L'Intelligence Artificielle n’est pas intelligente

Par Luc Julia  |   |  767  mots
(Crédits : DR)
L'intelligence artificielle ne pense pas. Elle n'existe donc pas estime Luc Julia, senior vice président innovation chez Samsung Electronics et auteur de L’Intelligence Artificielle n’existe pas (First Éditions, 2019). Il interviendra ce mardi 11 juin à Lyon au 2e Artificial Intelligence Summit organisé, par l'Inseec, dont La Tribune est partenaire.

"Cogito, ergo sum" écrivait René Descartes en 16371, "Je pense donc je suis". Tout est dit : ce que nous appelons aujourd'hui l'Intelligence Artificielle ne pense pas, donc l'intelligence artificielle n'existe pas.

En 1956, lorsque John McCarthy et ses collègues ont décidé d'appeler la discipline sur laquelle ils travaillaient "Intelligence Artificielle "2, ils pensaient sincèrement pouvoir imiter les fonctions d'un neurone avec quelques équations mathématiques et qu'en les réunissant, ils pourraient ainsi créer un cerveau artificiel qui reproduirait alors les capacités humaines les plus complexes, en d'autres termes, l'intelligence. Il n'a pas fallu longtemps, moins d'une décennie, pour se rendre compte que cela ne marchait tout simplement pas, et la discipline est entrée dans son tout premier "hiver de l'IA ".

La première erreur a été de penser qu'on pouvait représenter mathématiquement un neurone universel. Nous ne sommes même pas sûrs aujourd'hui de pouvoir décrire toutes les fonctions possibles de ces neurones. La deuxième portait sur le problème auquel on voulait s'attaquer : Comprendre le "langage naturel", ce qui est certainement la chose la plus difficile à faire, car, encore selon Descartes, le langage est le propre de l'homme....

Bien avant ces débuts difficiles et officiels de l'IA, nous construisions déjà des systèmes, des machines ou des robots pour nous aider dans nos tâches ou problèmes quotidiens. On pourrait remonter jusqu'à l'Antiquité, mais prenons la Pascaline, qui est, en somme, la toute première calculatrice, construite par Blaise Pascal en 1642. Même si cette machine trouvait comme par magie les résultats de n'importe quelle addition ou soustraction, sans jamais se tromper (contrairement à nous), on n'a jamais pensé à la qualifier "d'intelligente".

Garder le contrôle

C'est seulement parce que McCarthy a fait l'erreur d'appeler cette discipline "Intelligence Artificielle" que nous avons commencé à croire, bien aidés par Hollywood, que les algorithmes que nous avions créés pouvaient devenir plus intelligents que nous, et peut-être un jour nous remplacer. Mais ce n'est pas le cas. Nous inventons et contrôlons toutes les techniques utilisées depuis 60 ans. Qu'il s'agisse de "Système Experts", de "Machine Learning" ou, plus récemment, de "Deep Learning", ces méthodes utilisent des règles ou des données que nous avons créées ou produites.

Avec l'avènement d'Internet et du « Big Data » qui en résulte, les réseaux de neurones sont revenus à la mode. Mais ne sont que de bêtes machines statistiques qui ont besoin d'une grande quantité de données pour former des modèles qui sont ensuite utilisés pour reconnaître ce qui leur est fourni en entrée. Cette source de données a été une aubaine pour les spécialistes du Machine et du Deep Learning pour tester leurs algorithmes et leurs modèles, et ont permis de faire des progrès et de prouver leurs techniques en reconnaissant toutes sortes de choses.

Nous comprenons ici qu'il y a un danger potentiel que ces réseaux reconnaissent les mauvaises choses si nous les alimentons, délibérément ou non, avec des données biaisées. Nous n'en parlerons ici que pour dire que, comme tous les outils, l'IA peut être utilisée à mauvais escient, mais cette mauvaise utilisation de la technologie incombe, là encore, à certains cerveaux humains.

"La machine reconnaît, l'être humain peut découvrir"

Comme avec la Pascaline, les applications de l'IA d'aujourd'hui sont fantastiques parce qu'elles nous permettent d'effectuer de plus en plus de tâches de manière très efficace et précise, sans nous fatiguer. Mais ces applications sont très spécifiques à un domaine et sont loin de couvrir tout le spectre de notre propre intelligence. Elle ne peut inventer ou créer à partir de quelque chose qu'elle n'a jamais vu auparavant. La machine reconnaît, l'être humain peut découvrir.

Le « Machine Learning » et « Deep Learning » n'en sont qu'à leurs débuts. Les domaines d'application vont s'élargir et nous verrons de nombreux « assistants » fleurir dans les années à venir. Que ce soit en médecine, terrain très fertile avec l'imagerie, mais aussi l'analyse de l'ADN, qui ouvre les portes à de nombreuses analyses combinatoires. Le transport, avec des techniques de perception et de planning de plus en plus fines qui vont amener plus de sécurité et de confort dans nos déplacements quotidiens. Ou encore les objets connectés qui nous faciliteront la vie sans que nous y pensions.

Bref le futur nous réserve bien des surprises que nous, humains, avons encore à découvrir...