La seule option de dévaluation est fiscale

Par Par Gilbert Cette, Professeur d’économie associé à l’Université d’Aix Marseille  |   |  1159  mots
Depuis la monnaie unique, les pays membres de la zone euro ont perdu la possibilité de dévaluer leur monnaie. Pour la France, l'option de dévaluation qui demeure est fiscale, illustrée par le CICE. Mais l'utilisation de cet outil n'apporte que des résultats transitoires. Pour être pérenne, il doit être accompagné de réformes structurelles. Gilbert Cette interviendra lors des Journées de l'économie à Lyon, dont La Tribune et Acteurs de l'économie sont partenaires, les 13 et 14 novembre.

La France a une longue expérience des dévaluations. Durant les décennies 1970 et 1980, elle pratiquait épisodiquement les dévaluations monétaires. L'objectif était toujours le même : une remise à zéro des compteurs de la compétitivité. Chaque dévaluation était aussitôt suivie d'une dérive des coûts salariaux et des prix supérieure à celle de nos partenaires, dont l'Allemagne, cette dérive étant elle-même alimentée par l'augmentation des prix liée à la dévaluation et aux indexations des salaires sur les prix. La dernière dévaluation du franc français eu lieu le 11 janvier 1987[1], après l'engagement de la politique de désinflation compétitive quelques années plus tôt. Cette politique visait à réaliser une désinflation nominale, via des mesures inimaginables aujourd'hui comme le blocage des prix et des salaires, un contrôle très strict des mouvements de capitaux allant jusqu'à limiter les échanges en devises pour les particuliers. A cela s'ajoutait l'interdiction de l'indexation explicite des salaires sur l'inflation, toujours en vigueur[2].

 Un nouvel intérêt pour la dévaluation

La création de la monnaie unique a définitivement interdit à chaque pays membre de la zone euro le recours individuel à la dévaluation monétaire. Considérée dans son ensemble, la zone euro ne pâtit pas d'un défaut de compétitivité, sa balance courante étant excédentaire. Mais des déséquilibres importants apparaissent entre les pays de la zone euro, certains comme l'Allemagne étant très largement excédentaires tandis que d'autres, comme la France depuis 2002, connaissant une situation structurelle de déficit de leur compte courant. Cette diversité a réactualisé un intérêt pour les politiques nationales de dévaluation.

Si la dévaluation monétaire est devenue impossible au niveau national, la dévaluation nominale est complexe. Elle consiste à modérer durablement la dynamique des salaires, comme l'Allemagne l'a fait depuis le milieu des années 1990. Mais une telle dévaluation nominale se heurte à trois difficultés :

  • 1) Elle doit être durable pour avoir des effets significatifs sur la compétitivité coûts ;
  • 2) Elle a perdu beaucoup de ses potentialités en période d'inflation réduite, sauf à envisager des baisses nominales des salaires politiquement risquées ;
  • 3) Le SMIC contribue à la dynamique des salaires, par son rôle normatif sur les négociations salariales de branches puis d'entreprises. Ses revalorisations sont, même dans leurs seules composantes automatiques, assez fortes pour un pays souffrant d'un taux de chômage élevé[3]. Mais une réforme du SMIC, à terme indispensable, présente aussi de forts risques politiques, toujours très dissuasifs.

 Dévaluation fiscale

La seule option de dévaluation qui demeure envisageable pour les pouvoirs publics en France est fiscale. La France y recours maintenant sous la forme du CICE et du Pacte de responsabilité. On sait que les effets d'une dévaluation fiscale sont comparables à ceux des dévaluations monétaire ou nominale[4]. Il s'agit de réduire le coût du travail pour améliorer la compétitivité et la situation financière des entreprises, toutes deux dégradées en France. Cette baisse du coût du travail, sans diminution du salaire net des salariés, par le CICE et le Pacte de responsabilité, est financée par une augmentation de la taxation (dont la TVA) et une modération des dépenses, autrement dit de transferts aux ménages. Il s'agit donc de faire financer par l'ensemble des ménages résidents en France la baisse du coût du travail dont bénéficieront in fine, par des prix moins dynamiques, les consommateurs étrangers des produits fabriqués en France. En substance, cette logique n'est pas différente de celle d'une dévaluation monétaire ou d'une dévaluation nominale.

 Des effets transitoires

Le choix de pratiquer une dévaluation fiscale de grande ampleur était indispensable en France, comme de nombreux rapports l'avaient d'ailleurs préconisé[5]. Pour autant, quelle que soit la modalité de dévaluation retenue, ses effets sont toujours transitoires. Progressivement, la dynamique des salaires et des prix entame les effets de la dévaluation pour les annuler à terme. Seules des réformes structurelles ambitieuses, en particulier sur les marchés des biens et du travail, sont susceptibles de créer les conditions d'une amélioration structurelle et pérenne de la compétitivité via les gains de productivité qu'elles suscitent. Mais les effets favorables de telles politiques structurelles se manifestent progressivement.

 Réformes structurelles

Une stratégie de réforme adaptée à la situation française se dessine ainsi : associer une dévaluation fiscale de grande ampleur à l'engagement de réformes structurelles d'une grande ambition. Le problème actuel est que, si la dévaluation fiscale est actuellement engagée, certes avec une complexité qui en affaiblit les effets favorables, sous la forme du CICE et du Pacte de Responsabilité, les réformes structurelles sur les marchés des biens et du travail demeurent bien timides. Celles engagées depuis 2012 sont minimes et celles à venir sont incertaines et en l'état actuel du débat paraissent faibles. Le risque est grand d'avoir engagé les changements fiscaux pérennes de la dévaluation fiscale pour des résultats certes effectifs mais transitoires, ce qui nous ramènerait progressivement vers les difficultés antérieures faute d'avoir simultanément mis en œuvre les indispensables réformes structurelles qui s'imposeront inévitablement à la France.

Gilbert Cette interviendra lors des journées de l'économie,  le 13 novembre pour la conférence dévaluation fiscales ou salariales ? de 17h à 17h30. Il sera également présent le 14 novembre de 9h à 10h 30 sur le thème : le travail coûte-t-il vraiment trop cher ? Et pour la présentation de Macsim simulateur d'un programme de réforme de structurelles de 14h à 15h30.

[1]    Dans les faits, cette dévaluation a pris la forme d'une appréciation du mark allemand et du florin néerlandais.

[2]    Comme l'a encore rappelé un arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 13 décembre 2006.

[3]    Cf. sur ces aspects Gilbert Cette et Etienne Wasmer (2010) : « La revalorisation automatique du SMIC », Diagnostics et Conjoncture Economique, Revue de l'OFCE, n° 112, janvier, pp. 139-159.

[4]    Cf. sur cet aspect Emmanuel Farhi, Gita Gopinath et Oleg Itskhoki (2014) : « Fiscal devaluations », Review of Economic Studies, 81, pp. 725-760. Certaines dévaluations fiscales peuvent par ailleurs se justifier par des motifs d'équité, Cf. sur cet aspect qui n'est pas ici davantage développé Gilbert Cette (2007) : « La fiscalisation du financement de la protection sociale : quelques considérations », Regards Croisés sur l'Economie, n° 1, mars, pp. 167-170.

[5]    Voir par exemple : Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen et Mathilde Lemoine (2011) : « Crise et croissance : une stratégie pour la France », Rapport du CAE, n° 100 ; Louis Gallois (2012) : « Pacte pour la compétitivité de l'industrie française », Rapport au Premier Ministre, 5 novembre ; Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen (2014) : « Changer de modèle », Editions Odile Jacob.