Hervé Brochette, directeur industriel d'Actaris : « Un levier de pouvoir et d'autorité »

Il est capable aussi bien de décortiquer l'essai magique de Serge Blanco en demi-finale de la Coupe du monde de rugby en 1987 que de disséquer les racines de l'histoire contemporaine de la Chine ou de commenter l'architecture florentine du XVème siècle. Aucun atavisme, aucun environnement particulier ne prédestinaient ce fils de garagiste à connaître un tel appétit de savoir.

Rien, jusqu'à ce jour où, collégien, la remarque blessante d'un adulte lui fait prendre conscience que la connaissance constitue la « porte du pouvoir », un élément majeur de différenciation qu'il va méticuleusement cultiver et qui balisera chaque étape de ses apprentissages scolaire puis professionnel.Avec au départ pour seul outil « la télévision et Télé 7 jours » mais aussi une capacité mémorielle hors du commun, et les encouragements ultérieurs de parents d'amis puis de son épouse, l'enfant entreprend à grands pas de cautériser l'affront. Chaque nouveau savoir acquis participe à la cicatrisation. À la revanche. Au lycée, cet esprit scientifique constate que s'investir dans les matières aussi « subalternes » que l'histoire, la géographie, le français, contribue à ciseler sa singularité.

Étudiant à l'INSA, tout naturellement, il se montre assidu à l'enseignement, facultatif, des humanités. Recruté par le groupe Actaris, son directeur, érudit, repère vite cet esprit avide de savoirs, qu'il prend d'autant plus de plaisir à solliciter qu'il est lui-même esseulé dans cet atypisme. Preuve, comme le confirme les patrons participants à l'enquête « Culture générale et management », que la culture générale constitue un « vecteur de reconnaissance sociale, y compris au sein de l'entreprise - il est appréciable de trouver des interlocuteurs capables de parler d'autre chose que de leur destination de vacances préférée et de faire partager leurs passions - », et dont la valorisation professionnelle dépend « étroitement » de la personnalité du chef d'entreprise.

« Clé »

La « culture générale » a contribué à l'ascension professionnelle d'un jeune quadragénaire aujourd'hui directeur industriel monde de ce fabricant de compteurs d'eau présent dans cinquante pays et dont 6 000 salariés produisent un chiffre d'affaires de 800 millions d'euros. « Elle a fait la différence ». D'abord bien sûr dans une appréhension géopolitique « capitale » pour savoir ne pas nommer un Danois patron de la région scandinave ou un Indien responsable d'une zone s'étendant de l'Iran au Pakistan, « déterminante » lorsqu'il faut choisir pour responsable Asie centrale entre deux candidats dont l'un confond « Mer Caspienne et Mer d'Aral ». Les anecdotes ne manquent pas. Ainsi lorsque lui-même débarque à Téhéran pour dénouer un conflit avec son partenaire local. Préparé à accueillir un interlocuteur « nécessairement »méprisant, arrogant, contempteur, et imperméable aux particularismes autochtones, l'hôte organise, rétif, un dîner de réception. Et découvre un invité occidental à même de commenter le zakat - l'aumône rituel, l'un des cinq piliers de l'Islam -, de distinguer les chiites locaux des rivaux sunnites, d'évoquer les Perses et de taire toute assimilation arabe. « La confiance était gagnée. Le lendemain, il nous confiait toutes les informations qu'il avait dissimulées jusqu'alors ».

Rapport de force

Surtout, Hervé Brochette observe que cette connaissance, même de manière accessoire, consolide son pouvoir, son leadership, son autorité sur le management subordonné - autant qu'il peut séduire ou agacer ses collaborateurs -, « comme autrefois le médecin ou l'instituteur sur les habitants du village ». Quelque peu cynique sans toutefois s'en réjouir, il constate que l'écart et cette crédibilité participent à maintenir l'auditoire dans une forme de respect, mais aussi à irriguer sa confiance, « de telle sorte qu'il adhère aux instructions et s'engage dans la voie qu'on lui indique ». Un rapport de force qu'il assure ne pas exploiter - la tentation existe d'une part de s'entourer de collaborateurs incapables d'ébranler son ascendance, d'autre part d'abuser de savoirs qui tout à la fois l'accableraient de fatuité et complexeraient l'entourage - et qui sont de plus en plus contestés depuis l'irruption d'Internet. « Un simple clic, et n'importe qui peut venir faire la preuve d'une erreur que j'aurais commise. Le retour de bâton peut être douloureux, et cet édifice de confiance brutalement s'écrouler. Lorsqu'on décide d'utiliser la connaissance à des fins managériales, on n'a pas le droit à l'erreur ».

La culture générale ne figure pas parmi les critères de recrutement d'Hervé Brochette. En revanche, convaincu qu'après l'époque des langues étrangères ou de l'action humanitaire elle constituera le levier majeur de différenciation à l'ère de la mondialisation, cette culture générale forme l'ossature de l'éducation qu'il dispense à ses enfants, une discipline partagée de vie. Mais pour terreau « le plaisir ». Mais avec pour dommage les marginaliser après de leurs camarades. Discrimination à l'envers ? La démarcation entre singularisation et exclusion affleure, en entreprise comme en classe.

 

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.