Dommage que le Front National n'ait pas conquis de Région

Par Denis Lafay  |   |  1059  mots
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'Economie)
Les raisons de déplorer la (fausse) défaite du Front National sont réelles. En premier lieu, celle de conforter l'aréopage politique dans la pratique obsolète de son métier et son animation dépassée de la démocratie. En Auvergne Rhône-Alpes, le nouveau président Laurent Wauquiez aura « aussi » pour responsabilité d'exercer son mandat de telle sorte qu'il participe à disqualifier les arguments électoralistes du Front national.

C'est sans doute le moins bon des scénarii qui s'est joué dans les urnes ce dimanche 13 décembre. En effet, il est fondé de déplorer la (fausse) défaite du Front national et de regretter qu'aucune région ne soit désormais pilotée par la formation politique de Marine Le Pen. Et cela pour plusieurs raisons. La première est qu'honorer la démocratie et le vote record de 6 800 000 Français (davantage qu'au premier tour) aurait pu, aurait même du se concrétiser, et, nonobstant le sursaut des électeurs abstentionnistes du premier tour, seul le retrait des listes de gauche l'en a véritablement empêché, enracinant un peu plus la frustration des électeurs du FN et donnant toujours davantage d'éclat à la rhétorique complotiste et victimaire de sa direction.

L'original préféré à la pâle copie

D'autre part, être aux commandes d'une région - qui plus est dans le délicat contexte de fusion - n'est en rien comparable à l'administration d'une municipalité comme Fréjus ou Béziers. Ainsi, mettre à l'épreuve des faits l'inexpérience de Marion Maréchal Le Pen, les inepties du programme économique du FN, les arbitrages politiques stigmatisants, le phénomène de rejet parmi les associations et le corps social des collectivités, et, pour Marine Le Pen, l'incompatibilité d'une telle responsabilité avec la prochaine campagne présidentielle, auraient permis de juger sur pièces. Certes, une telle hypothèse s'annonçait difficile pour le ou les territoires concernés, mais peut-être fallait-il en passer par là. « Il faut mieux avoir pour adversaire l'original que la pâle copie », résume le sociologue et ancien ministre Azouz Begag à l'évocation de la défaite de Marion Maréchal Le Pen face à Christian Estrosi.

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Digue artificielle

Enfin, aussi salutaire « moralement » que contestable « intellectuellement », le front républicain régulièrement érigé lors des « entre deux tours » et tout aussi soudainement désagrégé au lendemain des scrutins, demeure une digue artificielle, dont le principal effet collatéral et dilatoire est « d'endormir » la population et la classe politique, c'est-à-dire de ne pas provoquer le véritable électrochoc espéré. Ainsi cette classe politique peut-elle continuer d'exercer dans les mêmes travers dont se nourrissent l'idéologie et la sémantique frontistes. Le spectacle que certains hiérarques et vainqueurs de dimanche soir ont exhibé en témoigne ; que Nicolas Sarkozy et Christan Estrosi (PACA) - au contraire des déclarations responsables de Xavier Bertrand (Picardie Nord Pas de Calais) -, aient chanté victoire sans un mot ou presque pour la difficile, courageuse et déterminante mobilisation des électeurs de gauche, démontre qu'absolument rien, qu'aucun aggiornamento n'est à attendre.

Bref, Marine Le Pen peut regarder avec sérénité les mois qui la séparent du scrutin présidentiel, surtout qu'elle est affranchie d'un mandat régional aussi chronophage que contraignant : en effet, elle est débarrassée de l'obligation de faire la preuve de ses compétences de gouvernante et de la faisabilité de son programme. Elle demeure le grand vainqueur des Régionales 2015.

Avec ou contre ?

Or c'est « aussi » sur ce terrain de « l'exercice de la politique » que Laurent Wauquiez est attendu. Le (très jeune) nouveau président d'Auvergne Rhône-Alpes est appelé à gouverner « avec intelligence », c'est-à-dire à consolider ce que Jean-Jack Queyranne a initié ou accompli avec succès (financement des entreprises, clusters et pôles de compétitivité, économie sociale et solidaire...), et à juguler les errements, particulièrement en matière de gouvernance, dont ce même prédécesseur ligoté aux diktats de « sa » gauche s'était rendu responsable.

Maintenant que la campagne est passée, celui dont certaines prises de position clivent, dont la personnalité divise, et dont les axes programmatiques ont légitimement excité l'attention du cénacle décisionnel, est exhorté à bâtir avec et non contre. L'administration d'une collectivité régionale l'exige - et cela commence par le « traitement » réservé à l'ensemble du corps social en poste. Les atouts (l'âge, l'énergie, la vision, l'agilité intellectuelle) du député Les Républicains de Haute-Loire sont incontestables ; saura-t-il les draper dans une stratégie « humaine », transpartisane et de rassemblement ?

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Seuls les faits feront foi

Laurent Wauquiez, que son adversaire socialiste a frappé de fac similé de l'extrême droite et inféodé à la radicalité idéologique incarnée par Patrick Buisson, devra faire la preuve qu'il est ce qu'il a promis qu'il serait et que ses détracteurs ne le croient pas capables d'être. Là encore, seuls les faits feront foi. S'il est admis que l'administration de la nouvelle Région réclame une implication « totale », comment l'accommodera-t-il à une substantielle et inévitable mobilisation lors de la campagne des primaires puis celle de la présidence de la République ? Comment mènera-t-il de front une stratégie idéologique nationale en certains points radicale avec les injonctions apartisances propres à son mandat de président de Région ? Instrumentalisera-t-il la réalité, le terrain, les acteurs régionaux au profit de l'intérêt hexagonal de sa formation politique ? En cas de victoire des Républicains en 2017, renoncera-t-il, comme il s'y est engagé, à un portefeuille ministériel même régalien ? Son mandat de député est-il d'ailleurs compatible avec ses nouvelles responsabilités ?

Expérimentation

Dans nos colonnes en septembre, Laurent Wauquiez affirmait haut et fort  « n'avoir pas le droit d'échouer », concédant que toute déconvenue à la tête de la Région « hypothèquerait profondément » son avenir national. A contrario, à l'heure où le principe d'expérimentation doit être encouragé, si « réussir » en Auvergne Rhône-Alpes au profit de l'intérêt général sert sa stratégie nationale, personne ne s'en offusquera, personne ne lui en tiendra rigueur. Bien au contraire. N'est-ce pas la résurrection du bassin industriel et social valenciennois qui avait pavé l'ascension politique de Jean-Louis Borloo ? Les ambitions nationales et les responsabilités locales de Laurent Wauquiez sont inextricablement entremêlées, leur articulation est bel et bien au cœur d'un double enjeu : le sien et celui de la région.

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