporalités se rencontrent : celle du bénéfice, à court ou moyen terme, et l'investissement RH, qui rapporte sur le long terme, explique l'enseignante-chercheuse.

« Le prix de l'investissement pour les RH fait peur car, dans une PME, le dirigeant est propriétaire : c'est l'argent de la famille ! », complète Marie-Claire Genest-Valantin.

S'il peine à financer un poste ou un consultant pour les ressources humaines, le chef d'entreprise est aussi prudent quand il s'agit d'accorder une augmentation de salaire à ses équipes, même si elle semble légitime. À juste titre, selon l'enseignante-chercheuse :

« Le dirigeant d'une PME dont la masse salariale représente 60 % des coûts opérationnels sera prudent quant à ses choix d'embauche ou à ses décisions d'augmentation de salaire, car il est lié à ces décisions dans la durée et sait que le risque de contentieux met l'entreprise en danger. Sa préoccupation permanente est de rentabiliser son investissement social. »

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