« La partie règlementaire du métier de commissaire aux comptes va se durcir »

Les CAC français se montrent particulièrement vigilants quant à l’évolution de la réforme en cours de l’audit à l’échelle européenne, alors que la Lituanie a pris la présidence de l’UE. En jeu : une certaine idée du métier, de sa déontologie et de ses pratiques, différente de celle des Anglo-Saxons selon Frédéric Maurel, associé au sein du cabinet Mazars à Lyon.

Que vous inspirent les accusations portées en Angleterre sur les Big Four (quatre plus grands cabinets d'audit au monde), qui auraient utilisé les informations fiscales recueillies lors de missions de conseil au fisc pour aider leurs clients à pratiquer l'évasion fiscale ?

 

Les Big Four débusquent habituellement les brèches dans les réglementations lors de leurs missions de fiscalité, dans un véritable jeu du chat et de la souris, tout en restant dans la légalité. Les accusations de la commission des comptes publics de Westminster contre KPMG, Deloitte, Ernst & Young et Pricewaterhouse Coopers semblent affirmer qu'ils sont allés plus loin cette fois-ci, mais nous manquons d'informations.

 

Une telle affaire pourrait-elle survenir en France ?

 

Les commissaires aux comptes sont soumis à un code de déontologie très précis dans l'Hexagone, qui impose intégrité, compétence, secret professionnel, confraternité, et dont le but principal est d'éviter tout risque affairant à l'indépendance. Ce code offre la possibilité de prestations (diligences directement liés à la mission de commissaire aux comptes comme les audits d'acquisitions, les attestations d'équité…). Seulement il nous est impossible de réaliser des prestation qui amèneraient des conflits d'intérêts, comme une évaluation sur ce qui a permis d'élaborer les comptes. Il n'est pas concevable d'aider à la comptabilité et au contrôle interne. Si nous contrôlons, nous pouvons simplement émettre des recommandations. Et depuis la loi de sécurité financière il existe un organisme de contrôle, H3C (Haut Conseil du Commissariat aux Comptes), regroupant des magistrats et des commissaires aux comptes. N'oublions pas que nous avons une mission d'intérêt général, régie par le Code du commerce. Nous sommes inscrits à la cour d'appel, et sommes tenus à l'intégrité, l'indépendance et l'éthique.

 

Existe-t-il une différence concrète par rapport aux pays anglo-saxons ?

 

Notre champ d'intervention est plus large en France. Aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni seules les grandes sociétés et les sociétés cotées sont scrupuleusement contrôlées. La marge de liberté laissée aux PME est plus importante. Mais surtout depuis les lois Sarbanes-Oxley, le marché s'est formidablement concentré autour des Big Four dans les pays anglo-saxons. D'autres alternatives n'ont pas émergé. Ils ne sont que quatre pour les missions de commissariat aux comptes et les missions de conseil, ce qui ne permet pas un environnement serein et une totale indépendance. Le choix est trop restreint.

 

La réforme du secteur en vue à l'échelle européenne pourrait-elle changer la donne ?

 

Bruxelles travaille sur un Livre Vert depuis deux ans, arguant que les cabinets d'audit
n'ont pas donné l'alerte pour annoncer la crise. Ce qui a remis sur la table les sempiternelles questions : qu'attendons nous d'eux ? Est-il normal que le client paye celui qui le contrôle ? Cette mission ne relève-t-elle pas de la fonction publique ? Quel est le degré de transparence, d'intégration de ces réseaux? Quelle est la rémunération des associés ? A quoi ressemblent leurs comptes ? Les velléités de changement sont donc assez fortes.

 

Les points que défend le modèle français sont-ils en passe d'être retenus?

 

Les consultations se sont succédées depuis deux ans, et les Français ont insisté sur la pertinence des co-commissaires aux comptes. L'objectif, qui est apparu dans le Livre Vert, était clairement de faire apparaître des challengers. S'en est donc suivi un lobbying féroce des Anglo-Saxons, qui ont surtout essayé de contrer les propositions visant à scinder les activités d'audit et de conseil des grands cabinets. Ils ont obtenu un quasi statu quo. Le seul élément qui ressort est la rotation des cabinets pour les entreprises cotées après quelques années. En France il y a déjà une obligation de rotation des signataires tous les six ans. Il s'agit selon moi d'un faux problème ; la durée est trop courte car les environnements sont de plus en plus complexes et une connaissance de l'entreprise, de ses procédures et de son management est nécessaire.

 

L'audit des comptes des PME pourrait-il être allégé ?

 

Il existe déjà en pratique en France. L'audit est dimensionné en fonction de la taille de l'entreprise. Un approfondissement est opéré si elle passe certains paliers. C'est un débat dans la profession. On y viendra d'une manière ou d'une autre; dans le cas contraire je crains qu'on le supprime tout bonnement. De nombreuses voix s'élèvent pour limiter l'audit légal aux entités d'intérêt public, soit les seules sociétés cotées, établissements de crédit, compagnies d'assurance et de mutuelle. Ce serait dommageable.

 

Décelez-vous des spécificités rhônalpines en matière d'audit ?

 

Premièrement, l'originalité se trouve dans la densité du tissu industriel. Rhône-Alpes est la deuxième région industrielle française, et accueille de nombreuses filiales de groupes étrangers, notamment anglo-saxons. Mazars n'y a d'ailleurs pas accès car toutes les missions sont confiées aux auditeurs des sociétés mères. Deuxièmement, l'ouverture à l'international des acteurs économiques est très forte dans la région. Etant présents dans 71 pays, nous pouvons d'ailleurs souvent les accompagner. Troisièmement, Rhône-Alpes est la terre de Fiducial, d'In Extenso… Il existe une concentration des intervenants, une taille critique a été atteinte, si bien que des plateformes techniques sont développées en plus de l'audit classique, qui peuvent intervenir pour des missions affairant aux systèmes d'informations, au contrôle interne fiscal…

 

Quel avenir se dessine pour le secteur ?

 

La partie réglementaire du métier de commissaire aux comptes va se durcir car le marché attend des comportements irréprochables et exige de la transparence, calquée sur des normes internationales. Les barrières à l'entrée seront d'autant plus fortes. En revanche la partie expertise comptable se déréglemente, il sera même bientôt possible de prendre des parts dans des sociétés commerciales. Les honoraires vont augmenter, le nombre d'acteurs va se réduire. C'est une bonne nouvelle pour nous, qui constituons une alternative aux Big Four.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.