Modulation des allocations familiales : enfin une décision juste

Alors que débute ce 21 octobre l'examen du budget 2015 de la Sécurité sociale, la décision gouvernementale de moduler les allocations familiales selon les revenus divise, même fracture la société. Pourtant, rapportée à ce qui devrait être non sa finalité - contribuer à résorber le déficit de la Sécurité Sociale - mais sa destination - juguler les insupportables inégalités dites d'éducation et de naissance -, elle traduit une juste démarche. Encore faudrait-il qu'elle soit utilement, lisiblement et... justement gérée.
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'Economie)

Dans ces mêmes colonnes de La Tribune le 17 octobre, Jean-Claude Mailly résumait clairement les motivations communes des opposants, de tous bords, à la « modulation des prestations familiales selon les revenus » annoncée par le gouvernement et qui, à partir du 1er juillet 2015, devrait diviser les allocations respectivement par deux et quatre dans les foyers aux revenus supérieurs à 6 000 et 8 000 euros mensuels. Selon le secrétaire général de FO, une mesure d'économies budgétaires de 800 millions d'euros en année pleine n'est pas une mesure de justice sociale, la sacro-sainte règle de l'universalité des prestations ne doit pas être remise en cause, désormais la dynamique démographique propre à la France est menacée - une réalité, dès lors que les familles nombreuses seront proportionnellement les plus affectées -, et le principe même de « solidarité nationale » gravement fissuré.

Demain la branche maladie ?

Qui donc peut aussi contester que cette brèche ouverte dans le pacte national, qui constitue le socle même de la société et du vivre-ensemble, pourrait laisser s'engouffrer dans son sillage des raisonnements du même ordre ailleurs, et par exemple dans la branche maladie ? Demain, chaque citoyen devra-t-il participer au coût de ses soins à hauteur graduée de ses revenus ? Un tel spectre serait susceptible de briser le principe même de Sécurité Sociale et de faire prospérer les opérateurs privés vers lesquels les classes aisées et moyennes ne manqueraient pas de se tourner.

Universalité ne signifie pas uniformité

Mais Marisol Touraine, ministre de la Santé, a tout aussi raison de le rappeler : universalité ne signifie pas uniformité. Et en l'occurrence, s'il s'agit de débattre du principe, pour les uns violé pour d'autres honoré, de « justice », le raisonnement des contempteurs du nouveau dispositif est contestable.

En effet, les allocations familiales ont pour vocation fondamentale de participer à financer, dans sa large acception, « l'éducation » des enfants. C'est-à-dire, dans l'absolu, tout ce qui concourt à leur donner les moyens de se construire individuellement et dans une société au sein de laquelle ils sont appelés, un jour, à exercer un rôle, une responsabilité. Une contribution. Les manifestations sont infinies (ou presque) : se nourrir et se loger correctement, se déplacer facilement, accéder aux outils - y compris vestimentaires ou ludiques - de sociabilisation, pratiquer des loisirs, bénéficier de supports privilégiés - cours de soutien scolaire, etc. Or, existe-t-il plus inique injustice, existe-t-il plus scandaleuse inégalité que celles dites « de naissance » ?

Des écarts de niveau de vie qui explosent

Lorsqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et en droite ligne des travaux du Conseil national de la résistance plus tard sanctuarisés par la Déclaration universelle des droits de l'homme, le principe d'universalité des droits fut intégré à la création de la Sécurité sociale, la société française s'apprêtait à se reconstruire. Certes elle n'était pas homogène, l'inégalité des chances était incontestable, mais alors cette dernière était acceptable, combattue. Et surtout, les opportunités de quitter le ghetto social et les perspectives d'ascension sociale étaient réelles.

Soixante-dix ans plus tard, ce que les travaux de l'Observatoire des inégalités démontrent sont accablants : les écarts de niveau de vie ont régulièrement reculé, mais depuis quinze ans repartent à la hausse, sous l'effet dissymétrique conjugué de l'enrichissement des 10% les plus riches et de l'appauvrissement des 10% les plus pauvres. Entre 2001 et 2011, le niveau de vie moyen annuel des 10 % les plus pauvres n'a progressé que de 0,9 %, celui des 10 % les plus riches a bondi de 16,4 %. L'évolution de l'indice de Gini, autre indicateur des inégalités de revenus, atteste du même constat : il était passé de 0,331 dans les années 1970 à 0,277 dans les années 1990 et désormais dépasse de nouveau la barre des 0,300 - plus il est proche de 0 plus il tend à l'égalité.

Inacceptable déterminisme social

Cette contextualisation n'est pas neutre dans l'appréciation du « bouleversement systémique » décrété par le gouvernement. Car l'aggravation des inégalités de niveau de vie se porte en premier lieu sur celles qui déterminent l'avenir des enfants puis des adolescents puis des adultes : l'éducation. Connait-on plus « inacceptable » que le déterminisme social ? Y a-t-il plus odieux que le conditionnement de toute existence à la chance pour les uns d'être « bien nés » à l'infortune pour les autres d'être « mal nés » ?

Les détracteurs pourront toujours brandir les quelques exemples de parcours hors du commun qui, à leurs yeux, font la démonstration que « lorsqu'on veut, on peut » ; on aimerait les imaginer, plus jeunes, dans une HLM bruyante, partager leur chambre avec trois frères et sœurs, étudier dans un collège public en zone d'éducation prioritaire, être confronté au quotidien à la violence d'un quartier, lorgner pour seule distraction estivale la piscine municipale. Croire que quelques réussites isolées peuvent faire une généralité, c'est considérer avec mépris l'immense majorité « des autres », ces « autres » qui, par manque de ressorts personnels, de cadre affectif, de moyens matériels, de support familial, d'opportunité scolaire, sont « condamnés » dès la naissance. Redistribuer en leur faveur en mobilisant un acte de solidarité auprès de ceux qui ne connaîtront jamais de telles affres n'est-il pas « justice » ?

Crise de confiance

Mais « justifier » un tel geste au sein de la société exige un préalable, que le gouvernement fait l'erreur d'écarter : « justifier » la destination. Laquelle n'est pas la finalité. La finalité, chacun l'a comprise : participer à résorber le déficit de la Sécurité Sociale. Et la destination, noble, à laquelle ces 800 millions d'euros annuels devraient être dévolus : la réduction des inégalités dites d'éducation.

Or, une fois encore, la finalité a détrôné la destination. Et les mêmes qui pouvaient être prêts à accepter de rogner une partie de leurs allocations familiales dès lors qu'elle contribuait à juguler des inégalités à leurs yeux insupportables, sont dubitatifs : « à quoi mon geste servira-t-il ? A combler, à sa mesure, les fraudes non punies, les arrêts de travail indus, l'insuffisante productivité des salariés de la Sécu ? ». Le « cas » ici traité est particulièrement mais simplement symptomatique de la véritable crise de la fiscalité : toute taxation apparaît injuste lorsque son affectation est illisible et la qualité de sa gestion contestable. Le rejet des citoyens pour la mécanique fiscale est en premier lieu une crise de « confiance ».

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Commentaires 32
à écrit le 22/10/2014 à 8:24
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Cette mesure est tout à fait stupide ainsi que toutes celles qui lient le montant des prestations, remboursement de frais de santé, coût des services, impôts locaux au revenu des familles ! En effet bientôt le prix de la viande , du poisson, des fr...

à écrit le 21/10/2014 à 22:39
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Cher Monsieur Lafay, Quel manque de culture ! Pourtant, vous devriez connaitre le système de sécurité sociale, en particulier les caisses de retraite... Pourquoi trouvez vous juste de moduler les allocs familiales mais ne proposez pas de la faire p...

à écrit le 21/10/2014 à 21:18
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Pourquoi ne pas les fiscaliser ? Plus les gens ont des revenus élevés, plus la somme reçue sera amputée, ça remplace le système avec seuils (arbitraires) de 6000 et 8000 sachant que ceux qui ont 15 000, ça leur paraitra moins (en proportion) d'avoir ...

à écrit le 21/10/2014 à 19:00
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Et si la député qui a fait cette proposition avait le courage de déposer demain une proposition de loi qui abolissent les privilèges des régimes spéciaux de retraites (y compris celle des députés); à la suppression des 3700 cantons, des sous-préfectu...

à écrit le 21/10/2014 à 18:36
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J'ajouterais au dessus de trois enfants, l'état ne donne plus d'allocations familiales...Et qu'elles soient fiscalisées, comme toutes les autres aides, les niches, ça suffit.........

à écrit le 21/10/2014 à 18:03
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Il faut supprimer les allocations familiales au dessus de 5 000 €/mois progressivement, économies = 3 milliards d'€ ! Quand on fait des enfants on les assume !

le 21/10/2014 à 18:30
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Bien dit !

le 21/10/2014 à 20:54
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Bonsoir Dilemblue et Sylvie, Et ceux qui gagnent moins de 5000 € / mois, on le droit de ne pas assumer leur enfants !!! Et faire reposer sur les riches l'éducation de leurs enfants. Je ne vais pas généraliser loin de là, mais c'est vrai que c'es...

le 21/10/2014 à 21:02
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Je suis entièrement d'accord avec vous. Mais je ne comprend pas pourquoi on s'arrête à 3 Milliards d'€. Allons plus loin et supprimons purement et simplement les Allocation familiales. Pourquoi ? Vous le dites vous même : Quand on fait des enfants on...

le 21/10/2014 à 21:53
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C'est très bien de dire que quand on fait des enfants on assume. Sauf que ceux qui gagnent plus de 5.000 € assument parfaitement, pour eux même, mais aussi pour les autres : non seulement ils paient plus d'impôts que ceux qui gagnent moins, mais ils ...

le 22/10/2014 à 2:33
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A tous ceux qui ont répondu! Je me sens moins seule!

à écrit le 21/10/2014 à 18:02
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Je ne sais pas dans quel monde vit M. Lafay, mais ce que je constate c'est qu'avec ma femme nous gagnons 6500€ net, que l'on vit dans un 3 pièces en région parisienne qui n'a rien d'un palace, que l'on bosse 50 heures par semaine, qu l'on paye une no...

le 21/10/2014 à 18:17
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Il faut quitter l’île-de-France. Voilà!

le 21/10/2014 à 19:54
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Pourquoi alors ne pas faire comme vos copains?

le 21/10/2014 à 21:00
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Votre nounou vous coûte les yeux de la tête...et pourtant elle aussi a certainement des difficultés pour vivre en région parisienne. Bref chacun voit sa peine. .mais pas celle des autres. Et le social permet de vivre décemment en société.

à écrit le 21/10/2014 à 17:58
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Les inégalités sont davantage dues aux écarts de patrimoines qu'aux écarts de revenus. Quand en tirera-t-on les conséquences politiques nécessaires? Le parlement vient de botter en touche concernant l'intégration des oeuvres d'art à l'ISF, c'est dire...

le 21/10/2014 à 19:56
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Le patrimoine est ce qui reste du revenu quand on a fait toutes les dépenses. Donc pour se constituer un patrimoine, il faut de bons revenus.

à écrit le 21/10/2014 à 17:50
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Parfaite analyse de M. Lafay ! J'adhère.

à écrit le 21/10/2014 à 17:50
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Cette mesure n'est pas juste, parce que le gouvernement, au lieu de faire des économies en restructurant ses coûts; hors dans ce cas-là comme dans tant d'autres, le citoyen paie l'impéritie des gouvernements dans sa non gestion des coûts structurels....

le 21/10/2014 à 19:58
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La classe moyenne avec plus de 6000Euros par mois !!! rions un peu. Le salaire moyen multiplié par 2 est de 3300 Euros

à écrit le 21/10/2014 à 17:48
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Connait-on plus « inacceptable » que le déterminisme social ? Oui ! Cette idéologie égalitariste qui hante nos politiciens bien pensants. Arrêtez le nivellement par le bas; vous creusez notre tombe, à tous. Par contre, occupons nous des pauvres, ...

le 21/10/2014 à 19:04
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Relisez l'article. Vous verrez qu'il parle d'égalité par le haut.

à écrit le 21/10/2014 à 17:34
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il serait interessant de poser la question suivante aux candidats de droite pour 2017 : "reviendrez vous sur cette loi si vous etes élus "

à écrit le 21/10/2014 à 17:06
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NON ELLE N'EST PAS JUSTE SAUF ,si toutes les aides percues deviennent fiscalisées dans le cas contraire le plus pauvre n'est pas celui qu'on pense ??? et cela n'encourage pas à la reussite

à écrit le 21/10/2014 à 16:57
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Bonjour, pour regarder si cela est juste ou pas il faut regarder qui paye .... le financement des allocs se fait par une cotisation sur les salaires. Ainsi, ce qui gagne beaucoup cotise beaucoup mais touche la même chose que celui qui ne cotise pas !...

le 21/10/2014 à 20:00
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Ce n'est pas vous qui cotisez. C'est votre patron. Jetez un coup d'oeil sur votre fiche de paie.

à écrit le 21/10/2014 à 16:51
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Il existe déjà l’impôt sur les revenus et ce n'était pas la peine de rajouter un nouvel impôt sur les revenus(imposé lui à 75% pour 8000 euros seulement par famille). Il aurait été beaucoup plus juste d'inclure les revenus sociaux dans la déclaratio...

à écrit le 21/10/2014 à 13:37
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Ok, donc mon foyer gagne 2*4250 euros net je vais perdre 75% de mes allocations familiales (avant j'avais 295.05€ par mois...mais là on divise par 4 soit 73.76€ par mois...soit une perte de 221.28€ soit 2655.45€ net par an soit 3452.08€ avant impot s...

le 21/10/2014 à 17:52
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Il ne vous reste plus qu'a faire comme moi, quitter la France, … comme l'ont déjà fait 2 000 000 de personnes. Ce pays agonise lentement et nous/vous saignera jusqu'a la dernier goutte.

à écrit le 21/10/2014 à 12:58
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Je gagne plus de 6.000 euros et je n'ai pas le sentiment que cette décision soit juste. Le niveau de vie des 10 % les plus riches a plus progressé que la moyenne ? Mais une famille avec deux enfants qui vie en région parisienne et qui gagne 6.000 eu...

le 21/10/2014 à 14:07
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Tu as tellement raison...mais bon on va nous parler de justice sociale et faire encore passer la pilule (là je parlerai plus de suppositoire...voire du fameux "The Tree" de Paul McCarthy place Vendôme...). Donc le seul moyen ce sera de se mobiliser c...

le 21/10/2014 à 16:54
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A force d'augmenter massivement les impots et autres cotisations sur les uns pour redistribuer sur les autres, sans que ceux qui cotisent ne bénéficient du système, on va vers sa disparition pure et simple.

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