La loi santé n'est ni lisible ni compréhensible

La loi santé de Marisol Touraine a franchi la première étape de son adoption avec le vote intervenu à l'Assemblée nationale le 14 avril dernier. Ce n'est pas le bout du chemin puisque le Sénat en fera sans doute une critique féroce et qu'il faudra aussi franchir les obstacles constitutionnels que ne manqueront pas de soulever les opposants. Par Claude Le Pen, économiste de la santé à Paris-Dauphine.

La loi sur la santé est un objet législatif hors norme. Par sa taille (plus de 200 articles, 2 400 amendements, 236 pages) mais aussi par son extraordinaire diversité. On y traite littéralement de tout. Du vapotage dans les lieux publics aux données personnelles de santé.

De la taille et du poids des mannequins au service public hospitalier ; du métier d'assistant dentaire à la gestion des médicaments anticancéreux, de la représentation des associations d'usagers dans les instances administratives à la généralisation du tiers-payant, etc.

C'est une loi bavarde et rhétorique : on apprend ainsi, à l'article 1, que la politique de santé publique en France « s'appuie sur le concept d'exposome ». Oui d'exposome ! Personne ne sait de quoi il s'agit, en dehors de trois professeurs de santé publique, mais peu importe, c'est la désormais la Loi de la République...

Étatisation

Ce patchwork de mesures diverses qui passent sans transition de grands principes généraux à des dispositions très techniques relevant tout au plus d'un arrêté ou d'un décret a un effet : celui d'en occulter le sens. Les commentaires se réduisent souvent à une liste de mesures ponctuelles qui noient la portée réelle d'une loi qui n'est ni lisible ni compréhensible pour le citoyen même averti auquel, en démocratie, elle est censée s'adresser.

Néanmoins, si nous devions tirer de ce conglomérat d'articles une philosophie, une intention commune, ce serait sans conteste l'idée d'étatisation. Nous l'avions déjà fait remarquer à l'occasion du tiers-payant généralisé : les médecins considèrent, à tort ou à raison, qu'un paiement direct par les caisses, au-delà des tracas administratifs, leur enlevait une partie d'une autonomie considérée comme constitutive de leur relations avec les patients.

Dispositifs pénales renforcés

Le chapitre sur le service public hospitalier n'est pas en reste avec cette clause asymétrique prohibant les dépassements d'honoraires dans les cliniques aspirant à le rejoindre, tout en maintenant ceux des praticiens exerçant dans le secteur public !

C'est également cette conception très punitive de la santé publique qui imprègne les premiers articles de la loi avec un nombre impressionnant de dispositions pénales. Et c'est finalement le renforcement de « l'alignement stratégique entre l'Etat et l'assurance-maladie », mentionné à l'article 39 avec un jargon digne de McKinsey ou du Boston Consulting Group.

Cette tendance n'est ni nouvelle, ni propre à la gauche : la droite y a en son temps contribué avec le Plan Juppé de 1996 par exemple. Mais c'est un pas de plus - aussi subreptice que les précédents - vers l'effacement, ou la volonté d'effacement de l'autonomie et de l'indépendance des caisses d'assurance-maladie propre à l'architecture de 1945.

La réalité du système n'a jamais été aussi éloignée de la référence permanente à ses principes fondateurs.

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Commentaires 2
à écrit le 01/08/2015 à 11:33
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certes , le concept d’exposome nécessitera encore de nombreux développements méthodologiques dans l’évaluation et la traçabilité des expositions avant de devenir pleinement opérationnel , mais il est exagéré de dire que "Personne ne sait de quoi il s...

à écrit le 01/05/2015 à 10:46
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"les médecins considèrent, à tort ou à raison, qu'un paiement direct par les caisses, au-delà des tracas administratifs, leur enlevait une partie d'une autonomie" ? Mais Brigitte Dormont, économiste inspiratrice de la loi de Santé, l'a dit clairement...

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