Ecotaxe : pourquoi les transporteurs français l'ont refusée

Par Par Emmanuel de Bienassis, Secrétaire général de TLF  |   |  613  mots
Depuis plusieurs mois, les organisations professionnelles TLF, FNTR, UNOSTRA et CSD, se sont fait l'écho d'un puissant vent de fronde parmi les entreprises de transport routier de marchandises contre l'écotaxe. L'annonce d'une mise en application de l'écotaxe dans les premiers mois de 2015 n'avait fait que renforcer la détermination des transporteurs.

Dans les raisons de ce refus, trois sont à retenir. Tout d'abord les entreprises de transport routier n'ont pas à payer les pots cassés de la privatisation des autoroutes.
C'est bien la privatisation des autoroutes qui a privé l'Agence de financement des infrastructures de transport (AFITF) des recettes des péages. C'est bien la privatisation des autoroutes qui a donné naissance à l'écotaxe. Dans un avis rendu public le 18 septembre 2014, l'Autorité de la concurrence dénonçait l'exceptionnelle rentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes.

Dérive des tarifs de péage

Cet avis vient après deux rapports de la Cour des comptes (2008 et 2013) qui pointaient déjà les dérives des tarifs de péage depuis la privatisation de 2005. Pour 100 euros de péage payés par l'usager, entre 20 et 24 euros sont du bénéfice net pour les concessionnaires d'autoroute. La marge nette des entreprises de transport est, elle, de moins de 1 %. Le coût kilométrique des péages a, lui, enregistré selon le Comité national routier (CNR) une hausse de 79.5 % entre 2003 et 2013 pour les poids lourds. L'inflation a, quant à elle, été de 17.6 % sur cette même période.

Une contribution déjà importante

Le transport routier de marchandises est déjà un contributeur important du financement des infrastructures. La part des poids lourds dans le montant des péages d'autoroutes s'élève à plus de 1.8 milliard d'euros par an. À ce cela, s'ajoutent les 2.5 milliards de TICPE (taxe intérieure sur de consommation sur les produits énergétiques) et les 200 millions d'euros de taxe à l'essieu acquittés chaque année par le secteur. Et encore n'évoque-t-on ici que la fiscalité spécifique. Les dépenses de voiries occasionnées par les poids lourds s'élèvent, elles, à 1.3 milliard d'euros. Le transport routier couvre donc largement ses coûts par les impôts spécifiques acquittés, à plus de 440 %. Ce taux élevé est à comparer avec le taux de couverture du fret ferroviaire, qui est inférieur à 30 %.

Le risque d'inégalités régionales

Enfin, l'écotaxe créait des inégalités régionales. Ainsi un département comme l'Allier concentrait à lui seul autant de kilomètres écotaxés que les régions Aquitaine, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon et PACA réunies. Ces disparités régionales et même départementales engendraient des distorsions de concurrence au sein même du territoire français, et pouvaient porter un coup certain à l'attractivité des territoires principalement frappés.

On peut citer le département de la Loire dont la seule voirie autorisée pour les poids lourds entre Saint-Étienne et la région lyonnaise, c'est-à-dire l'A47, supportait une écotaxe à 7.3 %. Cette « autoroute » n'est pas un axe de transit, mais un axe de desserte. Certains secteurs comme les produits pétroliers ou les matériaux de construction se retrouvaient condamnés à être systématiquement taxés, car ils proviennent essentiellement du couloir rhodanien. L'usage de cette infrastructure, par ailleurs vétuste, pour les poids lourds revenait à appliquer une double peine. Aujourd'hui emprunter l'A47 génère déjà des surcoûts.

Remise à plat du dossier

Pour toutes ces raisons, la mise en place de la taxe poids lourds était incompatible et indécente.Les entreprises de transport routier ne pouvaient accepter (et plus particulièrement certaines régions ou certains départements), d'être les victimes des égarements passés de la politique française relative aux infrastructures. L'avis de l'Autorité de la Concurrence sur les autoroutes conduit inéluctablement à une remise à plat du dossier du financement des infrastructures dans notre pays dans sa globalité.
L'écotaxe ne pouvait être traitée isolément de la question du financement des infrastructures.