Décarbonation : "Il faut garder le cap, cette crise demeure une opportunité pour nos greentechs" (Anne Guérin, Bpifrance)

ENTRETIEN. Pour la seconde édition de son événement national Jour E dédié à la transition écologique des entreprises, Bpifrance a choisi Lyon ce mardi pour rassembler près de 900 chefs d’entreprises. Une occasion, pour sa directrice du financement et du réseau, Anne Guérin, de revenir sur l’enjeu énergétique. Car à l'heure où le dernier volet du sixième rapport du Giec se penche sur les moyens de limiter les émissions de GES, Anne Guérin veut également entraîner les PME et ETI vers la décarbonation, en dépit des cours de l'énergie qui flambent suite à la guerre en Ukraine : "même si nous traversons actuellement une crise, l'injonction climatique ne change pas".
Face à la flambée des cours de l'énergie, les projets de biogaz et notamment de méthanisation ont été remis sur le devant de la scène. Nous avons nous-mêmes développé un prêt méthanisation avec l'ADEME que nous sommes en train de  'relooker' afin qu'il soit plus puissant et permette de financer tant de petites unités que de plus grandes, à l'aide d'un prêt sans garantie, confirme Anne Guérin.
Face à la flambée des cours de l'énergie, les projets de biogaz et notamment de méthanisation ont été remis sur le devant de la scène. "Nous avons nous-mêmes développé un prêt méthanisation avec l'ADEME que nous sommes en train de 'relooker' afin qu'il soit plus puissant et permette de financer tant de petites unités que de plus grandes, à l'aide d'un prêt sans garantie", confirme Anne Guérin. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - L'événement Jour E, qui se tient ce mardi 5 avril à la Sucrière de Lyon, dans le quartier Confluence, est dédié à la transition écologique : une notion une nouvelle fois mise en lumière ce lundi par le sixième rapport du GIEC, et qui prend aussi de plus en plus d'importance au sein des différents métiers de Bpifrance. Pourquoi avoir choisi d'en faire un événement de portée nationale ?

ANNE GUERIN. Nous avions déjà mené, l'an dernier, une première édition en format virtuel depuis Paris en raison de la crise sanitaire, et notre idée était de bâtir une journée dédiée à la transition environnementale au sein des entreprises, afin d'explorer l'ensemble des possibilités et surtout, d'apporter les solutions pour éclairer la route aux entrepreneurs et chef d'entreprise. Car il s'agit à la fois d'un univers complexe, mais où il existe déjà un certain nombre de solutions disponibles en réalité.

Nous irons donc, durant cet événement, prodiguer aux entreprises des notions allant des cours de taxonomie verte au décryptage du contenu d'un bilan en matière de GES, en passant par la manière d'optimiser sa propre logistique, de s'inscrire dans une logique d'économie circulaire ou encore de mieux maîtriser ses consommations énergétiques, une question qui est d'ailleurs devenue un enjeu central, au regard de l'actualité.

Nous accueillerons également une trentaine de startups qui viendront pitcher, ainsi que de grands invités comme le président du Groupe Seb, Thierry de La Tour d'Artaise, qui évoquera les enjeux de réparabilité, ou encore le dirigeant de Solvay, qui témoignera de son projet de co-génération sur sa dernière usine.

Nous avons également recueilli en amont près de 150 questions auxquelles nous tenterons de répondre tout au long de la journée, et mis en place une bourse aux déchets où 120 entreprises ont déjà déclaré les déchets qu'elles souhaiteraient valoriser, tandis que 60 autres ont proposé des solutions concrètes.

Pourquoi avoir choisi tout particulièrement la scène lyonnaise pour monter un tel événement ?

Les questions environnementales se jouent au niveau local, c'est pourquoi nous sommes convaincus qu'il faut créer des écosystèmes afin que les projets d'économie circulaire se fassent majoritairement en proximité. La région lyonnaise occupe également une place importante au sein du Plan Climat de Bpifrance, car elle regroupe à la fois 20% des prêts verts délivrés à l'échelle nationale, 20% des prêts énergie environnement et 16% des entreprises de notre communauté du Coq Vert, ainsi que 130 diagnostics éco-flux, soit là encore, 20% du volume national généré.

C'est également une région qui se positionne déjà comme un vrai terreau de greentechs, avec des startups comme Lactips, Carbiolice, Aledia, McPhy etc, mais aussi avec des entreprises emblématiques comme les Tissages de Charlieu ou le Groupe Cheval, qui ouvrent la voie en matière d'environnement.

Face au contexte énergétique et aux conséquences de la guerre en Ukraine qui ont fait notamment flamber les cours de l'énergie, constatez-vous que les attentes des entreprises sont désormais plus fortes pour accélérer leur transition ?

Oui, nous constatons très clairement l'émergence de questionnements plus forts sur le terrain afin de savoir comment bâtir un cycle de production plus économe, générer notamment de l'énergie à partir des déchets produits, avoir une électricité plus verte, tout en déterminant par exemple si on a notamment le foncier qui permet de le faire...

Tous ces enjeux vont devenir centraux : ils l'étaient d'ailleurs déjà pour les industriels électrointensifs, et ils vont le devenir désormais pour les ETI et les PME qui ont des factures d'énergie importantes.

C'est également une question qui a été placée au centre du plan climat de Bpifrance il y a deux ans, et pour laquelle nous avions déjà mis en place des axes de financement et d'accompagnement. Le constat étant que les chefs d'entreprise sont volontaires pour accélérer leur transition, mais ils ne savent pas très bien comment faire, ni quelles solutions choisir.

C'est pourquoi nous proposons par exemple le diagnostic éco-flux, qui permet de scanner l'ensemble des matières (eau, électricité, etc) consommées ainsi que les axes d'économies possibles, en utilisant par exemple des capteurs pour les mesurer, avec l'objectif que cette démarche soit immédiatement rentable.

Un premier pas a déjà été franchi puisque nous avons déjà réalisé près de 700 diagnostics eco-flux en l'espace de 18 mois. Il s'agit déjà d'une forte accélération, qui aura permis de générer près de 50.000 euros d'économies par année.

Nous savons qu'il existe une urgence à la fois climatique et réglementaire qui attend les chefs d'entreprise, et redescend en cascade sur les ETI et PME. Tout l'enjeu pour elles est donc de verdir très vite, et c'est la raison pour laquelle Bpifrance se doit être à leurs côtés, à travers des outils d'accompagner et de financement.

Pour autant, votre directeur général Nicolas Dufourcq, estimait récemment que l'un des principaux sujets de préoccupation des entreprises concernait « toujours l'inflation, la flambée des prix des matières premières et les pénuries ». Certains industriels du BTP, mais aussi des fabricants en lien avec l'électrification des transports, évoquent eux aussi la crainte de pénuries (concernant certains matériaux stratégiques comme le nickel, titane, etc) qui risquent de freiner fortement la transition écologique en cours...

Nous sommes en effet dans un contexte un peu contradictoire, car d'un côté, nous n'avons jamais eu autant d'économies d'énergie générées au sein des cycles de production, et la notion d'indépendance énergétique n'a elle-même jamais été aussi importante, alors que d'un autre côté, nous sommes dans une situation de tension pour aller chercher des solutions à ce sujet. Nous devons garder le cap, car nous traversons une crise qui est nécessairement une crise, mais l'injonction climatique ne change pas.

Les industriels peuvent rencontrer des difficultés d'approvisionnement, mais il ne faut pas lâcher le cap de la transition. Nous sommes d'ailleurs prêts à aider ceux qui souffrent temporairement de difficultés d'approvisionnement à travers le plan résilience, notamment à travers des prêts dédiés.

Mais de toute façon les échéances arrivent : les entreprises devront se transformer et ce sont les premières qui le feront qui prendront les parts de marché à venir. Cette crise demeure une opportunité pour nos greentechs.

Justement, les greentechs, et plus largement les deeptechs, auront obtenu cette année des financements plus importants de la part de Bpifrance, puisqu'elles ont réussi à lever près de 375 millions d'euros auprès de la banque publique en 2021. Cela démontre que l'on a désormais franchi un cap vers cet objectif de déployer des licornes "tant attendues" sur le volet des greentech également ?

Il s'agit d'un signal très significatif, qui nous donne bon espoir de faire émerger des licornes vertes, même si le fait de faire naître des licornes demeure déjà, en soi, un enjeu complexe. Cependant, on voit bien qu'à l'échelle mondiale, le montant des levées de fonds menées par ces startups est de plus en plus important, tandis que nous avons déjà des greentechs au sein du classement French Tech 120, et de potentielles licornes françaises comme Insects, McPhy, ou encore Aledia.

Il va s'agir d'un marché énorme puisque selon les derniers chiffres, les greentechs représentent un marché mondial passé de 6,6 milliards d'euros en 2016 à 32 milliards d'euros en 2021. Ce chiffre a donc été multiplié par huit, et l'on voit que l'Europe rattrape son retard dans ce domaine.

Le mouvement ne s'arrêtera pas là, parce qu'il intègre désormais le capital-risque, et surtout, les entrepreneurs qui ont compris qu'il s'agirait d'un marché important. On observe d'ailleurs que dans les dernières enquêtes, 30 % des porteurs de projets ont envie de créer une startup en lien avec un impact environnemental ou social, que de leur côté, les industriels commencent déjà à éco-concevoir.

On constate justement que l'éco-conception prend une place importante dans les enjeux de Jour E :  or, cela restait encore jusqu'ici un levier relativement peu traité, qui nécessite d'être traité très en amont, dès la phase d'innovation ?

Nous sommes en effet au pied d'une révolution, dans laquelle il faut aider les chefs d'entreprise avec des propositions de méthodologie et de financement, afin de franchir ces premières étapes.

Il leur faut également réfléchir à l'ensemble du cycle de vie de leur production, car quelques fois, il peut aussi s'agir de rajouter simplement une étape à leur processus afin de valoriser les déchets et d'en faire une source de revenus.

On note également un appétit croissant, de la part des industriels, pour l'utilisation de matières recyclées, avec toute une chaîne de l'économie circulaire qui est en train de se mettre en route et qui doit désormais s'installer au niveau local.

Pour le directeur général de l'assureur Maif par exemple, il faudrait aller plus loin en conditionnant par exemple certains dispositifs d'aides publiques à des critères de transition énergétique, en allant même jusqu'à proposer une fiscalité plus avantageuse aux entreprises qui franchissent le pas. La question n'est pas nouvelle, mais sera-t-elle nécessaire pour accélérer ?

Je crois qu'aujourd'hui, il existe déjà un certain nombre de réglementations, qu'il s'agisse de la taxonomie européenne, de la RE2020 qui est entrée en vigueur et rend l'immobilier de plus en plus exigeant... nous avons déjà beaucoup d'outils, et l'enjeu est plutôt d'aider les chefs d'entreprise à s'y mettre.

C'est la vision que nous avons chez Bpifrance, qui est d'accompagner la croissance des entreprises et de la stimuler afin d'obtenir de la croissance verte, avec une activité économique qui soit compatible avec l'environnement et les enjeux climatiques.

Est-ce que cela change tout de même la vision de la banque publique, lorsqu'il s'agit d'évaluer les investissements à réaliser : au-delà des prêts verts déjà dédiés à la transition environnementale -et qui s'affichent en augmentation-, les critères environnementaux viennent-ils peser plus régulièrement dans la balance lorsque vous devez prêter ou investir ?

Notre vision est en effet en train de devenir plus transversale à ce sujet, car tous nos dossiers immobiliers tiennent désormais compte des nouvelles normes immobilières, et c'est la même chose pour le matériel roulant et le secteur des transports au regard des dispositifs d'éco-conduite, des nouvelles énergies ou motorisations moins polluantes, etc.

Dans tous les projets qui passent aujourd'hui en comité de crédit, un chapitre est toujours réservé aux transitions. C'est la même chose pour les décisions d'investissement, où les composantes vertes sont désormais étudiées, ainsi que sur les projets d'innovation, où nous avons même très concrètement près de 50 % de notre plan deeptechs qui a été fléché à l'attention des greentechs.

Cela nous a permis de financer près de 900 greentechs pour plus de 580 millions d'euros d'aides, et 165 millions d'euros en equity en 2021. Même tendance sur le terrain de l'export, où nos assurances en prospection verte nous ont permis d'accompagner des développeurs du secteur des énergies renouvelables (ENR) à l'international, afin de renforcer la filière.

Et pour aller encore au-delà, nous souhaitons travailler sur une nouvelle notation en direction des secteurs dont le business model sera nécessairement affecté par la transition, comme c'est le cas pour les transporteurs d'hydrocarbures par exemple, afin de les aider à prendre le virage.

La transition écologique passera également par l'accompagnement des entreprises au verdissement de leurs flottes, appuyé par l'essor de ZFE de plus en plus contraignantes comme à Lyon. Cependant, il existe encore des questionnements demeurent du côté des entreprises afin de savoir comment financer la transformation de leur flotte, mais aussi celles de leurs installations, telles que les bornes électriques à installer dans leurs locaux. Bpifrance peut-elle intervenir à ce sujet ?

Nous pouvons très clairement accompagner les entreprises sur ce volet, comme nous l'avons fait par exemple à Lyon, en finançant une aire de stockage intermédiaire pour que des camions puissent arriver en diesel jusqu'à un certain point, et que les marchandises soient ensuite déchargées puis reroutées vers le centre-ville, au moyen de véhicules non polluants pour effectuer les livraisons du dernier kilomètre.

L'une des solutions à l'ère des ZFE passera sans doute par ce type de solutions, tandis que nous pouvons aussi accompagner les entreprises sur leur propre foncier dans l'installation de bornes ou infrastructures, comme nous l'avons par exemple déjà fait par exemple avec la CNR en Auvergne Rhône-Alpes, dans le domaine de l'hydrogène.

Nous travaillons également sur tout un volet éco-conduite qui, même s'il peut sembler plus anecdotique, permet de réaliser des baisses de consommation significatives.

Lorsqu'on parle énergie, on constate aussi qu'un dernier volet, jusqu'ici peu développé, a fait son "coming-out" avec la crise ukrainienne : les projets de biogaz et notamment de méthanisation ont été remis sur le devant de la scène. Est-ce un essor déjà palpable au sein de vos propres dossiers ?

Il est vrai que ce type de projet était jusqu'ici peu développé, mais il a été remis au goût du jour par la période actuelle. Nous avons nous-mêmes développé un prêt méthanisation avec l'ADEME que nous sommes justement en train de « relooker » afin qu'il soit plus puissant, et qu'il permette de financer tant de petites unités que de plus grosses, à l'aide d'un prêt sans garantie, bâti avec l'ADEME.

Il est certain que nos financements pourront aller de l'éolienne en Méditerranée aux projets de biogaz, en passant par d'autres énergies, car c'est bien l'ensemble des solutions existantes qu'il nous faudra accompagner pour que la transition écologique se mette en marche.

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