Gilles Boeuf : "Nous n'avons pas créé la Covid-19, mais ses conditions d'apparition"

[Les Grands Entretiens 2/5] Les 12 et 13 octobre prochains, La Tribune organise le Forum Une Epoque Formidable, à Lyon. Gilles Bœuf, biologiste et ancien président du Muséum d’histoire naturelle, revient sur les mutations qui ont permis au virus de la Covid-19 de se développer et de franchir la barrière de l'animal à l'homme, tout en expliquant les enjeux démographiques qui se présentent dans un tel contexte de pandémie.
Pour le biologiste Gilles Boeuf, la Covid-19 constitue une alerte terrible, mais également un signe que nous devrions profondément changer notre mode de vie.
Pour le biologiste Gilles Boeuf, la Covid-19 constitue "une alerte terrible", mais également un signe que nous devrions profondément changer notre mode de vie. (Crédits : DR)

Vous vous préparez à participer au débat "Démographie : la planète en péril ?", aux côtés d'Hervé Le Bras et Alice Baillat, le 12 octobre prochain à l'occasion du Forum Une Epoque Formidable, organisé par La Tribune. Muni de votre éclairage de biologiste, pourriez-vous nous expliquer à quels risques s'expose l'humanité si la population augmente encore ?

"C'est très simple, il faut relire Claude Lévi-Strauss qui disait, en 2008, que si l'humain n'est pas capable de contrôler l'augmentation de sa population, nous n'auront plus l'eau, l'air et l'espace pour vivre dans des conditions de bonheur. C'est tellement évident : vous élevez des rats et vous les laisser se reproduire, à un moment, ils vont se manger entre eux parce qu'ils n'auront plus d'espace vital pour s'alimenter ou se déstresser.

En plus, dans l'espèce humaine, il y a d'énormes drames sociaux. Il s'agit donc d'une question d'espace vital et de relation harmonieuse entre les individus. [...] En 1945, nous étions environ deux milliards, et nous arrivons à huit milliards aujourd'hui. En soixante-dix ans, nous avons multiplié par quatre la population humaine, et c'est vraiment préoccupant."

Dans une interview donnée l'un de nos confrères en mars dernier, vous affirmiez que la démondialisation était la seule réponse aux problèmes sanitaires et sociaux actuels. Pouvez-vous développer cette idée ?

"Il faut réduire le nombre d'avions et de vols. En février 2020, il y avait 100.000 vols par jour. Aujourd'hui, la filière aéronautique se demande quand va-t-on revenir à ce chiffre. Mais il ne faut surtout pas ! La mondialisation a permis des choses fantastiques, dans le rapprochement des cultures, oui, mais nous avons perdu la mesure. Comment le coronavirus est-il entré chez nous ? Le virus n'a qu'une obsession, c'est de se nourrir. Il faut donc qu'il trouve une cellule qui l'accueille.

Il s'est passé quelque chose, en Chine pendant l'été 2019, qui a fait qu'un virus de chauve souris, qui n'était absolument pas dangereux pour l'humain, a muté à cause la promiscuité avec un autre animal sur un marché. Ça n'aurait pas dû se passer, mais ça s'est passé. En revanche, ça aurait dû rester là-bas.

Qu'est-ce qui a matérialisé ou rendu possible cette propagation, selon vous ?

"Dès le lendemain, il y avait des vols de Wuhan pour aller à Milan, et nous avons vu le drame de la Lombardie. [...] Nous avons trop de vols. Il n'est pas question d'arrêter complètement, mais nous avons je le répète perdu la mesure. Dans la nature, les espèces sauvages se régulent alors que dans nos villes, coupées du monde vivant et sauvage, il n'y a pas de régulation. L'élevage intensif n'est plus possible non plus ! Ces maladies sont apportées par des promiscuités entre des animaux sauvages, des animaux domestiques élevés dans des conditions ignobles, et les humains.

L'une des questions réside également dans la place des femmes. Je pense que nous devons permettre à toutes les petites filles d'aller à l'école. Cela ne changera tout, mais plus une petite fille est éduquée, moins elle fait d'enfants. Il faut également et surtout que les femmes puissent prendre le pouvoir, à égalité avec les hommes. Les neufs pays qui ont eu le moins de problèmes avec le coronavirus sont tous dirigés par des femmes !"

Certaines théories affirment cependant que les pandémies pourraient servir à réguler la population ?

"Bien sûr. Les deux seules fois où l'humanité régressé, d'un point de vue démographique, c'était d'abord en raison des pestes au Moyen-Âge et de la grippe espagnole. Il s'agissait d'un virus H1N1 qui est passé du canard à l'humain. Il a tué entre cinquante et cent millions d'humains, à une époque où ils n'étaient qu'un milliard. Aujourd'hui, nous en sommes loin. Nous avons dépassé -il y a quelques jours- le million de morts, tous pays confondus.

Par contre, si nous ne faisons rien, peut être que nous allons subir une autre pandémie, qui tuera les jeunes, cette fois-ci. Il faut reprendre les données sur la mondialisation et comment on la met en activité. De façon cynique, on peut dire qu'une grosse pandémie pourrait réguler la population, beaucoup plus qu'une guerre."

En septembre, avec 35 chercheurs, universitaires et médecins, vous avez cosigné une tribune parue dans Le Parisien intitulée : "Covid-19: nous ne voulons plus être gouvernés par la peur". Pourquoi ?

"En France, il y a eu autant de gens qui sont morts de peur et d'abandon, que de la Covid-19. Ce sont des gens qui n'ont pas été traités pour leurs maladies, car tout était mobilisé pour cette pandémie. Arrêtons de faire peur aux gens, de les infantiliser. Mettons des masques là où il en faut, contrôlons les clusters.

Cette maladie est une alerte terrible. Elle est assez méchante pour nous faire peur, mais pas trop. Ça veut dire que nous devrions profondément changer. Si nous ne changeons pas, nous nous risquons à voir apparaître une autre épidémie.

Dans La Tribune, en mai, je disais que l'ennemi, ce n'est pas le virus, c'est nous-mêmes ! Nous n'avons pas créé le virus, mais nous avons créé ses conditions d'apparition et nous avons très mal géré. Je ne dénigre pas le système, sauf sur la peur.

Par contre, je me suis vraiment fâché lorsqu'on nous a dit qu'on ne pensait pas que cela puisse arriver. Cela fait tout de même vingt ans que l'on écrit que cela est devenu  possible, car l'humanité fait trop de bêtises".

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Commentaires 3
à écrit le 07/10/2020 à 16:28
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A mon avis, ça va pas faire plaisir à tout le monde de dire que nous sommes trop nombreux sur la planète. C'est pourtant la réalité. Le Trump d'un ancien temps a dit : "Croissez, multipliez et remplissez la Terre". C'est fait, et c'est bien du Trum...

à écrit le 07/10/2020 à 13:20
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Nous on le sait très bien, dans des conditions raisonnables de culture agricole non industrielle, notre indépendance alimentaire correspond à 45 millions d'habitants, or depuis 70 ans on a volontairement provoqué une immigration moyenne de 200000 hab...

à écrit le 07/10/2020 à 9:40
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La Chine avec son milliard d'habitants est un parfait sujet d'étude en ce qui concerne la disparité infinie qu'il existe entre les individus même au sein d'un même pays allant du vestige de l'homme préhistorique au chercheur en physique quantique. ...

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