D. Wolton : "Avec Trierweiler c'est le pire de la médiatisation de poubelle"

Par Propos recueillis par Denis Lafay  |   |  1233  mots
La publication du livre-événement de Valérie Trierweiler interroge au-delà de la personnalité et de l'image de François Hollande : l'exercice des métiers de journaliste et de politique dans une société gangrénée par les tyrannies de l'exhibitionnisme, du voyeurisme et de l'immédiateté. Le décryptage du sociologue Dominique Wolton.

Acteurs de l'économie : Depuis plusieurs années, vous dénoncez l'exhibitionnisme et le voyeurisme qui se sont emparés des médias et des politiques. La publication de "Merci pour ce moment" de Valérie Trierweiler en constitue-t-elle le paroxysme ?

Dominique Wolton : Malheureusement non. Il est à craindre qu'il y ait toujours pire, même si dans ce cas un palier nouveau a été dépassé dans la « médiatisation de poubelle ». Dans ce cas, une étape a toutefois été franchie, puisque la publication intervient pendant l'exercice du mandat présidentiel. D'autre part, ce livre est tout sauf de l'information, c'est presque exclusivement une mise à nu, un voyeurisme et des règlements de compte personnels aussi déplacés que pervers.

Et la faute est d'autant plus lourde qu'elle émane d'une journaliste, parfaitement au fait de ce qui doit faire stricte imperméabilité entre sphères publique et privée. Elle-même n'avait-elle pas fustigé l'ingérence ou les débordements de la presse dans la vie privée des politiques ? Elle qui s'autoproclamait « journaliste politique » et en réalité produisait du people et des publi-reportages, ne donnait-elle pas des leçons sur la déontologie des journalistes ? Avec ce livre, elle met en miettes des fondamentaux du métier, et participe à le discréditer un peu plus au sein de l'opinion publique. Et elle se disqualifie professionnellement.

Le succès de ce livre illustre le sempiternel piège auquel les professionnels des médias sont soumis : faut-il accéder coûte que coûte à la pression de la demande ?

Le fait qu'un tel livre se vende aussi bien ne signifie rien d'autre que l'assouvissement du désir ancestral de voyeurisme. L'existence d'une demande, aussi forte soit-elle, ne constitue en rien un argument recevable. Ou alors il n'y aurait plus aucune limite à l'éthique et à la déontologie. En l'occurrence, les seuls responsables de cette publication sont l'auteur et l'éditeur.

Quels effets, à court et moyen termes, cet événement médiatique peut-il produire sur l'image et la crédibilité politiques, déjà dramatiques, de François Hollande ?

On ne peut pas à la fois reconnaître qu'il y a des secrets d'État et contester l'existence de secrets privés. Cela, l'opinion publique le sait, et l'humiliation publique que subit François Hollande ne devrait pas faire l'objet de surenchères dans les médias ou même au sein de l'opposition. Et donc les répercussions devraient être faibles voire nulles. Cette publication devrait simplement conforter les camps dans leurs convictions.

L'une des pires impressions que donne le livre est que les priorités de François Hollande ne sont pas là où les Français l'espèrent. Soi-disant inonder son ex-compagne de sms pendant les commémorations du D Day partagées aux côtés de Poutine et d'Obama, s'échiner à la reconquérir en lieu et place du redressement de la France. Tout cela peut-il être sans conséquence ?

Certes, un tel livre ne peut qu'accroître la délégitimation. Pour autant, qui dans sa vie n'a pas été confronté, à son niveau, à des problèmes de cœur qu'il devait traiter en même temps qu'il travaillait ? Chacun a connu cette confrontation des chocs affectifs et professionnels. Et donc peut être en mesure de regarder « humainement » la situation de François Hollande.

Au sein d'une opinion publique et de médias qui parfois privilégient l'anecdote et le sensationnalisme au fond, l'expression « sans dents » collera-t-il demain à François Hollande comme hier le Fouquet's ou le « Casse-toi pauv' con » à Nicolas Sarkozy ?

Non. Le « cass-toi pauv'con » était cohérent avec la personnalité de son auteur, et donc il a imprimé les consciences. Le « sans dents » n'est, lui, pas cohérent avec un François Hollande plein de défauts mais dont le parcours politique et d'autres témoignages de proches et de moins proches depuis trente ans ne permettent pas de contester. L'image que les gens ont de François Hollande s'imposera aux doutes qu'une telle révélation peut instiller. Et puis l'opinion publique a compris d'elle-même qu'on ne peut pas tirer d'enseignements d'un tel propos à ce point décontextualisé. Et n'arrive-t-il jamais à chacun de nous, ne privé, de proférer spontanément des propos qui ne reflètent pas nos convictions ?

13% d'opinions favorables, une majorité fracturée, un nouveau ministre débarqué après neuf jours, et maintenant un livre qui dépèce son image, le tout dans un contexte de profond marasme économique et social : « sur le papier », les conditions sont-elles réunies pour que le Président de la République démissionne ?

Non. Seules des malversations peuvent justifier un tel départ. Un mandat se juge au bout. Jamais les sondages ne doivent dicter le comportement politique, jamais ils ne doivent contester ce que la démocratie a établi : la sanctuarisation du vote. C'est en 2017 et pas avant que les électeurs pourront faire part de leur jugement sur l'action du quinquennat. La tyrannie de l'opinion et des sondages ne doit peser d'aucun poids face à l'élection.

Par ailleurs, devrions-nous nous asservir à ce point à la dictature du temps et des résultats immédiats ? Certainement pas. Cette autre tyrannie - de l'instantanéité dans la vie quotidienne comme dans les médias  - devrait être combattue sans relâche. Elle est l'un des pires poisons pour la démocratie. Manuel Valls est aux commandes du gouvernement depuis moins de six mois et il faudrait déjà le juger ?

Ceci étant, les principales victimes sont les premiers coupables : qui donc fait en sorte que l'exercice politique vive au rythme de twitter si ce n'est les politiques eux-mêmes ? Qui emploie ces outils qui vident le discours et l'acte politiques de la distance et du contenu nécessaires ? Qui cultive l'impatience, la superficialité, même la vacuité au sein de l'opinion publique ? Les hommes politiques se suicident tout seuls !

Dans ce contexte de « crise de régime », comment Manuel Valls doit-il se comporter en vue de 2017, pour à la fois prendre ses distances d'avec le « fardeau » Hollande sans pour autant  s'en désolidariser ?

Il a grandement intérêt à honorer sa fidélité, y compris pour asseoir sa légitimité. S'il cherche à profiter de la déconvenue de François Hollande, il signera sa propre défaite. Il a accepté, auprès de François Hollande, un poste de Premier Ministre pour le meilleur et pour le pire. Avouer ses ambitions trop tôt, prendre ses distances avec son Président, dénoncer le tandem qu'il a accepté de former, le condamnerait dans l'opinion publique. Celle-ci n'aime pas Brutus. Souvenons-nous d'Edouard Balladur...

Dans quelques jours, Nicolas Sarkozy devrait annoncer s'il concourt à l'investiture UMP pour 2017. D'un côté il est lesté par le poids des « affaires » et les inimitiés accumulées au sein de sa formation politique, de l'autre il tirera profit d'une majorité présidentielle et de résultats - pour l'heure - déliquescents. Comment peut-il manœuvrer au milieu d'un tel contraste ?

Le style Sarkozy tel qu'on l'a connu est « out of date ». Il est lui-même victime de l'extraordinaire vitesse à laquelle tout phénomène, tout modèle, tout concept s'usent, de manière radicale, au sein de l'opinion publique. S'il veut revenir, il n'aura pas d'autre choix que d'adopter un style en rupture avec celui auquel il a habitué les Français.