Lithium : quand la « vallée de la batterie » devient un argument pour attirer l’usine de Limatech (face à Toulouse)

Après Verkor et BeFC à Grenoble, ou encore Iten et Mecaware à Lyon… La filière de la batterie se consolide sur en Auvergne Rhône-Alpes. A deux pas de la Presqu’île scientifique de Grenoble, la spin-off du CEA Leti Limatech engage un virage stratégique en revenant de Toulouse pour industrialiser ses premières batteries destinées à l’aéronautique. En pleine levée de fonds perturbée par la crise ukrainienne, elle lance également un appel au gouvernement pour développer une filière d’approvisionnement en batteries lithium-fer-phosphate (LFP), alors que l’automobile mise aujourd’hui sur le lithium nickel-manganèse-cobalt (NMC).
Pour pouvoir alimenter un marché de l'aéronautique aux exigences réglementaires strictes, la jeune pousse a fait le choix technologique des batteries Lithium-fer-phosphate (LFP), et non pas Lithium nickel-manganèse-cobalt (NMC), qui sont aujourd'hui au cœur des projets de gigafactories soutenues par les programmes européens, à commencer par le projet Verkor.
Pour pouvoir alimenter un marché de l'aéronautique aux exigences réglementaires strictes, la jeune pousse a fait le choix technologique des batteries Lithium-fer-phosphate (LFP), et non pas Lithium nickel-manganèse-cobalt (NMC), qui sont aujourd'hui au cœur des projets de gigafactories soutenues par les programmes européens, à commencer par le projet Verkor. (Crédits : DR/Limatech)

Elle était partie pour mieux revenir, au gré des financements si délicats à trouver dans l'industrialisation des technologies de rupture. La spin-off du CEA Leti développait depuis 2016 des batteries Lithium-fer-phosphate (LFP) pour accompagner la décarbonation de l'aviation, régionale dans un premier temps, puis moyen-courrier.

Avec trois principales promesses : proposer ainsi une technologie 3 fois plus légère, 2,5 fois plus durable, mais qui nécessiterait aussi 2 fois moins de maintenance que les batteries actuelles (à base de plomb ou de nickel cadmium). « Notre technologie est également 20% plus performante que les batteries de notre principal concurrent américain sur le marché, grâce à l'électronique de précision que nous avons développée », souligne à La Tribune Florence Robin, présidente de Limatech.

Mais après avoir obtenu une première série de financements dédiés à la R&D à Grenoble, elle avait décroché un prêt d'honneur au sein de l'écosystème toulousain de l'aéronautique, qui l'avait conduite à déplacer son siège social en Occitanie.

Mais à l'aube de son industrialisation, la pépite, qui recherchait à nouveau une terre d'accueil (et des financements) pour produire ses premières batteries en volume, a finalement opté pour un retour aux sources, au sein de l'écosystème grenoblois. Et pour cause :

« En dehors de la présence du CEA, Grenoble est une vraie vallée de l'électronique, ce qui sera un élément bénéfique pour nous afin d'embaucher des électroniciens mais aussi, de rapprocher nos laboratoires de R&D de la phase d'industrialisation pour cette nouvelle étape », précise Florence Robin, qui travaille déjà à un plan de recrutement qui devrait faire passer ses effectifs de 28 à 100 personnes, principalement sur son site de production pilote de Voreppe, situé à quelques kilomètres de Grenoble, et où tout reste à construire.

Car sur un total de 1.200 m2 disponibles, seuls 300 m2 ont encore été aménagés, sur un site isérois où devraient être accueillies trois lignes de production. Avec un objectif : produire dès l'an prochain 500 batteries par année, pour atteindre d'ici 2028 les 30.000 unités annuelles.

Le virage d'un investisseur russe à d'autres options

Pour sécuriser cet investissement, la startup se prépare à boucler un second tour de table, qui aura été ralenti et bousculé par la crise ukrainienne : car alors qu'elle se préparait à lever jusqu'à 20 millions d'euros, Limatech a dû rebrousser chemin sur son prospect principal il y a quelques mois, qui n'était autre qu'un investisseur russe...

Finalement, le virage à 180 degrés devra toujours comprendre une levée d'au moins 10 millions d'euros afin de financer sa première usine pilote. Cette ligne de production ne sera cependant pas la dernière : car en ayant vocation à produire au plus près de ses marchés, Limatech envisage déjà de déployer par la suite d'autres sites de production à l'étranger, et notamment aux Etats-Unis et en Asie.

« On ne s'interdit pas non plus de déployer une 2e usine plus proche d'Airbus », glisse Florence Robin.

Actuellement en cours de finalisation de cette opération, la deeptech espère désormais pouvoir l'officialiser à compter de décembre prochain. Avec à la clé de nouveaux investisseurs, qui viendront renforcer une première enveloppe de Bpifrance et de prêts bancaires.

« Aujourd'hui, le véritable problème est que les startups industrielles ne parviennent pas à trouver du financement privé, en dehors des financements publics que nous avons déjà pu recueillir ».

Pour Florence Robin, il s'agit avant tout d'une forme de méconnaissance des acteurs du capital investissement sur la vie des startups industrielles qui, même si la thématique fait désormais partie des priorités adressées par le gouvernement français à travers l'émergence de clubs comme le Tech Factory de France Industrie, peine encore dans les faits à se transformer. « Des fonds sont aujourd'hui en train de se monter mais on parle plutôt d'une logique de plus long terme. Or, si nous voulons aller vers une réindustrialisation de la France, il va bien falloir la financer », fait valoir la présidente de Limatech.

Un marché qui peine à convaincre les investisseurs peu aguerris

D'autant plus que sur le marché de l'aéronautique, les voies de la décarbonation peuvent être jugées complexes par des investisseurs peu familiers du secteur.

Limatech estime faire face à un double challenge : « on voit que, d'une part, de gros projets comme Verkor sont par exemple soutenus par des industriels comme Schneider Electric ou Renault, ou bien ont tendance à attirer des fonds principalement étrangers, et généralement en dehors de l'Europe. Cela pose de vrais enjeux de souveraineté pour la filière, d'autant plus lorsque ces projets ont pu démarrer grâce à du financement public ».

Florence Robin ne se le cache pas : elle a déjà reçu des propositions, parfois jugées très alléchantes financièrement, d'investisseurs chinois, russe ou du Moyen-Orient. « Dans un domaine d'excellence comme l'aéronautique, la conséquence d'un tel positionnement viendrait à se couper du marché européen ».

Sans compter que face à des projets d'envergure comme European Battery Alliance (EBA) (aussi appelé l'Airbus des batteries), qui vise à former des consortiums entre les Etats membres et certaines entreprises afin de lisser la répartition de la production mondiale des cellules Lithium-ion (un marché aujourd'hui largement dominé par l'Asie), Limatech nuance : « Il existe aujourd'hui plusieurs typologies de batteries, allant de la basse à la haute tension. Avec pour commencer, le marché de la basse tension dédiée au remplacement des moteurs thermiques pour le démarrage des appareils ».

Et c'est à ce marché que se dédie prioritairement Limatech, avant d'aller chercher à remplacer les batteries plus puissantes, nécessaires à la propulsion des appareils.

«Or, aujourd'hui les grands programmes d'investissements actuels financés par les avionneurs concernent surtout les plus hautes tensions, mais c'est comme en oublier de financer d'abord la première étape », regrette Florence Robin.

D'autant plus que pour atteindre l'objectif de neutralité carbone de l'aviation civile d'ici 2050 votés récemment par l'Organisation de l'Aviation civile internationale (OACI), les voies demeurent nombreuses : entre hybridation électrique et thermique, hydrogène et pile à combustible, mais aussi appel aux biocarburants... « Mais dans tous les cas, on aura besoin d'une batterie de démarrage comme celle que nous allons proposer », assure Florence Robin.

Côté certification, Limatech a déjà franchi « 3 étapes sur 4  » puisqu'il ne lui resterait désormais à certifier que sa future chaîne de production à Voreppe, après s'être assurée que sa technologie répondait elle-même aux standards de l'industrie aéronautique.

Les batteries LFP, grandes absentes des programmes européens de gigafactories

Reste cependant un écueil : celui de l'approvisionnement. Car Limatech ne se positionne pas comme une gigafactory produisant les cellules de batteries, mais comme un « mécatronicien » qui développe des systèmes intelligents associant électronique, informatique et mécanique.

Et pour pouvoir alimenter un marché de l'aéronautique aux exigences réglementaires très poussées, la jeune pousse a fait un choix technologique avec ses batteries Lithium-fer-phosphate (LFP), et non pas Lithium nickel-manganèse-cobalt (NMC), qui se retrouvent aujourd'hui au cœur des projets de gigafactories soutenues par les programmes européens, à commencer par le projet Verkor.

« Nous avons essayé de travailler avec eux mais la technologie qu'ils sont choisie peut convenir à l'automobile mais pas au secteur de l'aviation, car elle serait trop risquée et incertifiable, compte-tenu de son emballement thermique à 1.200 degrés ».

Limatech lance donc en même temps un appel à l'aide au gouvernement afin de réduire la dépendance à l'Asie de sa filière d'approvisionnement. « Aujourd'hui, nous travaillons déjà avec un fabricant de cellules LFP basé en Inde qui serait très heureux de pouvoir établir une usine sur le marché européen, car ils ont également une réflexion de rapprocher leurs moyens de production des marchés », atteste Florence Robin.

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Commentaire 1
à écrit le 25/10/2022 à 19:49
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Bonjour Le lithium va être extrait dans le centre de la France, il serait bien que les exploitants de batteries et sous traitants soient à proximité du gisement, cela éviterait les milliers camions par jour vers grenoble, au moins il serait bien de...

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