Cette crise nous l'avons bien préparée !

Par Par Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France  |   |  680  mots
Nos sociétés sont devenues malades car elles refusent d'admettre qu'une crise, ce n'est pas un désordre dans le cosmos, mais le signe d'un état ou d'une situation qui ne peuvent plus perdurer comme tels.

Nos sociétés sont devenues malades car elles refusent d'admettre qu'une crise, ce n'est pas un désordre dans le cosmos, mais le signe d'un état ou d'une situation qui ne peuvent plus perdurer comme tels. Les crises font partie de l'évolution de la vie et de l'histoire des civilisations. Seulement, pour comprendre ce que nous disent les crises, il faut se dégager d'un corpus de croyances et de convictions qui nuisent à une saine compréhension des changements en train de se faire. L'une d'elles est celle-ci : « Les crises sont provoquées par des causes extérieures ou extrinsèques. »

Le déni de nos responsabilités

Pour les espèces, c'est une catastrophe naturelle du type volcanisme, météorite, courants océaniques, glaciations... Pour les civilisations, toutes sortes de phénomènes naturels, comme une sécheresse responsable de la disparition des Mayas et aussi les autres, comme les barbares destructeurs de l'empire Romain. Actuellement, c'est la mondialisation pour l'économie européenne avec, en prime, l'Euro fort pour l'économie française (sauf pour l'Allemagne). Comme les espèces, les sociétés subissent les conséquences environnementales des changements qu'elles ont provoqués, comme l'exprime si bien le sous-titre du livre Effondrement de Jared Diamond (Gallimard) : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie.

Or, la mondialisation est bien le fait des sociétés et des entreprises des pays industrialisés. Mais on préfère les « boucs émissaires » avec un déni affiché de nos responsabilités, comme en témoigne la récurrence des crises financières portées pas les mêmes facteurs (Homo œconomicus, Daniel Cohen, Albin Michel). Homo œconomicus, le soi-disant agent économique rationnel, est pétri d'irrationalité*.

Une sélection se met en place

Depuis le commencement de l'ère industrielle, l'économie est marquée par des cycles (Kondratieff) provoqués par des causes intrinsèques avec l'émergence d'innovations de rupture (Schumpeter). Pourquoi ? Tout simplement parce que des entrepreneurs introduisent des innovations qui bouleversent tous les aspects de la société. Aujourd'hui, ce sont les GAFAT (Google, Amazon, Facebook, Apple, Twitter). Et c'est tout à fait darwinien. En effet, Darwin avait compris que les variations des caractères - des gènes aux comportements - introduisent des potentialités adaptatives si les facteurs de l'environnement viennent à changer ou se limiter.

Donc, quand tout va bien dans le meilleur des mondes possibles, il n'y a pas de sélection et tout le monde a sa chance. Les populations et les variations s'accroissent. Mais les conditions environnementales (ou le marché) finissent par arriver à saturation ; et c'est là que la sélection se met en place, ce que les évolutionnistes appellent les équilibres/ponctués, et les économistes : les cycles/crises. Alors un nouveau monde se met en place, avec des survivants qui se déploient à partir des caractères sélectionnés ; d'autres se maintiennent et d'autres disparaissent.

Les crises n'ont rien appris aux gouvernements

Ainsi vont la vie et les sociétés. Alors comment faire ? Une solution serait d'éliminer les variations (les chercheurs et les entrepreneurs) avec une politique malthusienne des populations et une maîtrise de la nature. Tous les systèmes totalitaires d'essence théologique, idéologique ou politique s'y sont essayés avec les conséquences que l'on sait. Mais quand on connaît le sort fait aux chercheurs et aux entrepreneurs en France - respectivement les inventeurs et les innovateurs en langage schumpetérien, il y a de quoi s'inquiéter. Les premiers reçoivent un salaire indécent à plus de trente ans et les autres se font plumer comme des pigeons au moment de transmettre leur entreprise ; et les deux ne comptent pas leurs heures de travail. Assurément, les crises n'ont rien appris à tous les gouvernements qui se sont succédés depuis deux décennies. Cette crise, nous l'avons bien préparée !

* Un Paléoanthropologue dans l'Entreprise, Pascal Picq, Eyrolles

Pour Tout un Programme, Pascal Picq interviendra le 19 novembre à l'EMLYON