L’indécence fait le plein

"Il y a pire que le carburant qui ici et là manque, il y a un rendez-vous manqué", estime Bernard Devert, président-fondateur d'Habitat et Humanisme. Ce rendez-vous manqué, c'est celui du dialogue social entre syndicats et politiques dans le cadre de la loi travail. Un projet qui aurait dû susciter des négociations, mais qui "a entraîné un déchirement". Mais ce rendez-vous manqué c'est aussi cette indifférence à l'égard de ceux qui sont privés d'emploi, au moment où justement on traite d'une loi sur le travail.

Le Pouvoir parle d'un mieux, mais comment ne pas observer le « millefeuille » des malaises que traduit un climat social tendu. La société est sans doute accablée, mais le spectacle qu'elle donne est accablant. Les représentants de la Nation ont dû subir l'assaut du gouvernement pour l'approbation de la loi El-Khomri. Le texte est voté en bloquant toute discussion et toute écoute pour l'imposer via l'article 49-3. Le manque de confiance n'est pas étranger à l'inflation d'une législation qui, in fine, durcit les relations.

Faire confiance, ce n'est pas tout écrire, c'est écrire ensemble le récit d'une histoire. Le « vivre ensemble » est en panne, faute de créer les conditions d'un « faire ensemble » à l'égard notamment de ceux que la vie fragilise. Tout ne peut pas relever de l'Etat, sauf à considérer que la subsidiarité est une perte de temps alors qu'elle est la trace du respect de l'autre.

Veilleurs

Le projet de loi sur le travail aurait dû susciter des négociations entre les partenaires sociaux ; il a entraîné un déchirement. Le travail réduit à un simple échange de biens, il s'en suit que trop de salariés se sentent instrumentalisés à des fins utilitaristes.

Dans Terre des hommes, Saint Exupéry dit « celui-là qui veille modestement quelques moutons sous les étoiles, s'il prend conscience de son rôle, se découvre plus qu'un serviteur. Il est une sentinelle ». Notre société a besoin de veilleurs pour atténuer les manques, à commencer par ceux qui concernent les défaillances du marché.

Le texte El-Khomri, dans son article 2, souligne l'importance de l'entreprise sur les accords de branches. N'est-ce pas une ouverture pour une gestion participative via le référendum d'entreprise Le texte est si "détricoté" qu'il n'a plus de lisibilité sauf celle de l'affichage du bras-de-fer d'un syndicat et du gouvernement.

Rendez-vous manqué

Finalement, cette loi du travail bloque le travail avec le déclenchement d'une grève. Il y a pire que le carburant qui ici et là manque, il y a un rendez-vous manqué au cours duquel l'on aurait moins cherché à faire valoir ses forces qu'à s'efforcer de ne point punir ceux qui sont privés d'emploi.

A trop se raidir sur les droits, on perd la flexibilité si nécessaire pour innover. Un arbitrage doit être recherché entre la protection de la personne et les dispositifs à mettre en œuvre pour favoriser l'emploi. Tel était l'esprit de cette loi ; les maladresses syndicales et politiques l'ont brisé.

Victimes connues et anonymes

Comment ne pas être interrogé par le silence assourdissant relatif au chômage massif au moment où l'on traite d'une loi sur le travail. Que de frustrations et d'accablements ressentent les privés d'emploi au point qu'aucune voix dans leur rang ne s'élève. Les inclus sont représentés, insuffisamment et parfois mal, les exclus demeurent les oubliés sans que cela n'émeuve quiconque.

Si les victimes du travail sont connues - rappelons-nous le film La loi du marché dans lequel intervient Vincent Lindon -, que de victimes anonymes, comme le rappelle Jean Tirole dans son ouvrage L'Economie du bien commun.

Et si, dans les files d'attente sur les aires des stations-services pour tenter de faire le plein, nous nous laissions interroger sur ce trop-plein d'indécence et d'indifférence à l'égard de ceux qui ne sont point retenus, simplement par ce qu'il n'y a pas d'emploi possible. Il y a une responsabilité collective à le créer.

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