Entreprise libérée : vrai progrès ou phénomène de mode ?

Par Michel Tavernier  |   |  516  mots
Michel Tavernier, directeur Aravis-Aract Auvergne Rhône-Alpes.
A la fois décriée et encensée, l'entreprise libérée est plus qu'une mode. Elle suscite l'intérêt car elle permet de répondre aux aspirations tant des salariés que des chefs d'entreprises. Toutefois, Michel Tavernier, directeur Aravis-Aract Auvergne Rhône-Alpes, s'interroge. Cette volonté de libérer l'entreprise n'engendre-t-elle pas aussi des inconvénients ? Par ailleurs, faut-il faire disparaître les managers ?

Leader libérateur, strates hiérarchiques supprimées, salariés fonctionnant en cellules autonomes, fonctions supports réduites : l'entreprise libérée est l'objet d'un véritable engouement médiatique. Tantôt encensée, elle permet, selon ses chantres, de développer les capacités d'initiative individuelle et collective, d'améliorer l'engagement des salariés, leur bien-être et leur efficacité, mais aussi de supprimer le reporting et la bureaucratie.

Tantôt décriée, elle est accusée d'entretenir l'illusion qu'une entreprise peut vivre sans manager, de contourner le dialogue social ou encore de se penser autour de la seule vision du leader.

Risque du surengagement

Peu d'entreprises ont fait l'expérience de « libérer l'entreprise ». Au-delà du phénomène de mode, si ce concept suscite de l'intérêt, c'est qu'il répond à des aspirations croissantes : mieux partager le projet d'entreprise pour mobiliser les salariés, redonner du pouvoir au terrain pour gagner en agilité et réactivité, obtenir des marges de manœuvre au quotidien pour plus de qualité de vie au travail, etc.

Lire aussi : Le bonheur est dans Lofoten

L'entreprise libérée présente, dans ce cadre, l'intérêt de remettre au goût du jour la question de l'autonomie, tout en cherchant à en finir avec les excès du fonctionnement hiérarchique « top down ». Deux inconvénients majeurs sont, cependant, à souligner : d'abord, l'entreprise libérée propose de dissocier la dimension stratégique (portée par le dirigeant et lui seul) et l'opérationnel (tenu par les salariés), sans lien entre les deux. Elle prône, par ailleurs, l'engagement individuel et l'autocontrôle, sans rien dire des ajustements que cela implique, avec le risque d'un surengagement et d'une autre forme d'« emprisonnement » des salariés.

Reposer la question du management

L'autorégulation a ses limites. Permettre aux acteurs de terrain de dialoguer de leur côté est nécessaire mais pas suffisant, car ils n'ont pas nécessairement accès aux différentes logiques à l'œuvre dans une prise de décision (environnement, marché, offre, etc.).

Le dirigeant, lui, doit rester connecté au terrain s'il veut ajuster au mieux la stratégie de l'entreprise. Les deux points de vue ont besoin d'échanger, de se confronter, de s'articuler pour permettre au système de prendre de bonnes décisions. Quant à l'engagement et à l'autocontrôle, ils nécessitent des garde-fous et régulations.

Une solution universelle ?

Ces deux critiques reposent donc la question du management que l'entreprise libérée veut évacuer. Alors faut-il faire disparaître les managers comme cela est proposé ? Ou leur redonner des marges de manœuvre afin qu'ils puissent favoriser le dialogue et la régulation, deux dimensions cruellement nécessaires dans les entreprises actuelles ?

Voir dans l'entreprise libérée une solution universelle serait une erreur. Profiter de l'engouement qu'elle suscite pour remettre sur la table la question de l'autonomie, de l'articulation entre stratégie et terrain et le rôle du management peut constituer une réelle opportunité de progresser sur le chemin de l'innovation sociale et de la performance.