« Nicolas Sarkozy s'est disqualifié pour l'avenir »

Par Par Eric de Montgolfier, ancien procureur de la République  |   |  890  mots
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'Economie)
« L'ivresse du pouvoir semble griser longtemps après qu'il vous ait abandonné, au point de s'étonner d'être désormais traité comme le prescrit la loi ».L'exercice médiatique du « mis en examen » Nicolas Sarkozy est révélateur d'une conception de la justice et de la démocratie qui disqualifie le possible futur candidat à la présidence de la République.

Les yeux dans les yeux... L'expression a son charme ; elle suggère une intimité, moins accessible sans doute quand un seul regard prétend en croiser des milliers d'autres. Il s'agit de convaincre et, par ce moyen ultime, d'emporter la conviction. C'est assez montrer qu'on perçoit l'incrédulité que pourraient engendrer des affirmations aventurées.

La politique, qui est parfois l'art du mensonge, s'en est emparée et quelques exemples célèbres permettent d'en apprécier la portée. Les yeux de François Mitterrand dans ceux de Jacques Chirac à propos du terrorisme lors de la campagne présidentielle de 1988, plus récemment Jérôme Cahuzac soutenant, le regard assuré, qu'il n'avait jamais détenu de compte en Suisse. Dernièrement, dans un exercice qui n'est pas à la portée d'un citoyen ordinaire, Nicolas Sarkozy a, de la même manière, plongé le sien dans celui de tous ceux qu'il espérait convaincre.   

Une aspiration à la récidive

Pour l'honneur de la fonction qu'il a naguère exercée, on serait tenté de le croire. Ne serait-ce que parce que l'ancien président de la République aspire manifestement à récidiver. Non pas que le mensonge soit proscrit quand il s'agit de conquérir la première place ou de la garder, ce qui serait une révolution dans la culture politique, mais parce que l'état de déliquescence de notre démocratie impose de ne pas l'affaiblir davantage. Il sera toutefois bien difficile de la préserver quand celui qui fut le garant de l'indépendance de la magistrature pourrait l'être à nouveau.

Certes, comme ministre de l'Intérieur ou chef de l'État, les propos de Nicolas Sarkozy ne témoignaient pas d'une extrême considération à l'égard des juges qui le contrariaient ; mais les accusations proférées à l'occasion de sa récente mise en examen laissent peu espérer, en cas de retour, qu'il garantisse davantage une indépendance qu'il vient de bafouer publiquement.

Le dossier Clearstream

En jouant l'opinion publique contre des juges qui usent à son endroit de mesures légales de coercition, celles dont il faisait son miel sécuritaire naguère, les tenant pour démonstratives de l'efficacité des gendarmes et des policiers, ce mis en examen exprime une curieuse conception de la Justice. Il n'est sans doute pas le premier à la considérer comme un simple marchepied vers les sommets, mais ce comportement paraît le disqualifier pour l'avenir. Comme tout un chacun, il se prévaut légitimement de la présomption d'innocence, un principe dont quelques unes de ses envolées avaient fait naguère bon marché.

Notamment quand il s'agissait d'exploiter politiquement des faits qui paraissaient pourtant en relever. Immunisé d'un côté, plaignant de l'autre, nul n'a oublié non plus le peu de distance dont il a fait preuve dans le dossier Clearstream. Rien donc qui puisse convaincre, l'ayant écouté, de le croire. Pas davantage ses assertions concernant l'intervention du Conseil constitutionnel dans ses comptes de la dernière campagne présidentielle, comme si celui-ci aurait eu le pouvoir d'aller chercher quelque crapaud sous les pierres qu'on offrait à sa vue.

Une navrante exhibition

Ayant occupé les plus hautes fonctions, il n'est certes pas aisé d'être ramené au même niveau que ses électeurs. L'ivresse du pouvoir semble griser longtemps après qu'il vous ait abandonné, au point de s'étonner d'être désormais traité comme le prescrit la loi. Cela pouvait avoir le mérite de rappeler à celui qui a si largement contribué à durcir la procédure pénale qu'elle comporte effectivement des contraintes humiliantes. Celles associées à la garde à vue ne sont pas les moindres, encore qu'à n'en pas douter celles auxquelles il fut soumis furent moins rigoureuses qu'elles ne peuvent l'être pour d'autres.

Dans le malheur, les gémissements ont moins de prix que la dignité ; elle commandait, plutôt que cette navrante exhibition d'un potentat déchu, une analyse sereine d'une procédure imposée à tant d'autres, sans nécessité parfois, le regret de n'avoir pas alors compris ce qu'elle représentait d'inutile humiliation pour un suspect.

« Souviens-toi que tu es poussière »

La roche tarpéienne, sur laquelle, à Rome, étaient précipités les condamnés, était proche du Capitole, principal lieu d'exercice du pouvoir. L'expression engendrée par cette proximité topographique est devenue proverbiale ; ceux qui aspirent au pouvoir devraient se pénétrer du symbole, à moins qu'ils ne préfèrent la formule autrefois répétée aux généraux vainqueurs qui, sur leur char, célébraient leur triomphe, ou aux papes lors de leur couronnement : « souviens-toi que tu es poussière ».

Le pouvoir, pas plus que la vie, ne s'inscrit dans l'éternité. Au moment d'y accéder, chacun doit s'en convaincre. Pour se rappeler que nul n'en est propriétaire et ne saurait prétendre en disposer définitivement, mais surtout qu'il oblige celui auquel il est confié à l'exercer pour le bien commun. Celui dont il devra à nouveau se contenter, jusqu'à le subir, quand, loin des ors et des privilèges, il aura rejoint le peuple dont il est issu. Alors, partageant les contraintes dont le pouvoir l'avait un instant dispensé, il comprendra peut-être la part qu'il y a prise. Peut-être vaudrait-il mieux ne pas attendre...