"Les mouvements citoyens actuels témoignent du refus d’être passif"

Face à la crise structurelle que traverse la France, les mouvements sociaux émergent témoignant de leur volonté de ne pas rester passif, analyse Marc Augé. En Suisse, certains prônent un revenu de base inconditionnel. Selon cet ethnologue et anthropologue, ancien président de l’École des hautes études en sciences sociales et auteur de La Sacrée semaine qui changea la face du monde (Odile Jacob, 2016), nous avons sous-estimé la portée révolutionnaire d'un tel projet dans un monde où l'intelligence artificielle va supprimer plus d'emplois qu'elle ne va en créer.

Les contradictions des partis politiques actuels en France commencent à y aiguiser le goût des mouvements plus ancrés dans la démocratie directe ou participative. L'intérêt des mouvements "citoyens" actuels, c'est d'abord qu'ils témoignent d'un refus de la passivité et d'une volonté de réagir au caractère structurel de la crise que nous traversons.

Le chômage ou les emplois précaires ne sont pas le fruit d'un complot démoniaque, mais la traduction de changements dans l'organisation de la production. Cet argument avait d'ailleurs été invoqué à l'appui des 35 heures et de la politique du "temps libre". Le découplage entre travail et revenu est chaque jour plus manifeste : on fait appel au bénévolat pour des tâches jugées urgentes, mais certains hauts salaires sont sans rapport avec la quantité de travail qu'ils sont censés rémunérer.

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Revenu de base inconditionnel

En Suisse, depuis des années, des mouvements citoyens ont travaillé sur la possibilité d'instaurer un revenu de base inconditionnel, RBI. Des économistes ont chiffré le coût d'une telle opération et élaboré plusieurs scénarios possibles. Une votation vient d'avoir lieu début juin, rejetée par 77 % des électeurs. En Finlande une expérience est d'ores et déjà en cours.

Or, nous ne saurions sous-estimer la portée révolutionnaire d'un tel projet : parti de la base pour remonter jusqu'aux instances gouvernementales, il développe des propositions  totalement inédites susceptibles de répondre au défi de l'automatisation du travail et d'en faire une chance à saisir  pour éliminer la pauvreté de la terre au nom de la dignité et de la liberté réelle de l'individu humain. Il n'a de sens que s'il assure vraiment la possibilité pour chacun de choisir sa vie.

Valeur travail

L'idée du revenu de base n'est ni de gauche ni de droite. Elle constitue une réponse logique au constat qu'impose la nouvelle révolution industrielle : l'intelligence artificielle va supprimer plus d'emplois qu'elle n'en créera. Ces problèmes ont été traités à longueur de journée au Forum mondial de Davos et il ne faut donc pas s'étonner qu'ils aient été évoqués à Nuit debout.

On pourrait plutôt être surpris qu'ils n'occupent pas une place plus importante dans les préoccupations des mouvements citoyens en France. Peut-être un thème sur lequel se retrouvent des  personnalités de droite et de gauche éveille-t-il la méfiance. Peut-être aussi le respect de la valeur travail est-il si ancré dans les esprits qu'il entraîne à voir un encouragement à la paresse dans la liberté reconnue de travailler ou non.

Le travail, en outre, est traditionnellement considéré  comme une source de sociabilité. Mais nous savons bien que certaines formes nouvelles de travail, au contraire, condamnent à la solitude et que, d'autre part, des épidémies de suicides ont affecté plusieurs entreprises adeptes de la "gestion par le stress".

Encourageant

Nous pouvons donc estimer que la liberté de travailler ou non aurait des conséquences positives sur la productivité et, de manière générale, sur le climat des entreprises. Si la votation suisse avait abouti à l'instauration effective et généralisée d'un revenu de base inconditionnel, cela aurait donné au Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) un élan nouveau.

Le fait qu'en Suisse plus de 23 % des électeurs aient voté en sa faveur est déjà un encouragement : gageons qu'il donnera bientôt l'occasion à l'ensemble des mouvements dits "citoyens" de bâtir des projets concrets à échéance brève qu'ils auront à cœur de faire connaître et d'expliquer.

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