Forum Une époque formidable : Y a d’la joie !

La joie pouvait se lire le 14 novembre sur les lèvres et dans les yeux des spectateurs de l’édition 2017 du forum Une époque formidable. L’impressionnante mobilisation – 4 000 inscrits, et un Théâtre des Célestins comble toute la journée – était annonciatrice d’une demande citoyenne ; les débats engagés, puissants et éclairants, tournés vers l’enjeu de Progrès la sustentaient et mettaient en lumière plus essentiel encore : l’action citoyenne est une réalité qui ne s’est pas essoufflée en ces mois post-élections. Bien au contraire. Extraits.

Mai 2017. L'élection d'Emmanuel Macron, élu sur la base du principe, "ni gauche ni droite", a définitivement dynamité l'ordre bipolaire qui rythmait la vie politique française sous la Ve République. Malgré les apparences, cette explosion couvait depuis plusieurs décennies.

"Les familles politiques étaient parcourues de divergences et de conflits et beaucoup plus désunies que l'on pense... On comptait au moins quatre droites, trois centres, trois gauches, rappelle le politologue Pascal Perrineau. Depuis les années 1980, une majorité de Français pense que les notions de droite et de gauche n'ont pas de sens pour comprendre les grands enjeux. Un taux monté à près de 75 % en janvier 2017. Il suffisait de l'entendre pour comprendre ce qui allait se passer."

Il semblerait que seul Emmanuel Macron ait tendu l'oreille et su tirer profit de cet énorme espace au centre qui se dégageait.

"Il a aspiré les différences autour de lui et les a mises en commun au service de la France. Une bonne façon de casser le système pour mieux rassembler", estime Jean-Paul Delevoye, ancien ministre de la Fonction publique, ancien président du CESE, et soutien de la première heure de l'actuel président.

Une époque formidable

Pascal Perrineau, Bernard Jacquand et Jean-Paul Delevoye (photo : LC/ ADE)

Cette victoire est donc l'aboutissement d'un long processus et cristallise désormais les nouvelles attentes de l'homme-citoyen.

"Cette élection n'est ni un rejet manifeste ni une adhésion, mais plutôt le reflet d'une société devenue coopérative qui a entamé sa révolution collaborative et numérique. Cela veut dire que la société est désorganisée : d'un côté avec ceux qui sont dans de grandes métropoles, saisis par le mouvement, et ceux dans la périphérie, éloignées de cet espace", poursuit Jean Viard, sociologue et éditeur.
"Le peuple se pose résolument la question du collectif. Une partie est prête à adhérer au nouveau projet, l'autre, celle des territoires périphériques, n'est pas convaincue. Emmanuel Macron doit s'adresser également à l'autre France, car nous ne pouvons pas la laisser rentrer en dissidence", confirme Pascal Perrineau.

"Nous ne devons pas délaisser le local. La démocratie est un territoire qui se joue à différents niveaux", poursuit Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste.

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Cynthia Fleury et Jean Viard (photo : Laurent Cerino / ADE)

Comment innover en politique ?

Renouveler les modes de scrutin, en introduisant de nouveaux outils comme le scrutin mixte (scrutin majoritaire avec un correctif proportionnel permettant aux minorités d'être représentées), inventer de nouveaux modes de gouvernance, réconcilier l'état de droit et l'état social... les pistes évoquées par les intervenants lors de la seconde édition du forum "Une époque formidable", organisé le 14 novembre par Acteurs de l'économie-La Tribune, en partenariat avec Decitre et la métropole de Lyon, sont nombreuses. Mais pour cela, donner les moyens de réfléchir aux citoyens est essentiel.

"Il faut leur offrir les moyens d'être libres de penser. La vraie bataille de demain se joue sur cet espace, le temps gagné par les nouvelles technologies est utilisé pour s'occuper avec de l'information bazardée", martèle Jean-Paul Delevoye.

Une part de responsabilité qui incombe aux médias, qui, sous la pression financière, ont souvent laissé les commandes de l'information à d'autres qui la maîtrisent.

"Nos médias, hétéroclites, délivrent une information de plus en plus schématique", analyse la journaliste Pascale Clark, co-fondatrice de Boxsons, nouveau média audio.

"Ce qui me préoccupe, c'est la montée du dérisoire et de l'indifférence. Nos médias ont cassé la hiérarchie et l'importance des faits", complète Éric Fottorino, journaliste et co-fondateur de l'hebdomadaire Le 1.

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Les journalistes Eric Fottorino et Pascale Clark (photo : Laurent Cerino / ADE)

Chacun imagine alors ses propres pistes d'actions : contextualiser, redonner de l'intérêt à l'information, apprendre de l'autre, s'instruire, s'appuyer sur le passé, les écrivains, les poètes, s'ouvrir à la diversité, retourner sur le terrain, organiser des conférences, etc. En résumé : donner à réfléchir.

"Notre combat reste de faire progresser nos lecteurs vers une citoyenneté responsable", résume Denis Lafay, directeur de la publication d'Acteurs de l'économie - La Tribune.

Innover sans crainte

Pourtant, le chemin vers une autre société semble encore long.

"Il faut innover au rythme du temps, ni trop vite ni trop lentement. D'autant que nous sommes plus prompts à juger nos actions que nos inactions. Le risque est annulé par le fait que l'on ne fasse rien... même si l'on crée des risques futurs", tempère Étienne Klein, physicien et philosophe des sciences.

Mais comment reprocher à la société française d'imaginer le pire tout en l'exhortant à innover, quand elle est plombée par la défiance, le pessimisme, le manque d'enthousiasme, les dérèglements climatiques, la biodiversité en danger, la guerre en Syrie, l'emprise des robots, les inégalités toujours plus croissantes ou la faim dans le monde ?

"Nous sommes encore dans une tradition humaniste française anti-progrès et technique. Alors que les évolutions sont déjà là. Nous avons tendance à penser que la nouveauté va nous prendre quelque chose alors que les machines font juste des tâches plus vite que nous", rappelle Pascal Picq, paléoanthropologue.

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Pascal Picq et Laurent Alexandre (photo : Laurent Cerino / ADE)

Cependant, l'idée n'est pas de se laisser dominer par la technologie, mais bien de s'en servir autrement.

"Le cerveau est un muscle qu'il ne faut pas abandonner sous prétexte que la machine peut faire mieux et plus vite que nous", avance le docteur Laurent Alexandre. Tous ces bouleversements obligent alors à se remettre en cause.

Tous ces bouleversements obligent à se remettre en cause.

"Aucune espèce vivante ne s'est jamais adaptée sans changer", rappelle Gilles Bœuf, biologiste.
"Plus on a de succès, plus on modifie notre environnement, plus on doit s'adapter aux conséquences de notre succès. Nous devons créer une nouvelle société, l'évolution est toujours un compromis. Mais le confort est la pire menace de l'avenir de notre société", poursuit Pascal Picq.

Comment changer ?

D'abord, il faut réunir les conditions du changement.

"Le futur doit être attractif. Il suppose d'avoir une certaine idée de l'avenir. S'il met la société en crise, c'est parce qu'on lui demande d'imaginer un futur différent du présent, en comparant ce qu'elle est par rapport à ce qu'elle devrait être. Or, on ne croit plus dans le futur, on croit dans la catastrophe, avance Étienne Klein. Il faut agir d'une façon qui donne sens à nos actions et réhabiliter le courage."

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Etienne Klein (photo : Laurent Cerino / ADE)

Le pessimisme peut aussi se refuser.

"Je crois dans la jeunesse, dans la force des femmes, dans l'idée que l'on doit puiser ses inspirations dans le vivant, tuer l'économie qui fait du profit en tuant la nature", avance Gilles Bœuf.

Sans oublier, encore, le combat politique.

"Toute ma vie, j'ai pratiqué l'intégration subversive, c'est-à-dire que j'ai utilisé les institutions pour servir nos buts", se souvient le sociologue suisse Jean Ziegler.

Ce grand défenseur des barbaries, qui a lutté contre les banques suisse, n'a cessé de s'insurger contre l'injustice du monde, les privilèges et les dominations. Avec comme volonté, farouche, d'instaurer un monde tout simplement humain. Peut-être la vrai clé du changement.

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Jean Ziegler (photo : Laurent Cerino / ADE)

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