Et si votre masque jetable devenait un T-shirt ? Une filière auralpine s'organise

Que deviennent les masques jetables après usage ? Le dirigeant de la startup aindinoise Cycl-add, spécialisée dans le recyclage des déchets difficiles, a fédéré plusieurs entreprises pour créer une filière de recyclage des masques jetables, allant de la collecte jusqu'à la commercialisation en produits finis, à travers une valorisation sous la forme de T-shirts notamment. A court terme, cette filière territoriale sera en capacité de traiter 4.000 tonnes par an.
Hervé Guerry annonce un objectif à court terme de 4.000 tonnes de masques recyclés par an. Hormis la collecte, l'ensemble de la chaine se trouve dans un rayon de moins de 50 kilomètres autour d'Oyonnax.
Hervé Guerry annonce un objectif à court terme de 4.000 tonnes de masques recyclés par an. Hormis la collecte, l'ensemble de la chaine se trouve dans un rayon de moins de 50 kilomètres autour d'Oyonnax. (Crédits : DR)

Selon l'Agence pour la Diffusion de l'Information Technologique (ADIT), entre 6,8 et 13,7 milliards de masques à usage unique auraient été utilisés en France ces derniers mois.

Des chiffres vertigineux repris par une mission flash de l'Assemblée Nationale lancée en novembre 2020 et s'intéressant au traitement des masques usagés.

Dans sa synthèse présentée tout récemment, cette mission s'alarme ainsi des quelque 40.000 tonnes de déchets non recyclés produits par ces masques l'année dernière. Et préconise le développement urgent de mesures visant à mettre en œuvre un recyclage efficace.

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Parmi les initiatives citées dans ce rapport, figure celle, pionnière, de la startup aindinoise Cycl-add. Spécialisée dans le recyclage des déchets dit "difficiles", elle s'est lancée dès le mois de juin dernier dans une opération commando. Avec une ambition clairement affichée : offrir une seconde vie aux masques jetables.

En quelques mois, son dirigeant, Hervé Guerry, a fédéré autour de lui plusieurs partenaires industriels afin de constituer une filière territoriale du recyclage des masques jetables. Le process complet devrait être opérationnel dans les prochaines semaines.

Huit entreprises impliquées

"Pour Cycl-add, je m'étais intéressé aux déchets hospitaliers depuis trois ans déjà. Nous avions identifié les blouses, les charlottes, les surchaussures et les masques comme produits recyclables avec nos technologies. Sauf que jusqu'à cette crise, tous ces déchets qui partent à l'incinération n'étaient pas visibles", retrace Hervé Guerry.

Aujourd'hui, la donne est différente. S'il souhaite débuter par les masques, son ambition est d'aller bien plus loin. "Même hors période Covid, nous estimons que ces déchets représentent un potentiel de matières à recycler de 40.000 tonnes par an !"

Devant l'urgence des chiffres, Hervé Guerry a choisi de ne pas se lancer seul dans l'opération afin d'être en capacité de produire rapidement. "La coopération de plusieurs PME du territoire a permis d'accélérer l'innovation", explique ainsi le dirigeant.

Premier maillon de la chaine : la collecte des masques. Celle-ci est assurée dans la région par TEHP, association aindinoise spécialiste de l'économie solidaire et présidée par Hervé Guerry. Elle est épaulée par Lemontri pour l'Ile-de-France et PACA ainsi que par Solution Recyclage pour l'Ouest de la France.

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Ces masques sont ensuite traités par l'association d'insertion Solid'AIRE, dans l'Ain toujours. Ses salariés lavent les masques avec du virucide et gèrent le démantèlement en orientant les barrettes/élastiques des masques vers Cycl-add pour une transformation en produits propres, notamment des pots de fleurs.

"Nous transformons ces déchets en granulés de plastiques, mais pour l'instant les flux sont faibles donc le prix à la revente est élevé et n'intéresse pas les industriels. Nous les utilisons nous-mêmes pour fabriquer nos produits".

Le cœur des masques est quant à lui orienté vers l'entreprise Ain Fibres, fabricante de fibres textiles et techniques et à l'origine d'un fil polypropylène innovant. Matière composant justement les masques à usage unique. Ain Fibres est donc en charge, dans ce process de recyclage, de fabriquer le fil à partir de la matière première obtenue à partir des masques. Puis, une autre PME locale, Billon (fabrication de tissu maille pour le textile technique, l'automobile et les maillots de bain), s'occupe du tricotage.

Dernier maillon : Aura Evolution, en charge de la confection et de la commercialisation.

"Le polyproylene a des caractéristiques très intéressantes, il est anti-odeur par exemple, anti-frottement et thermo-régulant. Nous avons décidé de transformer les masques collectés en t-shirts techniques, qui seront commercialisés via les réseaux de chacun des intervenants et via Aura Evolution pour le grand public", détaille Hervé Guerry.

Le choix du recyclage en T-shirt n'est pas anodin. Dans ce produit, le prix de la matière est en effet marginal. "L'impact du coût du tissu, plus élevé avec de notre matière recyclée, est donc limité : peut-être un euro sur un prix de vente d'une trentaine d'euros. Le modèle est donc viable !".

A plus long terme, Hervé Guerry rêve d'une économie du masque complètement circulaire, où les masques collectés pourraient être recyclés et revendus à des fabricants français de masques. Hormis la collecte, l'ensemble de la chaine se trouve dans un rayon de moins de 50 kilomètres autour d'Oyonnax.

Financement par une nouvelle éco-taxe en ligne de mire

Des contrats ont d'ores et déjà été signés aux quatre coins de la France pour la collecte.

"C'est un peu ubuesque parfois pour la toute petite association TEHP de signer avec des groupes du CAC 40", sourit le dirigeant de Cycl-add. Objectif à moyen terme : recycler 4.000 tonnes de masques par an, via un investissement d'environ un million d'euros.

Etape suivante : 20.000 tonnes nécessitant 10 millions d'euros d'investissement environ, sur l'ensemble de la chaine. "Nous avons déjà recyclé deux tonnes mais nous devons encore finaliser la R&D pour industrialiser la production du fil en cadence élevée".

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Le modèle imaginé par Hervé Guerry se finance via trois moyens : la participation des organisations utilisant les masques et faisant appel à la collecte, les recettes générées par la revente des T-shirts et enfin, dès 2024, une nouvelle éco-taxe prévue par loi dans le cadre de la mise en place d'une REP (Responsabilité Élargie du Producteur) pour les producteurs de textiles à usage unique.

Celle pourrait permettre de financer la filière et ainsi diminuer les couts de recyclage pour l'utilisateur. "Cette REP a été imaginée plutôt pour les fabricants de couche-culottes et de lingettes jetables mais nous comptons bien nous associer à cette filière".

D'autres initiatives de ce type émergent en France, comme celle de Plaxtil dans la Vienne. "Les quantités sont tellement importantes que toutes les actions sont les bienvenues", insiste le dirigeant de Cycl-add.

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