Jean-Robert Pitte :  "La gastronomie n'est pas un luxe"

Comment et jusqu'où la gastronomie, à l'image de la géographie, façonne le monde ? Est-ce un art réservé à une élite ou doit-elle être accessible à tous ? Manger certains aliments est-il vraiment incompatible avec la protection de l'environnement ? Autant de thématiques abordées par Jean-Robert Pitte, spécialiste du paysage et de la gastronomie, père du classement du repas gastronomique français à l'Unesco, lors de la dernière conférence Seb Talks organisé en partenariat avec Acteurs de l'économie-La Tribune. Morceaux choisis.
(Crédits : Laurent Cerino/ADE)

Quelle définition de la gastronomie ?

Contrairement à l'imaginaire collectif, la gastronomie n'est pas un luxe. C'est une valeur culturelle. À l'origine, le mot, né dans l'Antiquité, est réapparu sous la plume du poète Joseph De Berchoux qui a consacré près de 100 pages à l'art de bien manger. Mais celui qui a vraiment mis la gastronomie au goût du jour, c'est Brillat-Savarin.

Ce magistrat célibataire de l'Ain, cousin de Juliette Récamier, recevait beaucoup d'amis qu'il traitait bien, n'hésitant pas à mettre la main à la pâte, à conjuguer les mets et les vins. À la fin de sa vie, sous la pression de ses amis, il écrivit son œuvre immortelle, La Physiologie du Goût. Il y décrit le plaisir de bien manger.

Il n'est pas question que du luxe, mais souligne l'importance de ce que l'on a dans son assiette et son verre, de le partager, d'en parler et du plaisir que cela procure. Y compris si c'est un simple œuf à la coque. A condition qu'il provienne d'une vraie poule, qu'il soit bien cuit et que le pain et le beurre qu'il l'accompagne soient bons.

Il n'y a que les Français qui sont capables de discuter pendant un repas de ce qu'ils sont en train de manger. Dans les pays anglo-saxons, c'est même très mal poli. C'est le sens du repas gastronomique français que l'on a fait classer : ce n'est pas le luxe, c'est le rituel, le repas de fête, celui du dimanche, que l'on cuisine soi-même tout en transmettant son savoir-faire, après avoir soigneusement choisi ses produits, fait le marché. Puis on le sert et le partage. Paul Bocuse, qui vient de nous quitter, l'avait très bien compris : il a édité, dès 1976, La Cuisine du Marché, un livre de recettes facilement réalisables.

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(Photo : Laurent Cérino/ADE)

L'avènement de la technique dans la cuisine est-il coupable ?

Je suis un inconditionnel de la technique quand elle se met au service du bon, du beau... Le jour où j'ai envie de manger des frites, je les cuisine telle que cela doit se faire : avec du gras, de l'huile, dans une friteuse. Si cette dernière est capable de mettre moins d'huile, pourquoi pas... Par contre, certains industriels de l'agro-alimentaire font un mauvais usage de la haute technologie produisant ainsi une nourriture ultra-normée.

A titre d'exemple, le gaspacho industriel a toujours le même goût. On risque de s'ennuyer quand les choses sont uniformes alors que la mondialisation est positive du moment que l'on sait partager et tirer parti de sa culture.

Sommes-nous condamnés à mal manger ?

On est responsable de la malbouffe. Elle ne nous est pas imposée, on l'a accepté. On a été trop faible, trop paresseux face à ces produits. Dans les entreprises, le client est roi. Et les clients ont acheté. Les industriels auraient arrêté dans le cas contraire.

Il ne faut pas croire que la qualité est réservée à l'élite. Il y a des produits à des tarifs très honnêtes avec de bonnes qualités gustatives. D'ailleurs, les marchés pleins vent résistent et le faire soi-même avance. Il faut résister à la tentation, aller vers le bon, la gastronomie, qui je le rappelle, ne veut pas dire luxe. 

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(Photo : Laurent Cérino/ADE)

Notre tendance à trop manger, et notamment de la viande, appauvrit-elle les terres ?

On n'est pas végétarien, végan ou ermite avec l'ambition de sauver la planète. On l'est par choix. Et c'est un choix qui se respecte. Chacun à ses raisons, mais je n'accorde pas de crédits à celles en lien avec l'environnement. Il n'y pas d'arguments scientifiques valables pour évaluer l'impact des flatulence des vaches sur l'aggravation de la couche de gaz à effet de serre.

En Argentine, où il y a des gros mangeurs de viande, on ne détruit rien ; les animaux sont élevés en semi-liberté, avec une pression raisonnable sur l'environnement. Au regard de l'histoire, les grands défrichements des terres ont contribué à la pacification du pays et donné naissance à un Etat dont nous sommes les héritiers.

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