Quand l'éthique interroge l'accès aux innovations thérapeutiques par Jean-François Delfraissy

Le coût élevé des nouveaux médicaments fragilise l'équilibre et l'éthique du système de santé alerte le professeur Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national éthique. Il participera le 7 octobre prochain au Forum Une époque Formidable organisé par La Tribune au Théâtre des célestins. En amont de son intervention, nous vous proposons de commenter cette tribune. Certaines de ces remarques et interrogations seront reprises lors du débat : "Vers un progrès à deux vitesses ?".
(Crédits : Emmanuel Doumic)

Des innovations thérapeutiques récentes (médicaments, dispositifs innovants, tests diagnostiques...) ont révolutionné le profil évolutif de certaines maladies. Par exemple, le développement de nouveaux traitements innovants, dans le domaine de l'oncologie et la mise sur le marché de nouvelles molécules prometteuses à des prix exorbitants (de l'ordre de plusieurs centaines de milliers d'euros/an/patient), interrogent sur la véritable capacité économique de notre système de santé à absorber de telles innovations thérapeutiques sans déroger aux principes d'équité et de solidarité qui le sous-tendent.

En effet, dans le contexte actuel d'un budget de santé contraint, et au regard du nombre croissant et important de patients susceptibles de pouvoir bénéficier de ces innovations, il ne sera plus envisageable à court-terme pour l'Assurance maladie - sans diminution importante des coûts actuellement proposés par l'industrie pharmaceutique - de les financer afin qu'ils puissent être dispensés à l'ensemble des patients qui le nécessiteraient.

Le coût élevé de ces médicaments innovants, conséquence de l'adoption par les Big Pharma d'une logique de libéralisme économique poussée à l'extrême (maximisation des bénéfices, comparables à ceux réalisés dans l'industrie du luxe), est en train de faire vaciller notre système de solidarité nationale.

Cette situation nous amène à nous poser les questions suivantes : un médicament innovant est-il un "produit comme les autres", ou appartient-il au bien public mondial ? Au-delà du risque de rationnement, quelles populations de malades faut-il privilégier quand on ne peut pas rembourser les traitements pour tout le monde ? Et selon quels critères ? La question du "coût de renoncement" que représente le financement de l'innovation thérapeutique se pose également : financer toujours l'innovation, revient en partie à sacrifier d'autres postes de dépenses au sein du budget de santé, comme par exemple celles qui sont allouées aux soins palliatifs, à la prise en charge de la grande dépendance, de la vieillesse - pourtant indispensables dans notre société, particulièrement dans un contexte de vieillissement de la population...

A l'inverse, l'industrie pharmaceutique a su innover en changeant son modèle (achat de start-ups par exemple), et les molécules innovantes sont probablement sources d'économie à moyen et long termes pour le système de santé. Ainsi, le milieu médical est potentiellement sur le point de connaître des "progrès à deux vitesses" et/ou à double-tranchant : des innovations thérapeutiques majeures, mais pas pour tout le monde, et aux dépens d'autres secteurs de soins.

Protéger un système tout en le révolutionnant

Ce constat amène à nous poser plusieurs questions : comment peut-on protéger le système solidaire de santé français et le préparer aux révolutions thérapeutiques en cours ? Par ailleurs, qu'est-ce que le progrès ? Un progrès scientifique, médical, est-il toujours concomitamment un progrès sociétal ? Qui a - qui peut prendre - la responsabilité des choix à faire, face aux dilemmes éthiques qui se présenteront à nous sans changement de paradigme pour l'industrie pharmaceutique ni volonté politique décisive de le provoquer ?

Cette question de l'accès aux médicaments innovants est particulièrement cruciale dans les pays à revenus limités. Elle sera au cœur de la réflexion sur la reconstitution du Fond mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui aura lieu à Lyon les 9 et 10 octobre 2019. Sur ces sujets difficiles, des solutions innovantes nous sont apportées par les pays du Sud, en matière de droit des brevets et de financements multilatéraux. En attendant l'Avis, pour début 2020, du groupe de travail sur l'accessibilité aux innovations thérapeutiques du CCNE.

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