Jean-Olivier Viout, le serviteur

A la tête du parquet général de Lyon depuis septembre 2004, Jean-Olivier Viout ne laisse guère de prise aux critiques. Amoureux de droit et d'histoire, celui qui fut l'organisateur du procès Barbie conduit sa tâche avec un sens du service de l'Etat qui frôle l'abnégation.
©Laurent Cerino

« Je ne suis pas animé par le souci de plaire, l'image que je renvoie m'importe peu. Mais si je donne une image défavorable de la justice, alors là je suis très affecté et cela me trouble ». Avec pour motivation principale de servir l'Etat sans faillir, Jean-Olivier Viout se consacre sans guère de retenue à sa mission, préférant l'ombre à la lumière, le doute aux certitudes. « Je suis un tâcheron de l'action publique, je crois à ce métier et j'ai la faiblesse de penser que je peux être utile à mes concitoyens », résume-t-il. Ne s'autorisant pas d'écart, ne s'accordant aucun répit - « il est un bourreau de travail », observent à l'unisson ceux qui le côtoient -, le procureur général de Lyon conduit sa tâche de manière sacerdotale. « Les magistrats ont un devoir d'excellence. Lorsque sont en cause la liberté d'un individu, le placement d'un enfant ou la vie d'une personne, on n'a pas le droit d'être dans l'à peu près. Certes, la justice est rendue par des hommes, mais ces hommes se doivent de tout faire pour réduire au maximum le risque d'erreur judiciaire. Pour cela il convient de rester en permanence dans l'insatisfaction », tonne celui qui fut le plus jeune procureur de France nommé à Albertville en décembre 1979. Sa ligne de conduite ne souffre aucun écart, encore moins d'épanchement. « Le « déploratoire » stérile ne m'intéresse pas. D'ailleurs les gens qui sont dans le « déplorat¬oire» ne font bien souvent que justifier leur inaction. Or le ministère public doit être en permanence dans l'action », assène Jean-Olivier Viout. Alors, le procureur général mène ses troupes comme un chef d'armée. Sauf qu'il déteste donner des ordres. « La meilleure hiérarchie est celle de l'exemple. Ici, le cadre n'est pas scindé entre ceux qui se plient aux contraintes et les autres. Ainsi, je vais aux Assises et je prends mes tours de permanence. Lorsque vous donnez l'exemple, vous n'avez pas à donner d'ordres », soutient celui qui revendique non seulement sa part d'action, mais aussi l'intégralité des responsabilités. « Lorsque l'on est responsable, on doit être devant. J'assume, et si une erreur est commise, je ne la mets pas sur le compte du lampiste. J'en conclus plutôt qu'on n'a pas su bien expliquer les enjeux au lampiste et qu'on n'a pas su lui donner les bons moyens ». Un raisonnement et une attitude qui peuvent volontiers conduire à une certaine concentration du pouvoir. « Ce qui n'est pas son cas, affirme un fin observateur du monde judiciaire lyonnais qui renvoie à la carrière du procureur général: Il a longtemps été le second du parquet général de Lyon, mais en réalité, et pour diverses raisons, sous Jean- Louis Nadal ou sous François Falletti, il était le vrai patron. Il a pris l'habitude de tout faire ». Aussi, derrière cette volonté de « tout faire », se cache, selon ce même témoin, une recherche permanente du consensus. « C'est peut-être là sa seule faiblesse. Il veut tellement être consensuel qu'il prend les devants et monte au créneau, plutôt que d'avoir sinon à donner des ordres, au moins à faire quelques remarques à des collaborateurs moins allants que lui ». Xavier Bonpain, substitut général, qui travaille avec Jean-Olivier Viout depuis plus de vingt ans ne se risque pas à une telle analyse. Et se contente de décrire son supérieur hiérarchique d'humeur toujours égale, jamais colérique, en permanence dans l'action. « Il réalise énormément de tâches lui- même, est toujours là très tard et se révèle parfois difficile à suivre », décrit-il.

Habité par la fonction

L'intéressé revendique cette boulimie de travail mais réfute catégoriquement, l'œil noir et le ton ferme, qu'elle pourrait cacher le besoin d'assouvir un pouvoir personnel. « Le seul pouvoir dont je bénéficie, c'est celui qui me permet d'assurer la prévalence de la loi ». D'ailleurs, ses proches collaborateurs ne le considèrent pas comme « le patron », savent qu'ils ont « sa confiance » et que « sa porte est toujours ouverte ». La véritable explication est plus certainement dans les racines familiales de l'enfant de Chambéry: « J'ai été élevé dans le sens du devoir, du service public, de la patrie, et pour moi le service de l'Etat est fondamental ». Cette éducation reçue de parents pourtant loin de la fonction publique - un père comptable et une mère au foyer -, Jean-Olivier Viout s'est lui-même fait un devoir de la transmettre à ses deux enfants qui sont d'ailleurs fonctionnaires. Ce sens du devoir envers l'Etat a naturellement orienté le parcours de l'étudiant en droit. « Deux raisons principales m'ont poussé à entrer dans la magistrature. La première est une réaction à une phrase prononcée par l'un de mes professeurs de droit lorsque j'étais étudiant à Grenoble: « Si vous considérez que la justice est imparfaite, plutôt que de la critiquer du dehors, entrez-y », nous a-t-il encouragés. Le défi valait la peine d'être relevé. Quant à la seconde, être avocat m'aurait plu, mais le rapport à l'argent m'a toujours posé un problème. Je comprends la servitude de l'avocat qui doit faire tourner son cabinet, mais j'aurais bien du mal à demander de l'argent à un client. A contrario, le magistrat est déconnecté des soucis financiers et peut se consacrer tout entier à l'activité de la justice ». Et Jean-Olivier Viout ne boude pas son plaisir. Chacune de ses missions l'excite. Voire l'exalte. « Il se passionne même pour de quelconques dossiers, surtout il parvient à passionner les autres en affichant toujours la même conviction », remarque Christian Lothion, ex- directeur du SRPJ de Lyon.

« Une bête d'audience »

Incapable de s'autoriser à prendre davantage de plaisir dans un domaine particulier, puisqu'il entend s'employer au service tout entier de la nation, c'est toutefois dans une cour d'Assises que Jean- Olivier Viout se révèle véritablement. « Il ferme les portes une à une. En 25 ans de chronique judiciaire, c'est le meilleur avocat général que j'ai entendu dans un tel lieu », avoue Gérard Schmitt, ancien chroniqueur judiciaire de Lyon Figaro. « Il est remarquable. Il n'est pas tonitruant, ne requiert pas en frappant l'accusé de grands coups de hache. Il essaye au contraire d'entrer dans la tête du type qui lui fait face et fait ses réquisitions à hauteur d'homme en étant totalement dépourvu d'arrogance », renchérit Gilles Debernardi, chroniqueur judiciaire au Dauphiné Libéré. Celui qui a occupé le siège de l'accusation publique dans l'affaire du docteur Roman ou de l'Eglise de scientologie parle, lui, de « magie » pour décrire l'atmosphère des Assises. L'arène le transcende. Ses gestes sont immuables et lorsque, drapé dans sa robe rouge, il se lève, s'incline légèrement en avant, ses mains serrées derrière son dos, et cherche le regard de l'accusé, il devient un autre homme, lui qui passe aux yeux de ses connaissances pour presque timide.
« Une bête d'audience », qualifie Gérard Schmitt. Frédéric Doyez, qui lui fait face à l'occasion de nombreux procès d'Assises depuis près de 20 ans ne tarit pas d'éloges, mais aux superlatifs on préférera les anecdotes. L'avocat lyonnais se rappelle ainsi d'un procès où il s'agissait de juger un jeune homme qui avait tué son amie. « Les débats étaient lourds. Le père de la victime s'est exprimé pendant dix bonnes minutes avant le réquisitoire. La haine, la rage et la vengeance étaient ses seuls moteurs, mais une fois que Jean-Olivier Viout a eu requis, les larmes sont arrivées. Il était parvenu à libérer les âmes ». Autre procès, autre souvenir: « Cette fois j'assurais la défense d'un homme qui avait fabriqué une bombe pour faire peur à son épouse et l'obliger à se soumettre. Je suis arrivé à l'audience en ayant préparé ma plaidoirie suivant une logique que Jean-Olivier Viout a totalement mise à mal durant son réquisitoire. Cette logique qui était une construction faite pour la défense, il s'en était emparé pour porter l'accusation. J'ai dû demander, pour la seule fois de ma carrière, une suspension d'audience plus longue qu'à l'ordinaire pour reconstruire ma plaidoirie », se remémore l'avocat. Pas rancunier pour autant. « Nous le redoutons, mais lorsque nous sommes face à lui, il nous rend meilleurs », sourit-il. Loin de le craindre, les enquêteurs le considèrent au contraire comme l'un de leurs meilleurs alliés. « Un tel avocat général en Assises, c'est l'assurance, pour le policier, d'être soutenu. A condition d'avoir bien fait son travail d'enquête, car il est d'une rigueur implacable », témoigne Claude Catto, directeur du SRPJ de Lyon.

Répressif

Une rigueur essentielle aux yeux de Jean-Olivier Viout. « On s'adresse aux juges pour rétablir l'équité. Dès lors, en matière pénale, si une infraction est commise, mon souci est de répondre à trois questions: cette infraction donne-t-elle lieu au juste dédommagement pour la victime? La sanction que je demande est-elle suffisamment dissuasive, et assure-t-elle à la société qu'il n'y aura pas récidive? Si je réponds à ces trois paramètres, alors oui je donne une réponse satisfaisante », définit-il. Vilipendant l'improvisation, le procureur général estime que la force du magistrat du parquet doit se loger dans une maîtrise parfaite des dossiers et dans cette capacité à comprendre l'accusé et à percer le cheminement qui l'a conduit vers le crime. « Mais comprendre ne veut pas dire excuser », précise Jean-Olivier Viout. Dès lors, toutes les pièces d'un dossier sont disséquées, analysées, pesées, confrontées avant que ne gronde l'accusation. « Il connaît ses dossiers sur le bout des doigts. Aussi, est-il capable dans un réquisitoire de faire le point sur ce qu'est l'intérêt de la société, de justifier la sanction requise et, au final, il parvient presque à nous convaincre que ce qu'il a requis est la juste peine », constate Frédéric Doyez. Réfutant le qualificatif de « sévère » concernant ses réquisitoires, le procureur général de Lyon préfère se définir comme « équitable » et avoue ressentir une certaine satisfaction lorsque des correspondances s'établissent avec des gens qu'il a fait condamner à de lourdes peines. « La preuve que l'on n'est pas haï parce que l'on est répressif», se félicite le magistrat. Enquêteurs et avocats qui côtoient eux aussi les criminels estiment que si le procureur général parvient à établir une correspondance suivie avec certains condamnés, c'est aussi et surtout parce que ces derniers ont le sentiment d'avoir été reconnus par ce magistrat qui les regarde, les interpelle, leur donne l'impression de ne pas être réduit à un dossier, mais d'exister en tant qu'être humain durant son réquisitoire, même s'il leur a fait lourdement payer leur faute. Bref, l'homme dans toute sa simplicité et son humanité parvient à prendre le pas sur le représentant du ministère public.

Cancanage

« Il est rare de voir un procureur général aussi facilement accessible et aussi direct », reconnaît d'ailleurs Christian Lothion. « C'est un travailleur énorme, un homme qui veut tout faire, tout voir et pourtant, il est toujours disponible et très facilement accessible », renchérit Michel Bruyas, commissaire aux comptes, expert honoraire près la cour d'Appel de Lyon et agréé par la cour de Cassation. Au terme d'une période des plus houleuses, liée à la réforme de la carte judiciaire entraînant la fermeture du TGI de Montbrison, André Merle, procureur de la sous-préfecture ligérienne, qui s'est vu durant ces débats comme « un petit capitaine dans la tranchée », loue également la disponibilité, l'écoute et la simplicité de son procureur général. « Il n'est ni formaliste, ni guindé, et durant ces journées de conflit, ce qu'il souhaitait c'était avoir l'information, quel que soit le moyen. Mais surtout j'avais le sentiment d'une grande écoute et d'une prise en compte de ce que je lui disais », analyse-t-il. Peu soucieux des usages souvent compassés de la haute magistrature, Jean-Olivier Viout déambule volontiers dans les couloirs du palais de justice guidant un groupe de collégiens ou de lycéens. L'exercice fait sourire certains. Lui est convaincu « qu'un jeune qui termine ses études secondaires devrait avoir vu un magistrat au moins une fois », alors il montre une fois de plus l'exemple. La simplicité transparaît également dans les loisirs du procureur général. Pas de mondanités, peu d'inaugurations, jamais de rendez-vous «people ». « Le badinage, le cancanage, la futilité, je déteste et je n'ai pas le temps. Se pavaner ne sert à rien ; en revanche, s'il faut que la justice, soit représentée quelque part j'y suis », gronde-t-il. Lorsqu'un soupçon de temps libre traverse son agenda, il est immédiatement mis à profit pour la lecture ou l'écriture. Et les sujets sont souvent les mêmes: l'histoire et la Savoie. L'artisan du maintien de la justice lyonnaise au sein du Palais des 24 colonnes, a d'ailleurs écrit plusieurs ouvrages sur ces thèmes. « J'aime l'histoire au sens de la leçon d'histoire. Je ne suis pas passéiste, mais je sais que tout a un sens dans l'histoire et qu'il faut se battre pour garder ce sens, comme nous l'avons fait ici pour que la justice continue d'être rendue dans ce palais, signe de permanence de la justice et de la démocratie », défend-il. Ancien vice-président de la société des amis du vieux Chambéry, ancien administrateur du parc de la Vanoise, Jean-Olivier Viout a dû, faute de temps, se résoudre à abandonner ses responsabilités savoyardes. Sauf une. Il reste président du comité de valorisation du château des Ducs de Savoie, annonce-t-il fièrement. De quoi concilier ses deux passions qui ont sans doute pesé dans son destin de magistrat. « Malgré ses mutations, il est resté attaché à sa région. Peut-être même que cet attachement l'a empêché de faire une carrière plus brillante, à la cour de Cassation par exemple », pense Gilles Debernardi. Pour raconter sa carrière, Jean- Olivier Viout évoque la chance d'avoir été choisi par ses pairs. Et à commenter ce qu'il aurait pu être, il préfère dire le plaisir pris à présider ou à participer à de multiples commissions nationales dépassant les clivages. « J'ai servi plus d'une douzaine de ministres et j'ai été nommé par toutes les couleurs politiques », fait-il remarquer. « C'est une référence au niveau national », assure Gérard Schmitt. Estimant être « là pour appliquer la loi, pas pour servir un gouvernement », Jean-Olivier Viout place sa fonction bien au- dessus des clivages politiques et ne nourrit qu'une seule revendication vis-à-vis du pouvoir. « Je réclame que si un jour, comme sous Vichy, venaient à être édictées des lois qui me posent un problème de conscience, je puisse faire valoir une clause de conscience». Seuls les cas extrêmes peuvent donc briser le sens du consensus et du devoir du serviteur de l'Etat.

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