Le Pen - Mélenchon : la peste ou le choléra

Par Denis Lafay  |   |  1252  mots
Regarder le spectacle du tribun plutôt que le contenu de son texte expose au péril. Cette judicieuse observation de François Hollande illustre la nécessité, pour les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et notamment une jeunesse volontiers "subjuguée", d'ausculter son programme avant de se prononcer définitivement. Ils peuvent y découvrir quelques précieuses vertus, mais aussi d'incontestables dangers nichés dans la radicalité et la duplicité de sa pensée. Laquelle, en définitive, partage une partie du substrat de Marine Le Pen. Notamment la "haine" d'une cible protéiforme, incompatible avec la responsabilité présidentielle. Or la peste ou le choléra au soir du 23 avril n'est plus une vue de l'esprit.

Tout de ses déclarations au cours de son quinquennat n'aura pas été aussi pertinent, c'est le moins qu'on puisse écrire ; mais lors de son entretien avec Franz-Olivier Giesbert (Le Point), la mise en garde de François Hollande contre "les simplifications et les falsifications, ce péril qui fait que l'on regarde le spectacle du tribun plutôt que le contenu de son texte" aura été judicieuse. Oui, car particulièrement au sein de la jeunesse, la tentation des deux extrêmes est immense. Tout ou presque de leurs motivations pour soutenir qui Marine Le Pen qui Jean-Luc Mélenchon a été décortiqué au fil des reportages écrits, radiophoniques ou télévisés ces derniers mois.

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Et nombre d'entre elles sont communes : punir le "système" et révoquer ses séides - politiques, médiatiques, industriels -, revendiquer une parole muselée par un système démocratique défaillant, "exister" dans des territoires ou des métiers "oubliés" voire méprisés, contester des inégalités - là encore sociales et territoriales - pour partie insupportables, se saisir du droit de penser et de dire librement comme y invite le bouleversement technologique, solutionner l'insécurité multiforme, se sauver du naufrage socialiste...

Fascination

Dès lors, qu'une partie de cette jeunesse entende les thèses du Front national est respectable. En revanche, qu'elle y souscrive est effrayant, comme l'illustre l'impression éprouvée lors des meetings. Mais comment faut-il considérer l'impressionnant mouvement qu'incarne l'autre partie de cette même jeunesse, "subjuguée" par la vista de Jean-Luc Mélenchon ? Qu'au sortir de l'adolescence et notamment lors de son cursus étudiant "on" soit à ce point aussi réceptif à la séduisante plaidoirie du candidat de la France insoumise est non seulement "normal", mais rassurant. "On" croyait, "on" disait la jeunesse volontiers cloitrée dans son individualisme, son matérialisme, son technologisme, son nihilisme, on l'observe insubordonnée, idéaliste, revendicatrice, soucieuse du bien commun, préoccupée par l'avenir environnemental et climatique de la planète, déterminée à aplanir l'éventail des injustices. En cela d'ailleurs, la participation des "petits candidats" au Grand débat du 20 mars aura été utile pour mettre en scène des convictions qui peuvent être idéologiquement insupportables, politiquement et économiquement inapplicables, mais philosophiquement ô combien nécessaires pour témoigner de la réalité éprouvée par une partie des citoyens.

Alléchant

Et objectivement, si l'humus idéologique du Front national, fondé sur la "culture" de la xénophobie, de la stigmatisation, de la haine est effroyable, le substrat idéologique de celui qui annonce "l'ère du peuple" peut être plaisant. Voire alléchant. Au point d'ailleurs que dans la bouche d'irréductibles électeurs de la social-démocratie, du centre, et même de la droite républicaine, n'entend-on pas murmurer une discrète admiration pour sa prouesse rhétorique mais aussi pour la pertinence de "certaines de ses vérités" ? Certes. Mais sous l'écorce, qu'y décèle-t-on ? "Aussi" des incohérences insupportables, une menace économique sans précédent, des positions géopolitiques insoutenables. C'est également cela, la réalité mélenchoniste. Et c'est ce qui accrédite les avertissements du chef de l'Etat.

Géopolitique incompréhensible

Les exemples sont nombreux. Citons-en quelques-uns. Quiconque a connaissance du désastre économique et social, mais aussi du dépérissement des libertés individuelles et collectives - syndicalisme, presse, politique - en vigueur au Venezuela peut-il adhérer à l'indéfectible soutien de Jean-Luc Mélenchon pour leur architecte Hugo Chavez ? En cela, le témoignage - courageux, tant sa base est sensible à la dialectique mélenchoniste - de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT est explicite. A l'évocation de Jean-Luc Mélenchon, il fulmine (France Inter, 13 avril) : comment un supposé chevalier du syndicalisme peut-il glorifier un dirigeant politique qui s'employa à l'étouffer ? Et toujours en matière géostratégique, que dire de son alignement sur la politique étrangère russe de Vladimir Poutine, et que penser de ses absconses voire lâches ambiguïtés à l'égard du régime syrien ? Ces deux situations honorent-elles l' "élan d'humanité" auquel nombre de jeunes associent sa dynamique ?

L'Europe démolie

L'Europe ? Euro défiguré, traités détricotés, souveraineté des Etats revigorée, affranchissement des règles financières communautaires, chasse aveugle au libéralisme européen : ce que propose le député...européen, élu depuis 2009, s'annonce si dévastateur que sa relation intime à l'Europe apparaît suspecte, même irresponsable, même assassine. Aime-t-il seulement l'Europe ? Au contraire du "fédéraliste" Benoit Hamon, la question mérite d'être posée. Or, à l'idéal, à la nécessité d'Europe la jeunesse doit se lier indissolublement si elle veut "se construire" et accomplir ses rêves d'humanité, y compris de manière défensive, c'est-à-dire en faisant barrage aux menaces de dislocation et de conflits identitaires instrumentalisées par les (nombreuses) formations politiques europhobes et ségrégationnistes.

Folie

Quant à l'absolue folie budgétaire censée financer son programme, elle n'est pas "que" suicide ; elle est, là encore, meurtrière, cette fois à l'endroit des générations futures irrémédiablement écrasées par le poids d'une dette sans limite. Environ 100 milliards d'euros d'investissements et 170 milliards d'euros de dépenses publiques composent ledit programme. Qui croit encore que la relance néokeynésienne peut fonctionner ? Surtout lorsque la réalité de l'investissement public s'applique davantage à des dépenses de fonctionnement qu'à transformer la structure même de l'économie, surtout aussi lorsque la pensée qui lui sert de support stigmatise à ce point et aussi grossièrement l'entreprise, l'entrepreneuriat, l'entrepreneur ? S'il est élu, qui osera oser, qui prendra le risque de "réussir" ?

Enthousiasme

Parmi les - indéniables - vertus de la candidature Mélenchon, celle de susciter l'enthousiasme politique, la (re)mobilisation citoyenne de la jeunesse est l'une des plus précieuses. Cette jeunesse en quête d'idéal, consciente que le monde s'annonce en grande disruption, et déterminée à prendre part à des transformations a priori mieux partagées et plus équitables. N'est-ce pas ce que tout parent peut espérer chez ses enfants ? Parmi les nuisances de la candidature Mélenchon, celle d'usurper, de manipuler, de cliver, de prophétiser des chimères. Ce que tout parent veut éviter à ses enfants. Alors, que dire à son enfant au moment de voter ? Suivre un rêve ou anticiper son "irréalisation" ?

Haines égales

Un critère peut aider à faire son choix. Une nation a-t-elle besoin, pour réunir, recomposer, bâtir, de dirigeants dont la remarquable agilité idéologique, l'impressionnante vista intellectuelle, l'incontestable aisance verbale se forgent dans la haine de l'autre ? Cette haine est ce qui, depuis bien longtemps, singularise la conscience Lepéniste. C'est elle aussi que l'on découvre tapisser les parois de la diatribe mélenchoniste - avec pour symbole sa prédiction d'une France qui "crachera le sang" si elle désigne François Fillon, Marine Le Pen ou Emmanuel Macron. Cette haine qui participe à sustenter une même faculté de flatter, de promettre, d'assurer au "peuple qu'il prendra en main son destin" - et qu'on peut baptiser populisme. La haine de l'une n'est finalement guère plus redoutable que celle de l'autre. Et la France n'en a pas besoin. La peste ou le choléra ? Ni l'une ni l'autre.