Geneviève Fioraso dans la peau de l’outsider

L’adjointe PS à l’économie de la Ville de Grenoble s’oppose à Alain Carignon dans la première circonscription de l’Isère. Sa victoire aura pour condition d’appliquer au métier politique et de faire connaître aux Grenoblois les particularismes qui fondent sa crédibilité et sa réputation dans les milieux décisionnels.
©Stéphane Audras/Rea

Des bruits de pas pressés…C'est elle. Geneviève Fioraso enchaîne les rendez-vous, prend les coups de fils au vol, règle les problèmes urgents. Légère comme un moineau, elle virevolte. Enfant déjà, elle ne tenait pas en place. « J'étais turbulente, mes parents m'ont mise à l'école très jeune ».

Exemptée de maternelle

Née à Amiens, dernière d'une famille de six enfants, elle a toujours refusé d'être à la traîne. « Je courais derrière les autres », raconte-t-elle amusée. Résultat : exemptée de maternelle, elle apprend à lire à 3 ans, obtient son baccalauréat à 16, se marie à 18, entreprend hypokhâgne, assure de concert deux maîtrises (d'anglais et d'économie), et à 20 ans devient professeur d'anglais pour gagner sa vie. Des coups de fil en cascade interrompent la conversation. « Oui, il s'est gouré la dernière fois. » (…) « Jacques, on a une emmerde…D'accord. Tchao ! » (…) « J'ai un mauvais feeling là-dessus… Il faudrait négocier un discount ». Le style spontané est direct, rapide, efficace, sans formules de politesse. Un langage familier qui surprend chez cette « quinqua » élégante, plutôt classique et férue de littérature. Spontanée, elle ne cherche pas à parfaire son image. « Me sentant sur un chemin tout tracé, j'ai quitté l'enseignement pour chercher du travail à Grenoble où habitait ma grand-mère maternelle. Sur place, j'ai eu du bol ! Mon voisin, chargé d'information à la ville, prenait une année sabbatique. J'ai été retenue par Hubert Dubedout - maire de Grenoble de 1965 à 1983, ndlr - sans avoir ni carte au PS, ni piston à la municipalité ». Denis Réquillard, ledit voisin, ne s'en étonne pas. « C'était déjà une battante. Elle avait la niaque ».

Baba cool

Commence alors une longue et étroite collaboration avec l'édile. « J'étais un peu « écolo gaucho » et vivais en communauté, style baba très coloré, en salopette rouge… puis look tout cuir. Aux côtés du maire, ancien officier de marine en costard et boutons de manchette, j'énervais bien des gens du parti », s'amuse-t-elle. En 1983, elle devient son attaché parlementaire. Comme chef de cabinet du maire de Poisat, près de Grenoble, elle contribue ensuite à créer une zone d'activité économique et fonde l'association Agiremploi pour l'insertion par l'économie. « A l'époque, on faisait de l'insertion par le social. L'idée novatrice a été de mettre en place un réseau d'entreprises donnant une chance aux jeunes ». Nouveau tournant en 1989, avec son entrée dans l'équipe de direction de la start-up Corys, dont elle prend en charge les projets européens et la R&D. Elu en 1995, Michel Destot la sollicite pour pétré sa directrice de cabinet. « Sa capacité à analyser et à agir nous a été très précieuse car il fallait tout reconstruire à la mairie suite à l'emprisonnement d'Alain Carignon », se souvient Annie Deschamps, première adjointe. Quatre ans plus tard, elle créée l'agence nationale du numérique, avant d'être promue en 2001 adjointe à l'économie, première vice-présidente de la Métro… et cadre marketing chez France Telecom (en disponibilité depuis 2004). La disparité, voire la dispersion de ses expériences interpelle. Geneviève Fioraso établit leur cohérence à un même fil conducteur : celui de « monter des projets », de « prendre des risques » et de « relever des paris ». Au nom desquels, Pdg de la SEM Minatec entreprises depuis 2003, elle démarche les sociétés et assure que « les bureaux sont déjà remplis à 55% et les salles blanches à 75% ».

Tintin

Sa spécialité est l'économie. La maîtrise obtenue naguère dans cette discipline lui a donné des « notions ». Un esprit vif et de synthèses les a aiguisées. « C'est une femme intelligente, compétente, qui connaît ses dossiers », concède Matthieu Chamussy, président du groupe UMP du conseil municipal. « De plus, elle possède une importante capacité d'apprentissage », affirme François Payot, chargé de mission à l'Agence du numérique. Elle s'adapte, passe d'un milieu professionnel à l'autre. Sans bagage scientifique, elle s'est ainsi frottée aux dossiers parlementaires techniques d'Hubert Dudebout, puis a dû vraiment « s'y coller » chez Corys. « Quand je suis entrée dans la start up, j'étais la première salariée « non scientifique ». C'était « Tintin au pays des soviets » ». Depuis, elle fait des présentations lors de congrès scientifiques. « Brillante, elle réalise en quinze minutes ce que d'autres font en deux heures », assure Geneviève Escomel, qui a travaillé à ses côtés à l'Agence du numérique.
L'intéressée refuse ces qualificatifs, reconnaît tout au plus « quelques facilités », affirmant que « tout s'acquiert par le travail. » Dont elle est un bourreau. Bien loin des 35 heures imposées par sa famille politique. Levée avant 7h30, elle lit les journaux, s'occupe de son blog, répond aux mails, enchaîne rendez-vous et réunions, puis finit par des dossiers… jusqu'à minuit. « En tant que directrice de cabinet, elle était très présente sur le terrain. C'est peu fréquent. Quand je l'ai vu à 5 heures du matin, au moment où les équipes mettaient des barrières dans la rue pour le Tour de France, je me suis dit : elle n'est pas normale celle-là ! », plaisante Guy Chanal, directeur général du Palais des sports. Des vacances ? Un vieux souvenir de l'été dernier. Des sorties ? Rarement. « Deux heures de détente de temps en temps ». Seul regret : ne pas avoir skié cette année. En revanche, elle se montre toujours disponible pour ses deux fils, dont l'un est affecté par des problèmes de santé. Elle ne sacrifie pas non plus ses amis. « J'ai beaucoup de copains dans le milieu professionnel ». Façon pragmatique de régler le problème. De même, elle travaille avec son compagnon, directeur général des services de la Ville et affirme être ainsi épanouie dans sa vie hyperactive. « Je suis incapable de lire une BD sur le canapé. Peut-être ai-je peur du vide ? ». Ou bien d'être prise en défaut. « Je refuse de bâcler. Parfois j'en fais trop. C'est comme si je devais toujours faire mes preuves. Je me sens toujours en danger… et puis au fond, j'aime bien ça », confie-t-elle. Anxieuse, rétive à l'improvisation, perfectionniste, elle prépare jusqu'à l'excès. « Elle n'arrive pas à dire non, se montre toujours disponible », explique Bernard Houte, directeur général de l'équipementier automobile A. Raymond, devenu son ami. « Comme elle est à l'écoute de tout le monde, elle n'arrive pas à se libérer et se trouve toujours en retard. C'est son seul défaut mais elle devrait faire un effort ! », renchérit sur un ton paternel Pierre Balme-Blanchon, président de la Chambre des métiers. Elle tire sur la corde jusqu'au surmenage. Parfois, ça craque. « J'ai du mal à me dire que j'ai des limites. C'est complètement infantile », lance-t-elle.

Empathie

« Elle affirme ses idées avec force, porte ses dossiers avec enthousiasme », témoigne Michel Issindou, vice-président de la Métro. Geneviève Fioraso a ainsi réussi à emporter l'adhésion du président Didier Migaud et de l'ensemble des conseillers pour la création de Nanobio, le pôle d'innovation grenoblois dédié aux micros et nano technologies. Elle sait faire tomber les résistances. Coordinatrice du projet Bouchayet-Viallet, elle a obtenu la transformation de cette friche de 14 hectares aux abords de la ville en un lieu de vie consacré au logement, à la culture, au sport, à l'innovation et à l'activité économique. « Elle a fait face à l'hostilité d'associations d'artistes opposés à al démolition d'une salle de concert qui n'était plus sécurisée et, au fil des réunions, a obtenu le consensus par sa force de conviction. Ses interlocuteurs ont compris qu'elle n'allait pas dévier », indique Valérie Dioré, directrice de la SEM Grenoble 2000 en charge de l'opération. C'est que, benjamine de la famille puis enseignante dans les classes en zone prioritaire, il lui a fallu s'affirmer. « Je fais moins d'1,60 mètre et ne dépasse pas les 50 kilos, j'ai pourtant été balancée à 20 ans face à de grands gaillards en bleu de travail », raconte-t-elle. De là, son caractère bien trempé et son franc-parler, surtout quand on veut l'impressionner. « Elle lâche difficilement, se montre trop sûre d'elle, autoritaire voire cassante », critique Matthieu Chamussy. Elle s'en défend. « Si j'étais si confiante en moi, je ne travaillerais pas autant ! Simplement, j'ai des convictions, je suis émotive et passionnée ». Jusqu'à s'emporter et à aller au conflit. « C'est une fille de caractère, confirme Gilles Dumolard, président de la CCI de Grenoble. Le ton peut monter, mais le lendemain, c'est fini. Il n'y a pas de rancune. ». D'ailleurs, elle aurait déjà assoupli ce tempérament éruptif. « Elle admet désormais que d'autres puissent penser différemment », assure Anne Deschamps. Un premier pas… Meneuse pas nature, Geneviève Fioraso est à l'aise dans son rôle de manager. Et exigeante avec ses équipes auxquelles elle impose de s'adapter à son rythme. « Sa démarche est prospective. Après, il faut concrétiser, sans compter les heures, reconnaît Geneviève Escomel, mais elle laisse une vraie autonomie ». Et, poursuit François Payot, démontre une empathie qui fonde « son sens de la justice et son attention au stress et aux difficultés des autres ».

Femme de réseaux

Persuadée de la priorité à concéder à l'innovation, et de l'intérêt du maillage entre industries, universités et recherche, elle « créée des ponts. C'est ainsi qu'elle a emmené des gens du CEA Léti dans nos murs », témoigne Bernard Houte. Ses atouts : du flair, de la mémoire, un œil de lynx. Elle maîtrise les réseaux, connaît le microcosme grenoblois, et sait créer des synergies. « J'ai un certain feeling pour faire travailler ensemble des talents et j'adore voir des projets aboutir grâce à cette mise en relation. » Elle en fit la démonstration lorsque Jean Therme dut étoffer son équipe pour donner au pôle minatec une dimension internationale. Cette propension à provoquer le lien et à dépasser les cloisonnements, elle l'attribue en partie à ses origines sociale. « Ma mère est une bourgeoise aristo désargentée, mon père est né dans une famille paysanne très pauvre. » De quoi ne se sentir d'aucun milieu et s'affranchir des préjugés de classe. « Tout en étant très proche d'un simple maraîcher, elle n'hésite pas à inviter Ségolène Royal à son meeting », résume Valérie Dioré. La famille de sa mère était royaliste, celle de son père à gauche. En a résulté un esprit critique. De son éducation catholique, elle a conservé les valeurs du partage, du travail et de l'égalité des chances. Cette dernière cause, elle y est sensible du fait de l'expérience paternelle. « Boursier, il a fini normalien. Pur produit de l'école républicaine, il n'aurait pas fait d'études si l'instituteur n'avait pas insisté auprès de ses parents. Ses origines ont toutefois représenté un véritable handicap social. C'est pour cela que je suis contre les ghettos ». Et qu'elle guide les jeunes diplômés issus des quartiers difficiles et victimes de discrimination. La solidarité demeure sa première préoccupation. Elle en a fait l'un de ses liens avec les chefs d'entreprise qu'elle sensibilise, insiste Annie Deschamps, « sur le logement social ou les emplois de ces jeunes en difficulté. » Ce monde de l'entreprise, elle ne se cache pas un instant de la côtoyer assidûment.  « A l'aise dans le monde du business, elle sait parler prix, profit… », note Guy Sarrey, de Grenoble Ecole Management. Elle veut placer l'économie au service du social, « aider les acteurs à construire, tout en gardant mes convictions de gauche comme les redistributions de richesses ». Pragmatique, elle soutient les acteurs économiques dans leurs projets. Et sait apporter des réponses précises à ses interlocuteurs, comme en témoignent Michel Orier, directeur de MC2 (Maison de la Culture) qui a monté un club d'entreprises il y a quatre ans, Jeanne Jordanov, présidente de l'incubateur Grain, qu'elle a aidée à donner plus d'envergure au projet Pétale (pépinière technologique alpine d'entreprises), ou encore Bernard Houte. « En 2003, alors que je cherchais  un emplacement pour un nouveau  centre logistique, Geneviève a tout fait pour faciliter notre implantation à Technisud, assure ce dernier. Cela s'est fait en moins de quinze jours. Sa crédibilité dans le milieu économique, elle la doit à son comportement pragmatique : elle fait ce qu'elle dit, loin du jeu politique. »

Fantaisie

Geneviève Fioraso a pourtant hésité longtemps à entrer en politique. « Quand Michel Destot me l'a demandé en 2001, j'ai accepté un mois avant le premier tour des élections municipales. Je ne cherche ni les médailles, ni la reconnaissance. La politique, pour moi, c'est l'action, mais j'aime l'idée d'avoir une influence et de l'autonomie », reconnaît-elle. Prochaine étape : sa candidature aux législatives sur la première circonscription, stratégique puisqu'elle comprend la moitié de Grenoble. « C'est un découpage Pasqua destiné à faire gagner la droite », estime-t-elle. Elle y affrontera Richard Cazenave et Alain Carignon, tous deux UMP - qui n'ont pas souhaité répondre à nos sollicitations -. « Nombre d'amis dans le milieu économique m'ont déconseillée de me présenter face à Carignon au risque, pensent-ils, que cela altère ma réputation ». Déjà, des tracts de l'opposition circulent. Pour la première fois directement exposée, la candidate n'est pas encore blindée. « Forcément, ils me touchent  ». Face aux attaques personnelles, elle feint l'indifférence, fidèle à l'attitude observée par Hubert Dubedout qui s'est toujours refusé à démentir les rumeurs. Le jeu politique l'intéresse assez peu… Les débats idéologiques, guère plus. « La politique ne m'intéresse que si elle s'incarne dans des projets concrets ». Projet, le mot revient, politique cette fois-ci. Ses priorités : l'éducation,  l'innovation et la préservation de l'environnement. Un sondage Ifop de février la place en tête au premier tour (avec 31%) et vainqueur au second (avec 52%) face à Alain Carignon. « Des hommes réputés à droite m'ont confié qu'ils voteraient pour elle si elle se trouvait opposée en finale à l'ancien ministre de la Communication », glisse Guy Sarrey. « Du fait de la division de la droite, jamais la gauche n'a autant de chances de gagner cette circonscription », reconnaît Matthieu Chamussy. Un premier pas vers la mairie de Grenoble et une carrière politique que ses partisans lui pronostiquent ? Pas sûr… « Ce qui me manque un peu dans le milieu politique, c'est la fantaisie ».




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