Qu'est-ce que le concept d'amnésie environnementale ?

"Nos modes de vie, principalement urbains, entraînent des pertes de référentiels et ne nous renvoient plus de là où nous sommes issus. Nous avons désormais un rapport indirect à la nature. Nous avons besoin de prendre rendez-vous avec elle, de façon réfléchie et organisée, alors qu'avant, nous avions un rapport direct avec la nature : on traversait les champs pour aller à l'école par exemple. Ce phénomène crée une amnésie environnementale : nous n'avons plus cette capacité à créer un lien avec la nature, nous n'avons plus accès à la mémoire ce qui entraîne un fort niveau de dégradation et explique que nous ne sommes pas dans des approches catastrophiques sur ces questions."

Pourquoi ces expériences indirectes ne sont pas suffisantes ?

"Notre conscience du vivant n'est pas la même. Ces expériences indirectes sont socialisées. Et même si les villes réintègrent des îlots verts, cela ne produit pas les mêmes effets qu'auparavant. Notre place dans le monde nous renvoyait d'abord à notre place dans la nature alors qu'aujourd'hui, cela renvoie à notre place dans la ville. 
C'est comme les variantes virtuelles : on assiste à un boom de la nature dans les jeux vidéo. Cela active la dopamine et non pas la sérotonine. Cette nature-là renvoie vers un rapport addictif à la nature et non pas à la plénitude à la pacification intérieure que procure le lien à la nature."

Comment y remédier ?

"Par l'éducation à la citoyenneté environnementale. Dans nos pays, il y a un consensus sur l'idée de prendre soin de la biodiversité. Mais dans les faits, ce n'est pas évident pour la population de le mettre en œuvre, pour des questions économiques et/ou de confort personnel. Il y a néanmoins une conscientisation plus forte des nouvelles générations, c'est bien une question d'éducation, scolaire notamment, c'est une bonne période pour la conscientisation grâce à la mise en œuvre de grands projets collectifs liés à la nature."

Comment la préservation de la biodiversité joue un rôle dans la formation du citoyen ?

"C'est une composante essentielle de la citoyenneté. Demain, face à des générations sensibles à la question, on ne mettra pas en œuvre les mêmes types de politiques publiques. Elles ont intégré ce paramètre alors que les générations précédentes le vivent plus comme un facteur exogène, une contrainte. Pour transformer le monde, il n'y a que deux types de comportement : le rejet ou l'appropriation par l'éducation. Pour obtenir cette adhésion psychologique, il faut du temps. C'est un peu comme lorsque surgit le sentiment amoureux : il faut l'alimenter pour le faire durer et le transformer en véritable amour. Transformer les comportements reste possible à condition de refonder l'éducation, les média et les actions au sein des entreprises. Tout le monde doit jouer le jeu."

Quels sont les enjeux, in fine ?

"Il est ici question de justice environnementale. Il faut que les élus se saisissent de la question de la biodiversité sans que les électeurs pensent que c'est contre l'humain, au sens humaniste du terme et étudier comment elle participe directement à la protection du contrat social, et non pas à sa défection. Mais la communauté de destin n'est pas un seul récit, ce n'est pas souhaitable : les régimes communs uniques ont amené au totalitarisme. Néanmoins, nous sommes tous des Terriens, c'est le seul agenda de base un peu universel commun. Nous n'avons pas encore développé cette universalité terrienne : et pourtant, la nature est notre lien au vivant, identique, invariant et qui nous rassemble."