[Insertion 3/7] Insertion et emploi, le grand mix

En "héritant" de nouvelles compétences sociales lors de sa naissance le 1er janvier 2015, la métropole de Lyon s'est vue imposer des responsabilités inédites en matière d'insertion. D'une contrainte, peut-elle faire une force ? Et une stratégie affirmée dans ce domaine peut-elle se nourrir des, cohabiter avec les, voire profiter aux attributs de performance, d'innovation, d'entrepreneuriat qui particularisent l'identité de l'agglomération ? Etat des lieux plus d'un an après le lancement du Programme métropolitain d'insertion pour l'emploi 2016 - 2020. Troisième volet de notre série consacrée à l'insertion, quelques jours avant la conférence "Bienvenue dans l'économie inclusive", qu'Acteurs de l'économie-La Tribune organise, en partenariat avec la métropole de Lyon, le 2 mai au Campus Saint-Paul de l'UCLy.
(Crédits : Reuters)

Plus d'un an après avoir voté son premier Programme métropolitain d'insertion pour l'emploi (PMI'e), la métropole de Lyon accueillait, en janvier 2017, une première promotion de 16 bénéficiaires du RSA pour signer, devant la presse lyonnaise, leur promesse d'embauche avec un sous-traitant d'Enedis.

Chargés de poser les compteurs Linky pour le compte de l'opérateur, ils ont été sélectionnés non pas pour leur diplôme ou leur expérience, mais sur la base d'un test d'habileté, une méthode de recrutement par simulation portée par Pôle emploi. Ils ont pu ensuite s'insérer dans un parcours classique d'embauche et rejoindre la Linky Academy pour recevoir une formation complémentaire. Ils sont soixante-dix aujourd'hui à s'inscrire dans ce cadre.

Comme le gestionnaire du réseau d'électricité, près de 463 entreprises du territoire métropolitain ont déjà signé La "Charte des 1 000" pour l'insertion et pour l'emploi, un engagement qui vise à mobiliser les entreprises pour qu'elles accueillent, formalisent et valorisent leurs actions en faveur de l'insertion. "Cela peut être des visites, de l'immersion, des parcours et du recrutement. Notre objectif est d'atteindre les 1 000 entreprises signataires à la fin du mandat", avance Fouziya Bouzerda, vice-présidente déléguée à l'économie et à l'insertion.

Une délégation qui résume la stratégie de la métropole lyonnaise : mixer économie et insertion pour plus d'efficacité. Un système hybride, défini dans le PMI'e, qui mise sur l'effet levier d'un partenariat public/privé.

"Nous avons la chance d'être un territoire dynamique aux réalités multiples avec un réseau d'acteurs riche de sa diversité, de son esprit d'innovation. Sa réalité c'est aussi, comme toutes les grandes métropoles, la concentration de populations fragiles et un risque accru d'exclusion et de fracture sociale. Le défi est d'importance : il s'agit d'inventer un territoire plus solidaire, en permettant à chacun de trouver une place dans une métropole qui met sa dynamique économique au service de tous", indiquait Gérard Collomb, alors président de la Métropole, à l'occasion de son lancement.

Cette dernière n'est pas la seule à miser sur une telle combinaison. "Lors de la dernière assemblée des départements de France, sur la quarantaine d'initiatives présentées en matière d'insertion, près de la moitié concernait un renforcement du lien avec le monde économique", modère Didier Lesueur, directeur général de l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS).

Interlocuteur unique

Pour inciter les entreprises à s'impliquer, la métropole de Lyon a créé une dizaine de postes de chargés de liaison entreprises-emploi (CLEE). Intervenant sur l'ensemble du territoire décliné en 11 commissions locales d'insertion (CLI), en binôme avec les développeurs économiques, ils ont un rôle d'intermédiaire et de coordination. Apparaissant pour le monde économique comme l'interlocuteur unique sur les questions RH, le CLEE est plus à même de détecter les besoins des entreprises pour les transmettre aux différents acteurs de l'insertion.

Il propose également un accompagnement dans le recrutement et assure un suivi des missions. "Un seul interlocuteur permet aux entreprises d'éviter de multiples démarchages et aux acteurs de l'insertion d'avoir accès à plus d'offres. Il s'agit également de clarifier l'action publique", ajoute la vice-présidente. Pour Enedis, l'un des premiers signataires de la charte, il était donc naturel de s'engager.

"Nous sommes un employeur important du territoire qui a vocation à agir pour le public. Au regard de la situation de l'emploi, il est normal de soutenir les initiatives et de s'investir dans ce sens, souligne Patrick Rakotondranahy, directeur d'Enedis Lyon Métropole. Les dispositifs mis en place par la Métropole sont efficaces, ils font le lien pour que nos offres, notamment pour les poseurs de compteurs Linky, soient accessibles à l'ensemble des prescripteurs et qu'elles parviennent aux bonnes personnes."

Une démarche identique chez EDF qui a initié un parcours de professionnalisation pour des jeunes sans qualification et des bénéficiaires du RSA éloignés de l'emploi. Des initiatives qui ne sont pas réservées qu'aux grands groupes. De nombreuses PME se sont également engagées sur le chemin de l'insertion. Pour certaines, bien avant l'heure. "Cela fait trente ans que nous intervenons dans le champ de l'insertion par l'emploi. Toutes les initiatives sont louables, cela a au moins le mérite d'exister ", modère le gérant d'une entreprise de BTP.

Autre moyen d'inciter les entreprises à penser solidarité : l'utilisation des clauses d'insertion dans les marchés publics, en vigueur dans le Code des marchés publics depuis 2011. Un dispositif qui a permis à 550 personnes en insertion d'obtenir des heures de travail en 2016. D'abord destinée au marché du BTP, l'intégration de cette clause s'est progressivement étendue aux chantiers privés, à des emplois plus qualifiés, pour des prestations intellectuelles, de l'assistance à maîtrise d'ouvrage ou de la maintenance informatique.

L'insertion par l'entrepreneuriat

Mais l'insertion professionnelle des allocataires du RSA ne passe pas toujours par l'emploi salarié. Environ 2 000 allocataires sont reconnus travailleurs indépendants et entrepreneurs. L'enjeu - encore plus que pour un porteur de projet "classique" - reste de monter un projet qui génère des revenus suffisants et non pas une activité dormante qui le maintiendrait dans le giron du revenu de solidarité active.

"Après une phase d'expérimentation sur un secteur, nous avons étendu à l'ensemble du territoire la possibilité d'accompagner plus spécifiquement les bénéficiaires du RSA qui souhaitent monter un projet d'entreprise", avance Radouane Ouama du réseau Lyon ville de l'entrepreneuriat (LVE).

Si la mesure semble bien perçue sur le territoire, "difficile néanmoins d'évaluer l'impact sur la création d'entreprises", reconnaît la Métropole. Dans ce cadre, le secteur de l'économie sociale et solidaire dispose d'un vrai rôle.

"Qu'une personne soit en réinsertion ne doit pas l'empêcher de créer. Même si nous sommes plus sensibles que d'autres à la question, l'essentiel reste d'être un créateur de solution, avec des compétences et un modèle économique", souligne Philippe Imbert, président du CentSept, lieu dédié à l'entrepreneuriat social, à l'accélération et à la co-création de projets.

Une idée que porte également Territoire zéro chômeur. Une expérimentation de cinq ans menée dans le quartier Saint-Jean, à Villeurbanne. "L'objectif est de réallouer le coût du chômage de longue durée à la création d'entreprises pour des activités qui correspondent aux besoins du territoire et qui emploient les demandeurs d'emploi de longue durée volontaires", explique Agnès Thouvenot, adjointe au maire villeurbannais, déléguée à l'économie solidaire, l'emploi et à l'insertion.

Ainsi est née EmerJean, une société par action simplifiée dont les actionnaires sont des entreprises d'insertion et des bailleurs sociaux du territoire, l'entreprise privée Lenoir Metallerie et l'association Le Booster de Saint-Jean. Depuis sa création au début de l'année, elle compte déjà trente salariés en CDI.

Être accompagné vers l'emploi

Cependant, trouver des postes, monter des formations, imaginer sa propre destinée entrepreneuriale ne suffit pas. Revenir vers l'emploi demande un investissement important de la part des bénéficiaires du RSA. S'ils possèdent des droits, ils ont aussi des devoirs, "comme la signature d'un contrat d'engagement dans lequel le bénéficiaire est tenu de rechercher un emploi ou d'entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle, une obligation déclarative, la construction d'un projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE)", indique le PMI'e.

Ce schéma dynamique implique un accompagnement spécifique, professionnel, mais aussi social. "Tout doit être fait pour lever les freins et accéder à l'emploi. Car si le droit au RSA n'est pas limité, tout doit être mis en œuvre pour éviter l'inscription du bénéficiaire dans la durée", signale-t-on à la Métropole.

"Selon l'une de nos études, plus les parents sont isolés, plus le risque de danger est grand pour leur enfant. L'activité dépasse les questions économiques, elle a un effet de socialisation et de reconnaissance fondamental. D'où le rôle très important des politiques de solidarité", confirme Didier Lesueur.

Plus la Métropole avance dans son process d'accompagnement, plus elle imagine des solutions sur mesure. Ainsi a-t-elle voté, en septembre dernier, une offre d'accompagnement spécifique pour suivre 300 bénéficiaires en souffrance psychique jusqu'en décembre 2018. Elle fait suite à une expérimentation conduite auprès de 97 personnes pendant sept mois, qui a mesuré les effets d'un accompagnement renforcé et pluridisciplinaire avec 22 mises en activité sur la période.

Idées collectives

S'il est encore trop tôt pour noter une variation significative du nombre de bénéficiaires du RSA ou de solutions de retour à l'emploi, l'insertion par l'emploi local non délocalisable offre de vrais débouchés pour sortir durablement de l'aide sociale. Le rôle de médiateur de la Métropole permet, en tout cas, de faire émerger des idées, des actions collectives, des rencontres entre les acteurs de l'insertion, mais aussi entre les salariés et les personnes éloignées de l'entreprise depuis longtemps.

"En parallèle à ce travail mené sur le territoire, nous avons imaginé, avec l'association Face Grand Lyon, un programme de parrainage d'une quinzaine de demandeuses d'emploi par nos salariés. Ils nous disent que ce sont eux qui ont eu la chance de les accompagner", détaille Cécile Maraldi, responsable RSE d'Enedis Lyon Métropole.

"C'est assez porteur en termes d'image pour un territoire, conclut Didier Lesueur. Des interlocuteurs identifiés, à l'écoute, sont susceptibles d'attirer les entrepreneurs. Ils sont généralement intéressés par ce qu'il se passe sur leur territoire, et désireux de s'impliquer dans leur ville. "

Dernière hypothèse : favoriser l'insertion par l'emploi, c'est aussi redonner du sens à son rôle de citoyen. Un plus pour la collectivité.

Infos en plus :

  • Le coût de l'insertion

En lien avec sa compétence "insertion", héritée du département du Rhône et du Grand Lyon, la métropole de Lyon est responsable de la mise en œuvre du Revenu de solidarité active (RSA) - la part dite "socle" car celle liée à l'emploi est financée par l'État - et du développement d'une politique d'insertion, en tant que coordinateur de l'action de l'ensemble des partenaires impliqués.

À la fin du mois de novembre 2016, cette stratégie a concerné 39 133 allocataires du RSA, auxquels il convient d'ajouter de nombreux bénéficiaires (tous ceux qui sont dans le dispositif, payés ou pas), mais aussi les personnes éloignées de l'emploi, comme les chômeurs de longue durée, les jeunes de moins de 26 ans en grande difficulté et les travailleurs reconnus handicapés. Dans son budget 2017, la collectivité consacre 259,7 millions d'euros à l'insertion et à l'emploi, dont une part importante au paiement du RSA. En outre, elle commande, via le marché réservé, près de 1,7 million d'euros aux structures d'insertion par l'activité économique, acteurs indispensables de l'insertion. Les appels à projets réguliers du PMI'e sont, quant à eux, en partie financés par le Fonds social européen. À ce volet, il convient d'ajouter « la solidarité avec les plus fragiles » formalisé par un Projet métropolitain des solidarités (PMS) voté le 6 novembre dernier. Au total, la solidarité représente 25 % du budget métropolitain (750 millions d'euros investis en 2017).

  • 14 objectifs pour 3 ambitions

Voté le 10 décembre 2015 par le conseil de la Métropole, pour une période courant de 2016 à 2020, le Programme métropolitain d'insertion pour l'emploi (PMI'e) entend exploiter l'ensemble des opportunités d'accès à l'emploi que le territoire peut offrir. Il s'articule autour de trois ambitions : "développer l'offre d'insertion par les entreprises, mettre en activité tous les bénéficiaires du RSA et mettre en œuvre un projet commun pour un territoire exemplaire". Elles se déclinent sous la forme de 14 objectifs :soutien du secteur de l'insertion par l'activité économique, création de la "Charte des 1 000"entreprises pour l'insertion, développement de l'employabilité des personnes éloignées de l'emploi, mobilisation du levier de la commande publique, etc. Pour y répondre, la métropole de Lyon lance régulièrement des appels à projets, évalués en fonction des résultats réguliers des expérimentations menées et de leur capacité à être évolutives et non figées.

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