Laurent Wauquiez à bout de souffle

Par Denis Lafay  |   |  1323  mots
Crédits : Laurent Cerino/ADE (Crédits : DR)
L'enquête qu'Acteurs de l'économie - La Tribune publie le 28 juin révèle une région Auvergne-Rhône-Alpes à terre depuis que Laurent Wauquiez en a pris les rênes il y a 18 mois. Ses procédés managériaux, organisationnels et sociaux, son exercice de l'autorité et de la gouvernance, son positionnement idéologique sont vitupérés. Et même frappés d'obsolescence à l'aune du bouleversement méthodologique et politique que promet la transformation démocratique initiée par le Président Macron et relayée au sein du gouvernement et de l'Assemblée nationale. A seulement 42 ans, le brillant "possible" futur président des Républicains est-il dépassé ? Disqualifié ?

Au boulot, maintenant. Oui, passées les festivités, le triomphe électoral d'Emmanuel Macron à la présidentielle puis de La République en marche aux législatives à la fois manifeste et soulève une espérance, qui dicte dans les mêmes proportions un impérieux devoir de faire. Non seulement de faire, mais de faire autrement. Et c'est dans la substance de cet adverbe que se concentre celle de l'aggiornamento annoncé, de la transformation promise.

Car c'est bien à la capacité de matérialiser et de prolonger dans les actes législatifs et exécutifs l'intuition qui féconda la naissance d'En marche !, qu'est conditionné le devenir de cette douce révolution. Or, parmi les nombreux facteurs qui prévalurent, deux émergent particulièrement : celui d'une manière singulière, en l'occurrence bienveillante, enthousiaste, innovante, en apparence authentique, de penser un programme politique et une campagne électorale ; celui, surtout, d'une correspondance singulière entre d'une part l'exercice démocratique propre à la constitution et à l'organisation du mouvement - tout du story telling n'est pas "que" image -, d'autre part l'exigence d'une démocratie renouvelée telle qu'une grande partie des votants l'a exprimée et surtout que les mutations sociologiques de la société française la façonnent.

Désacralisation de la fonction politique

A l'égard des nouveaux élus de la démocratie représentative, cette citoyenneté en (r)éveil semble prête à comprendre beaucoup, à accepter beaucoup, à pardonner beaucoup. A condition qu'elle saisisse en eux une volonté sincère et honnête, un engagement de considération et de respect, une probité intellectuelle et morale, une humilité et même une humanité qu'elle pense dissouts depuis des décennies dans l'arrogance, l'impunité, l'inaccessibilité, l'instrumentalisation.

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Emmanuel Macron a repéré, conceptualisé puis victorieusement exploité la pression populaire en faveur de la désacralisation de la fonction politique. L'exigence d'une équité entre citoyens et élus, l'aspiration à une interpénétration de ces deux composantes de la démocratie atteignent un degré inédit ; à ce titre, le profil des candidats LREM à la députation sélectionnés par la commission d'investiture - pilotée par un Jean-Paul Delevoye incarnant les propriétés humaines, morales et intellectuelles réclamées par l'électorat -, mais aussi le casting de l'exécutif gouvernemental - en dépit des vicissitudes de François Bayrou, Marielle de Sarnez, Sylvie Goulard et Richard Ferrand promptement jugulées - et même le style de communication employé favorisent leur exaucement.

Responsabilité considérable

Son histoire politique, philosophique et culturelle, sa réalité géographique, économique et sociale ne confèreront jamais à la France d'épouser les coutumes politiques régulièrement plébiscitées des pays d'Europe du nord, et d'ailleurs rien n'indique que ce modèle de démocratie soit approprié aux particularismes de l'Hexagone ; en revanche, cette démythification de la "chose politique" est irréversiblement... en marche, et commande à son architecte Emmanuel Macron et à ses artisans ministres et parlementaires une responsabilité considérable : celle sinon de réussir, au moins de ne pas échouer.

Car toute perception, dans la conscience citoyenne, que l'espérance aura pu résulter d'une manipulation, d'une duperie ou d'un artifice marketing prophétiserait un chaos démocratique aux inestimables dégâts.

Malaise profond

Besoin de sincérité, de considération, de respect, de probité intellectuelle, de conscience morale, d'humilité, d'humanité... faisant face à la réalité de l'arrogance, de l'impunité, de l'inaccessibilité, de l'instrumentalisation : c'est la mise en perspective de cet écart d'appréciation qui synthétise l'enquête conduite au sein de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et que publie le 28 juin Acteurs de l'économie - La Tribune.

Recueillies à l'extérieur - cénacles décisionnels politiques, économiques, entrepreneuriaux, syndicaux - et à l'intérieur - représentants du personnel, "simples" salariés, élus de tous bords, et même membres de l'exécutif - de la collectivité administrée par Laurent Wauquiez depuis dix-huit mois, les démonstrations d'un malaise profond préfigurateur d'un climat de rupture s'accumulent.

Otage

Certes, l'homme fort du Puy-en-Velay peut revendiquer un indéniable succès : celui d'avoir engagé l'assainissement des finances de l'institution, jusqu'à dépasser sur 2016 et 2017 le seuil cumulé de 150 millions d'euros de réduction des coûts de fonctionnement. Mais à quel prix ? Déficit organisationnel et climat social empoisonné, dialogue social inexistant et méthodes managériales anathématisées, pratiques "clientélistes" et arbitrages budgétaires idéologiques : ce coût est renchéri par le double sentiment que l'institution ne poursuit pas de "vision" et est otage des ambitions politiques nationales de son président. Lesquelles font désormais l'objet d'un rejet viscéral à l'aune du durcissement voire de la "radicalisation" des doctrines qu'il distille dans le sillage de l'implosion puis de la recomposition du parti Les Républicains dont il brigue le leadership.

Contrat

Plus encore que celui de la présidentielle, le scrutin législatif a mis en exergue l'évolution de la relation que citoyens et élus sont exhortés à établir, ou plus exactement que les premiers imposent aux seconds. Et cela vaut aussi dans les collectivités, puisque les aspirations citoyennes et professionnelles se confondent dans la conscience de chaque fonctionnaire ou contractuel travaillant pour l'élu. Cette relation, ensemencée dans une profonde mutation des rapports de force et des contributions au débat public, est celle d'un contrat. Un contrat "équilibré », un contrat qui désagrège le lien séculaire de quasi subordination, de quasi sacralité à l'élu, un contrat qui confère à l'accomplissement de moyens exigeants - en matière d'intégrité comportementale - une importance au moins aussi grande qu'à celui de résultats dont il est acquis qu'il émane d'un contexte multifactoriel de moins en moins contrôlable. Et l'assimilation de ce nouveau paradigme s'annonce d'autant plus naturelle dans le nouvel hémicyclique que ce dernier est composé d'une proportion élevée de parlementaires issus de la société civile et donc éduqués dans cette culture respectueuse et coopérative des "comptes à rendre."

"Citoyen normal"

Ce constat non seulement incarne l'impressionnante "lame de fond" du double scrutin électoral et peut-être même - il est bien trop tôt pour l'affirmer - un moment majeur de l'histoire politique et démocratique française, mais aussi indique que l'exercice de l'autorité autoritariste et infatuée, l'exercice de la hiérarchie verticale et déresponsabilisante, et donc l'exercice traditionnel de la responsabilité politique marginalisent et même disqualifient leurs exécutants.

S'il veut durer et surtout réussir aux commandes du nouvel ensemble régional Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez doit entendre cette métamorphose systémique, il doit entendre la détresse d'un corps social hier enclin à accomplir son projet aujourd'hui meurtri et en colère, il doit entendre son propre exécutif partager le mécontentement, il doit entendre le besoin, désormais irrépressible, d'exemplarité. Laquelle est, d'abord, "de comportement." Plus que tout autre, il manque à Laurent Wauquiez d'avoir connu une trajectoire de "citoyen normal", et notamment oeuvré en entreprise. Il y aurait découvert que de la "qualité" du fonctionnement humain et managérial, et en premier lieu de l'humanité qui l'irrigue, dépend la "possibilité" de faire (faire) beaucoup... ou peu. Entendre tout cela, entendre l'urgence de faire autrement, le peut-il ? Et surtout le veut-il ?

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