Le grand retour des crétins ! par Jean Viard

Par Jean Viard  |   |  588  mots
(Crédits : Laurent Cerino/ADE)
N'assiste-t-on pas à une nouvelle chute des élites avec la même logique qui a plongé l'Europe dans les heures les plus sombres de son histoire ? Les explications du sociologue Jean Viard. Il participera le 7 octobre prochain lors du Forum Une époque Formidable organisé par La Tribune au Théâtre des célestins. En amont de son intervention, nous vous proposons de commenter cette tribune. Certaines de ces remarques et interrogations seront reprises lors du débat : "Elites : vraiment la crise ?".

La guerre de 14/18, puis la crise de 1929, avaient profondément délégitimé les élites des différents pays d'Europe. Car enfin, des élites menant leurs peuples à la guerre, à la mort, puis dans la misère, sont-elles vraiment compétentes ! Et l'on vécut alors, dans presque toute l'Europe, la montée vers le pouvoir de gens peu diplômés, peu éduqués, qui avaient des visions simples et dures de la gestion des sociétés.

Et ce qui était vrai au niveau des leaders l'était aussi au niveau des organisations politiques qui devinrent des forces paramilitaires plus que des intellectuels collectifs. Fascisme et nazisme, vichysme, découlèrent de ce refus des élites, voire parfois de leur extermination. Malheureusement, cela fut vrai aussi de certains mouvements communistes. Ne pensons qu'au massacre des élites polonaises à Katyn...

Le processus ne se répète-t-il pas aujourd'hui - bien sûr suivant d'autres modalités, avec les fake news, les leaders autoproclamés sans formation, les réseaux Facebook fermés, la violence de Twitter, Salvini, Trump, Boris Johnson... N'assiste-t-on pas à une nouvelle chute des élites ? Avec au fond la même logique : essayons les imbéciles puisque les élites ont échoué !

Partout vulgarité, inculture affichée, sexisme gras, rumeurs et fausses nouvelles occupent les médias. Excusez la caricature, mais il ne faut pas se voiler la face. Depuis la Libération, en général, nos sociétés ont été gouvernées par des Résistants, puis des diplômés des grandes écoles et des universités.

Or, à nouveau aujourd'hui, le pouvoir est pris en main par des gens sans diplôme ou ne s'en revendiquant pas. La vérité doit être simple, relative, intime conviction plus que construction. La complexité rejetée. Ce qui d'ailleurs bloque la promotion de la très catholique Marion Maréchal.

La faute à qui ?

Qui a perdu le futur et le peuple ? Qui a su protéger ses propres intérêts face à la révolution numérique, la crise de 2008, l'explosion écologique ? Qui a su diriger ses enfants vers les bonnes écoles, les bonnes filières, acheter au bon moment, profiter des politiques culturelles et expliquer benoitement que certes les emplois ouvriers régressaient, mais que d'autres emplois se créaient - dans les services, le numérique ?

Qui n'a pas compris que ce qui implosait sous nos yeux depuis vingt ans, c'était ces vieilles classes sociales qui donnaient du lien et du projet aux plus démunis, aux plus faibles ? Qui a fait mentir le projet démocratique de promotion des enfants et des quartiers populaires ? Qui a ossifié notre modèle laïque en refusant une place légitime à la deuxième religion du pays ? Qui, au fond, sont les vrais crétins qui nous mènent dans le mur ? Ceux qui ont utilisé les beaux mots de République, d'égalité, de promotion sociale comme des cache-misère, ou les miséreux envoyés en périphérie des villes dans les quartiers dit populaires ou le très vaste périurbain ? Les élites n'ont-elles d'ailleurs jamais su gérer une révolution technologique et scientifique autrement qu'en faisant l'autruche et en attendant, apeurées, entourées de forces de sécurité la haine du peuple ?

Macron, presque seul pour l'instant, tente une contre-attaque avec (trop !) des surdiplômés. Saura-t-il entendre les grondements des peuples ? Comment relégitimer l'intelligence au bord du chaos ? En pensant le bien du peuple sans doute.