La Suisse, Silicon Valley européenne ? Pas si vite !

Par François Garçon  |   |  655  mots
Le prochain Google sera-t-il suisse ? Pas encore estime François Garçon, enseignant-chercheur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et auteur de La Suisse, Pays le plus heureux du monde (Tallandier, 2015). Selon lui, le gouvernement reste encore rétif à apporter son soutien aux startups.

Selon le classement annuel de l'IMD World Competitiveness Yearbook (1), aux côtés d'Israël et des Etats-Unis, la Suisse se range parmi les trois écosystèmes les plus innovants sur la planète. La performance helvétique tient à plusieurs facteurs. D'abord, le pragmatisme est ici une valeur largement partagée: les Suisses apprécient et valorisent ce qui fonctionne.

S'appuyant sur une longue tradition d'innovations, la Suisse fait bon accueil à tous les hommes et femmes qui, par leur ouvrage, œuvrent à l'accroissement de la prospérité de tous : 24% de la population installée en Suisse est étrangère. Étrangère et bien intégrée, cette population parvient aux postes les plus hauts. Ainsi, à la tête de Nestlé se sont succédés un Autrichien, un Belge et maintenant un Germano-Américain. Dans les deux pépinières d'ingénieurs que sont les Ecoles polytechniques fédérales de Zurich (21 prix Nobel) et Lausanne, le pourcentage de professeurs étrangers atteint 60%. A titre de comparaison, dans l'enseignement supérieur français, le pourcentage est inférieur à 4 %.

Bottom-up

Autre facteur favorisant l'innovation est la formation scientifique : en Suisse l'ingénieur se vit d'abord en bricoleur, en inventeur. L'enseignement suisse valorise les applications pratiques. Les élites sont issues de parcours qui valorisent la recherche. En apprentissage dès 15 ans ou dans la filière générale, les Suisses étudient non pour accéder à un statut social mais pour l'intérêt qu'ils y trouvent.

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La valeur marchande du diplôme de formation initiale se dissipe rapidement au profit des résultats opérationnels obtenus dans les différents postes occupés. Le fait de n'être pas assigné à vie à tel niveau de responsabilité fluidifie les parcours. Le marché du travail est fluie et la culture bottom-up domine.

Capital-risque

Tel est le cadre qui fait de la Suisse le pays le plus innovant du monde en 2015. Quid des innovations proprement dites ? Sont principalement concernés les secteurs matures que sont la pharmacie, la chimie, la médecine, la mécanique de précision ou encore l'alimentaire. Disponible et bien formée, la main d'œuvre technicienne dispose depuis la fin des années 1990 d'une cinquantaine d'universités de métier, d'Hautes écoles spécialisées qui tapissent tout le territoire.

L'écosystème helvétique est-il pour autant favorable aux startups ? Les perles sont-elles si nombreuses ? En réalité, même si les fonds levés sont en hausses régulières (670 millions de francs en 2015, 120 startups concernées) (2), cela ne fait pas de la Suisse une Silicon Valley alpine. Les milieux financiers réfractaires à toute entreprise ouvrant sur l'inconnu, restent frileux. Conséquemment, la Suisse a finalement peu de capital-risque (3). Les investissements visent les cleantechs, les sciences de la vie et les technologies informatiques. Si l'environnement fiscal est globalement favorable, les startups doivent rester vigilantes.

Licornes

Si leur espérance de vie excède la moyenne internationale (80% survivent à la première année, 50% vont au-delà des cinq ans (4)),  les clusters restent fragiles. En outre, les investisseurs se concentrent sur les secteurs matures, potentiellement générateurs de marges et fournissent du travail à forte valeur ajoutée pour des centaines de milliers de salariés, dont les rémunérations font pâlir la planète (salaire médian, 6118 francs en 2015).

Le gouvernement fédéral est rétif à apporter son soutien aux startups. Ici, pas de politique industrielle, pas d' "Etat stratège". Les jeunes pousses ? Qu'elles se débrouillent ! Au mieux, les licornes peuvent désormais espérer un cadre fiscal moins pénalisant. S'il existe donc un équivalent  de la Silicon Valley en Europe, il ne se trouve probablement pas en Suisse. Au moins pas encore si l'on se fie à la prophétie du conseiller national Fathi Derder pour qui  "Le prochain Google sera suisse".

[1] https://www.imd.org/wcc/news-wcy-ranking/

[2] Bilan, 2 février 2016

[3] epfl-study-switzerland-digital-future

[4] Startup Monitor, 2016.