"Panama Papers" et sentiment d'impuissance

"Panama Papers" est exemplaire de la mascarade de la croisade soi-disant menée par les États contre les paradis fiscaux. Cette faillite politique fonde chez les citoyens un sentiment mêlé de peur, de sidération, d'impuissance et de fatalisme. Par Michel Pinçon et Monique Pinçon- Charlot, sociologues.

Depuis "Offshore leaks" en janvier 2014, les scandales liés à l'évasion fiscale se sont succédé avec "Lux leaks" en novembre 2014, puis "Swiss Leaks" en février 2015 et enfin "Panama Papers" en ce mois d'avril 2016. Dans ces 4 cas ce sont des lanceurs d'alerte ou des salariés anonymes qui ont trahi les secrets auxquels ils étaient tenus par leur situation professionnelle au cœur des banques ou de cabinets d'avocats spécialisés dans la fiscalité et l'audit.

Mascarade

Ces scandales ne sont donc pas le résultat de la traque des administrations fiscales.

De plus ce sont des journalistes du Consortium International des Journalistes d'Investigation (ICIJ) qui ont fait tout le travail pour rendre transparent ce qui aurait dû rester opaque dans les multiples sociétés-écrans où se cache de l'argent que bien souvent leurs propriétaires ne souhaitent pas déclarer au fisc de leur pays.

"Panama Papers" est exemplaire de la mascarade de la croisade soi-disant menée par les états contre les paradis fiscaux. En 2011 le Panama avait obtenu de passer de la liste noire à la liste grise des paradis fiscaux stigmatisés comme tels par l'OCDE.

Lors d'une séance plénière d'une autre institution internationale, le GAFI, Groupe d'Action Financière internationale, chargée de la lutte contre le blanchiment d'argent, le Panama a obtenu le 17 février 2016 de ne plus figurer sur la liste des pays non coopératifs et cela, avec l'accord des plus hautes autorités de Bercy.

Lire aussi : Epoux Pinçon-Charlot : "Les riches composent une oligarchie dévastatrice"

Le Canard Enchaîné du 6 avril 2016 publie une photo prise dans un salon de Bercy, le 16 février, sur laquelle on découvre un Michel Sapin tout sourire avec son homologue panaméen dans la joie de la confiance que la France accorde désormais sans crainte au Panama.

Mais le 26 février 2016 ce pays est expulsé de l'accord multilatéral d'échange automatique sur les comptes bancaires mis au point par l'OCDE en octobre 2014 et que le Panama avait signé. Selon Pascal Saint-Amans, le directeur des questions fiscales de cet organisme international, le Panama "n'a pas l'intention d'échanger ses informations conformément au standard défini par l'OCDE à la demande du G20, mais au cas par cas, avec le pays de son choix et selon ses propres règles. Nous le sortons donc de la liste officielle des pays engagés dans l'échange automatique".

Un mépris qui engendre de la peur et du fatalisme

Tout cela n'a pas empêché François Hollande et Michel Sapin, quelques semaines plus tard, de se réjouir du travail mené durant neuf mois dans le plus grand secret, par les journalistes du Consortium d'Investigation, et bien entendu de s'engager à la réintégration du Panama dans la liste noire.

Une telle mascarade, un tel mépris vis-à-vis des contribuables crée un sentiment mêlé de peur, de sidération, d'impuissance et de fatalisme. D'autant plus qu'on ne peut oublier les paroles fermes et triomphantes de Nicolas Sarkozy en 2009 : "Les paradis fiscaux c'est ter-mi-né !".

Grâce à son audace et à sa détermination il en avait fini avec les paradis fiscaux. Un chapitre décisif de l'évasion fiscale était clos. Les anges gardiens du dieu Argent en rigolent encore.

Linge sale

Mais qui sont ces anges gardiens ? Le linge sale se lave en famille ,c'est-à-dire entre les membres de l'oligarchie au sommet des États et des banques systémiques. Ils s'accaparent, à travers des commissions, nationales et internationales dans lesquelles ils se cooptent dans un entre-soi de classe, les moyens de la lutte contre l'évasion fiscale et le blanchiment de l'argent sale. Ils contrôlent ainsi pour mieux les développer à leur profit, la fraude, l'évasion et le blanchiment. Cela explique que dans les différentes listes des pays non coopératifs ne figurent jamais ni l'État du Delaware, ni le Luxembourg, ni le Royaume-Uni, ni le Liechtenstein. Ce qui aboutit, de fait, à blanchir les paradis fiscaux plutôt qu' à les combattre.

Le citoyen ordinaire a du mal à distinguer un chat légal d'un matou suspect et cette incompréhension de ce qui se passe dans le cercle privilégié des élites est source d'une angoisse et de ce sentiment d'impuissance que recherchent à créer précisément les élites afin de que tout change pour que rien ne change.


Michel Pinçon et Monique Pinçon- Charlot, sociologues
Dernier ouvrage paru : "Tentative d'évasion fiscale. Deux sociologues en bande organisée." Zones, 2015.

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Commentaires 2
à écrit le 12/04/2016 à 15:46
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Ce couple de sociologues a bien entendu raison. Il ne faut pas se leurrer, l'évasion fiscale a encore un bel avenir. La compromission des mondes de la politique et de la Finance n'est pas prête de s'arrêter. L'une ne fonctionne pas sans l'autre. Ce s...

à écrit le 12/04/2016 à 12:51
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Très bon article réaliste sur la clique qui nous dirige Pourtant on a élu un normal 1 Er qui avait pour ennemi la finance Pour voir le mépris qu'il a pour les francais il suffit de penser qu'il croit encore qu'il a une chance d être réélu

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