Big Booster : les dessous des négociations transatlantiques

L'avènement du projet Big Booster, un important programme d'accélération de startups entre Lyon et Boston, n'a pas été simple. Mais des divergences entretenues entre les deux principaux initiateurs, la Métropole de Lyon et le partenaire américain Mass Challenge, ont su faire naître une structure ambitieuse, en passant au delà des différences stratégiques et culturelles.
Le Mass Challenge est l'un des plus importants accélérateurs de startups au monde. Il est associé au programme Big Booster.

Dans son guide pratique des relations franco-américaines, la Chambre de commerce et d'Industrie Rhône-Alpes met en avant un point clef pour assurer la réussite des négociations : le pragmatisme. "Les Américains cherchent avant tout à conclure des affaires, soyez dans ce même état d'esprit, oubliez le côté institutionnel et restez concret", peut-on y lire.

L'exemple du Big Booster

Ce guide souligne un fait bien connu : la différence qui existe entre les deux nations dans la philosophie entrepreneuriale. Et face aux grandes théories, certains épisodes permettent de cerner concrètement ces dissemblances. L'un d'entre eux y fait particulièrement écho : l'implantation du programme d'accélérateur de startup Big Booster à Lyon, en partenariat avec la structure américaine Mass Challenge, localisée à Boston.

Les négociations entre la Métropole de Lyon et le Mass Challenge (MC) - deux acteurs prépondérants de ce programme -, symbolisent les divergences, les approches différentes, mais aussi la recherche du compromis par des acteurs qui ne se connaissent pas afin de monter un projet ambitieux. Des discussion - les oppositions diront certains -, peuvent germer de grands projets. L'avènement du Big Booster s'inscrit dans ce processus.

A l'origine, le projet Mass Challenge Lyon

Revenons d'abord à la genèse de cette coopération. Le 14 septembre 2014, le gouverneur du Massachusetts de l'époque Patrick Deval est en visite à Lyon. Fort des premiers contacts initiés par des entreprises françaises installées à Boston (Sanofi/Genzyme), il évoque avec le maire de la Métropole, Gérard Collomb, la possibilité d'une collaboration entre Boston et Lyon dans le domaine des startups, un aspect d'un partenariat plus global signé entre les deux villes.

Le nom du Mass Challenge (MC) est alors pour la première fois publiquement avancé. Une proposition qui a de quoi faire rêver l'écosystème numérique lyonnais : le MC est l'une des plus importantes structures mondiales à but non lucratif d'accélération de startups. En 2013, les jeunes pousses incubées ont généré un ensemble de 194 millions de dollars de revenus et créé près de 4 000 emplois, selon le site de l'organisation.

Ainsi, cette volonté de coopération politique accélère les discussions : le 9 octobre, alors en visite dans la ville américaine, les services de la Métropole signent une convention avec la structure MC.

"Il s'agit essentiellement d'un cadre général de coopération entre les écosystèmes d'entreprise de Lyon et de Boston en général, mais plus particulièrement ici avec Mass Challenge", déclarait à l'époque Amir Eldad, responsable international de la structure américaine.

5 jours plus tard, le 13 octobre, la Métropole confirmait l'information lors d'un point presse à Lyon, et détaillait les étapes suivantes :

En premier lieu, il s'agit de préparer l'atterrissage du Mass Challenge parmi les autres outils et accélérateurs dont nous disposons sur le territoire. Ensuite, il faudra réaliser un tour de table pour financer la structure", expliquait la collectivité territoriale.

Des négociations compliquées par des impératifs divergents

A ce moment donc, il s'agissait de fonder à Lyon une antenne régionale du Mass Challenge. D'ailleurs, dans la sémantique des élus, relayée dans no colonnes, ils parlaient exclusivement du MC.

Mais les négociations qui s'ouvrent alors, portant sur les conditions d'implantation, ne sont pas aisées. De nombreux détails bloquent. Une question d'approche culturelle ?

Les Américains sont comme ça : soit tu acceptes leurs conditions, soit il n'y a pas de marché", résume un poids lourd du secteur numérique lyonnais et partenaire du dispositif final.

Les deux structures, bien qu'ayant la volonté de travailler ensemble, n'ont pas les mêmes impératifs. Mass Challenge souhaite conclure rapidement les négociations afin de respecter son planning de développement à l'international, alors que Lyon veut obtenir l'accord le plus complet possible en défendant au mieux les particularités de son écosystème.

En décembre 2014, les deux partenaires sont au bord de la rupture. Mais la nouvelle année remet les pendules à l'heure. Les "nombreux détails" sont  -notamment grâce aux liens politiques qui existent entre Lyon et Boston- remis à plat. Les négociations partent sur de nouvelles bases. Toutefois une chose s'esquisse alors : le Mass Challenge ne sera pas dupliqué tel quel à Lyon, mais restera cependant un élément important à tout projet, quelle que soit finalement sa forme.

Du Mass Challenge au Big Booster

Ainsi, en avril, à la surprise générale, lors du forum Biovision, Gérard Collomb annonce la création du programme Big Booster, alors que le MC devait être officiellement lancé lors de cet événement.

"Au fil des discussions, nous avons observé un décalage dans le contenu. Nous allons donc monter un programme plus sophistiqué, qui reflète davantage les besoins de l'écosystème lyonnais", précise alors dans nos colonnes Karine Dognin-Sauze, vice-présidente de la Métropole en charge de la ville intelligente, de l'innovation et du numérique, à la suite de nos interrogations sur ce changement d'appellation au moins d'avril 2015.

D'autres protagonistes sont alors encore plus directs : "Les tensions ont permis de faire émerger un nouveau programme", dévoile un poids lourd du numérique Lyonnais. Une version confirmée par un personnage clef de l'exécutif métropolitain. "Ce fut salvateur de ne pas être allé trop vite dans les négociations avec le MC".

Un programme très ambitieux

Il en germera donc un projet plus ambitieux, d'un budget de 800 000 euros pour la première édition, et accompagné par des grandes entreprises, un fait non négligeable. "L'appui des grands comptes va renforcer l'attractivité du territoire lyonnais, donnant ainsi une puissance de frappe beaucoup plus importante qu'au projet original", souligne une source Parmi eux, Sanofi - à l'initiative des premiers contacts avec le MC -, Capgemini, EDF, GL Events, Veolia, Orial, etc.

Les négociations ont permis également de "cibler davantage les secteurs concernés par ce programme d'accélération", poursuit un interlocuteur. En effet, le MC accélère des startups de tous secteurs. Les Lyonnais voulaient cibler sur des contenus propres aux terreaux lyonnais et bostoniens : le numérique, la santé, l'environnement.

In fine, les deux structures tombent d'accord dans des conditions "qui sont proches, notamment dans le domaine financier, à ce qui posait problème à la base", révèle une personne au sein de l'exécutif de la Métropole.

Des oppositions jugées "naturelles"

Ainsi, le 25 août, le partenariat est officialisé. Le Mass Challenge aidera les startups sélectionnées par Big Booster à rencontrer des conseillers, clients et sponsors américains. La Métropole de Lyon précise : "Mass Challenge apportera son expertise sur la construction de l'accélérateur Big Booster, contribuera aux opérations de communication et organisera le bootcamp (rassemblement intensif permettant d'accélérer les projets) de Boston".

Les différentes parties estiment comme "naturelles" les oppositions qui ont existé, invoquant la nécessité d'un temps nécessaire pour se connaitre et travailler correctement ensemble.

"Il y a des différences culturelles ainsi que des moyens d'agir qui divergent au départ. Mais ces mois de discussions étaient nécessaires pour bien apprendre à nous connaitre et à s'aligner sur un objectif commun. Depuis notre accord (du 9 octobre 2014 ndrl), l'implication du Mass Challenge est vraiment à la hauteur de nos attentes", commentait après coup Karine Dognin-Sauze.

Des intérêts mutuels forts

Cet accord aurait-il pu capoter ? Les intérêts mutuels ont -semble-t-il- été trop forts pour que cela se produise. La Métropole de Lyon avait besoin du Mass Challenge, de son expérience et de son réseau pour s'implanter durablement et efficacement à Boston. Notamment pour nouer des relations avec les investisseurs étrangers, alors que la Métropole accuse toujours un déficit dans ce secteur-là, malgré des améliorations :

"Lyon est très dynamique. Mais a-t-elle une assise suffisante pour se créer ses propres réseaux de financement à l'international ?", se demande un acteur de la French Tech, dirigeant d'une structure localisée à Paris. "Nouer des liens avec ce genre de structure paraît judicieux, au delà de la capacité et de l'expertise d'accompagnement que propose MC", poursuivait-il.

De son côté, l'entité américaine, qui souhaite se développer à l'international en multipliant les pôles, considère Lyon comme une porte d'entrée sur l'Europe du Sud. "Notre objectif est d'être partout sur le continent", affirmait à Acteurs de l'économie, Amir Eldad, alors que le MC a déjà inauguré une antenne à Londres et à Tel-Aviv, et plusieurs "Bridge programs", des cursus d'associations ciblés. C'est sur ce dernier modèle que le MC s'est greffé au Big Booster.

Lyon est une localité importante pour le Mass Challenge. Davantage encore depuis que l'écosystème parisien n'a pas trouvé judicieux de répondre favorablement aux sollicitations de l'Américain, en octobre-novembre 2014. Ce dernier était passé par le secrétariat d'État au Commerce extérieur pour sonder l'écosystème francilien. Un acteur parisien proche du dossier explique le refus du territoire :

"Ce modèle d'accélération est pertinent, mais nous avons déjà de nombreuses structures d'accompagnement en Ile-de-France. Mettre une grosse machine comme le MC face à nos pôles qui émergent aurait pu les étouffer."

D'après nos informations, Mass Challenge envisagerait également une implantation en Suisse. Une hypothèse que n'a pas été démentie par la structure américaine.

Quelle stratégie pour le Mass Challenge ?

La question sur la stratégie d'expansion du Mass Challenge peut se poser. Quel est le but pour cet organisme -qui se revendique comme "non profit"-, de multiplier les partenaires aux quatre coins du monde ? Un membre de la French Tech, présent lors des négociations entre l'écosystème parisien et le MC, tente de comprendre :

"En multipliant ses antennes, le Mass Challenge, qui joue également un rôle d'intermédiaire auprès des investisseurs bostoniens, augmente ses capacités de sourcing des startups. Plus le sourcing en volume est important, plus les financeurs peuvent être intéressés par le dispositif. Et plus il y a des financeurs, plus les startups sont attirées par l'initiative MC."

De cette démonstration, l'interlocuteur éclaire l'attitude du Mass Challenge avec la Métropole de Lyon au début des négociations :

"Cette ambition peut expliquer la démarche offensive d'un point de vue commercial lorsque la structure américaine souhaite s'implanter dans une ville. Mais là où les écosystèmes sont bien charpentés et établis, le MC doit adapter son offre."

Un mariage culturel

Une offre qui a finalement trouvé un point d'accord entre les différents protagonistes. Et plus d'un an après les premiers contacts, et à l'approche du lancement officiel du programme Big Booster, l'alchimie semble plus réelle entre les deux acteurs. "Notre relation est excellente", estime Karine Dognin-Sauze, faisant dire à Amir Eldad la même chose.

Quoi qu'il en soit, en dehors de ces négociations, le programme Big Booster a suscité un fort intérêt de la part des startups rhônalpines, françaises, européennes et méditerranéennes, avec plus de 500 candidatures. 72 ont finalement été sélectionnées vendredi 2 octobre. Elles se retrouveront pour un boot camp lors de la conférence du Blend Web Mix, un événement qui met en avant la culture digitale francophone.

Puis, les 20 meilleures s'envoleront pour Boston afin de poursuivre leur initiation : une opportunité unique de se confronter par elles-mêmes, après les organisateurs français et américains, aux différences culturelles et entrepreneuriales qui existent entre les différentes nations.

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